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Une exposition décoiffante au Struwwelpeter-Museum de Francfort

Mis en ligne le 28 septembre 2017

Pour l’exposition « Struwwelpeter récoiffé », qui se tiendra au Struwwelpeter-Museum de Francfort du 29 septembre au 28 février, 14 illustrateurs francophones ont revisité le fameux Crasse-Tignasse du psychiatre et auteur allemand Heinrich Hoffmann.


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Du 11 au 15 octobre 2017 aura lieu la Foire du livre de Francfort avec la France comme invité d’honneur. A cette occasion, le Struwwelpeter-Museum de Francfort ainsi que l’Institut franco-allemand IFRA (ou Institut français Frankfurt) ont imaginé une exposition qui fasse dialoguer la culture de l’Allemagne avec celle du monde francophone en proposant à 14 illustrateurs de renom de France, Belgique, Suisse et Canada de présenter leur version du Struwwelpeter.

Le vernissage de l’exposition aura lieu le 28 septembre en présence de l’expert allemand de l’illustration Andreas Platthaus qui donnera une visite guidée/conférence. D’autres visites guidées ainsi que des ateliers avec les artistes seront mis en place durant toute la durée de l’exposition.

Plus d’informations sur le site Internet de L'Institut français Frankfurt et du Struwwelpeter-Museum.

Pour nous donner l’eau à la bouche, mais également nous présenter la naissance du projet et les artistes qui y ont participé, Dominique Petre (chargée de mission culturelle auprès de l’Institut franco-allemand IFRA / Institut français Frankfurt) qui a coorganisé l’exposition avec Beate Zekorn-von Bebenburg (directrice du Struwwelpeter-Museum), propose au lecteur de Ricochet sa préface au catalogue de l’exposition, intitulée Recoiffer Struwwelpeter ?

Les commissaires de l'exposition


Recoiffer Struwwelpeter ?

Nos vies sont-elles prédestinées ? L’Institut franco-allemand IFRA (ou Institut français de Francfort) se trouve sur le campus Westend de l’Université Goethe, à l’endroit précis où le psychiatre Heinrich Hoffmann dirigeait, au XIXe siècle, son « asile pour fous et épileptiques ». Dans le couloir, à quelques pas seulement de mon bureau, des panneaux racontent l’histoire de Struwwelpeter et de son auteur.

Mais j’ai côtoyé l’affreux garnement bien avant d’être engagée par l’Institut français. Chez mes parents, à Bruxelles, l’affiche de la légendaire mise en scène de Crasse-Tignasse du Théâtre du Tilleul orne les murs de la « salle de jeux ». Lorsque Marie-Aude Murail est venue à Francfort en 2012, je n’ai pas pu m’empêcher de lui offrir le superbe Pierre-Crignasse de Fil et Atac en guise de souvenir. Deux ans plus tard, j’ai rédigé pour « Le petit journal de Francfort » un article sur le musée Heinrich-Hoffmann et interviewé sa directrice, Beate Zekorn-von Bebenburg.

Mon chemin a donc régulièrement croisé celui du gamin le plus désobéissant de ma ville d’adoption. Pour mon plus grand plaisir. 

« Francfort en français », le programme culturel qui accompagne l’invitation de la France en tant que pays à l’honneur de la Foire du Livre de Francfort d’octobre 2017, était l’occasion rêvée de mettre en avant la littérature jeunesse francophone – ma passion – et de mieux la faire connaître en Allemagne.

Lorsque j’ai appris que c’était probablement une caricature française qui avait inspiré Heinrich Hoffmann pour son personnage ébouriffé, la boucle s’est bouclée : si la France avait inspiré Hoffmann en 1844, Hoffmann inspirerait les francophones en 2017.

Cela ne constitue nullement une grande première. Depuis la publication de Struwwelpeter en 1845, des copies et autres parodies n’ont cessé de pulluler, en France comme ailleurs. Benjamin Rabier, Claude Lapointe et Benoît Jacques ont réinterprété Struwwelpeter bien avant notre exposition. Mais quel plaisir de poursuivre cette tradition ! L’album d’Heinrich Hoffmann est l’un des livres pour enfants les plus répandus dans le monde. L’ouvrage reste d’une étonnante actualité ; les illustrateurs francophones ont d’emblée été séduits par le thème, intarissable source d’inspiration. La fascination pour Crasse-Tignasse, loin d’être éphémère, passe d’une génération à l’autre, chez les enfants comme chez les artistes.

C’est à Paris, où il a étudié, qu’Hoffmann aurait pris goût à l’art de la caricature, et on est bien tenté d’affirmer que Struwwelpeter est une histoire franco-allemande. Comme l’explique la spécialiste Nelly Feuerhahn dans son savant article à la fin de ce catalogue, l’une des premières versions françaises de Struwwelpeter a été imprimée à Francfort-sur-le-Main, et l’Alsace a joué un important rôle de passerelle de l’Allemagne vers la France.

Si Crasse-Tignasse séduit jusqu’à aujourd’hui les lecteurs francophones, c’est bien sûr grâce au talent d’Hoffmann, mais aussi à la remarquable traduction de Cavanna, publiée en 1979 par L’Ecole des loisirs. François Cavanna n’a pas seulement rebaptisé Pierre l’ébouriffé en Crasse-Tignasse, il a compris l’esprit des vers et est parvenu à transmettre l’humour d’une langue à l’autre, un exercice très périlleux. Sa traduction jubilatoire prouve qu’« impossible n’est pas français ».

Inspiré par une caricature, Struwwelpeter a donné son nom à un recueil d’histoires drolatiques considéré aujourd’hui comme l’un des ancêtres de la BD. Hoffmann a inventé le livre pour enfants dans lequel les images racontent. Pas besoin de savoir lire pour comprendre les mésaventures de Pauline et de ses comparses. Or la caricature, la BD et l’album jeunesse sont des domaines éditoriaux dans lesquels excellent les francophones.

Admirez donc les œuvres créées pour l’exposition, mais jetez aussi un coup d’œil aux livres des quatorze auteurs qui ont accepté de « recoiffer » Crasse-Tignasse. Quelle richesse ! La littérature jeunesse francophone est une extraordinaire contrée qui regorge de petits chefs-d’œuvre. Les quatorze auteurs de « Struwwelpeter recoiffé » constituent un échantillon restreint mais représentatif du foisonnement et de la diversité de l’album qu’on trouve en  France, en Belgique, en Suisse et au Canada. Ces livres étonnent, font sourire, donnent envie de poursuivre jusqu’à la dernière page. Tous les artistes de l’exposition sont de merveilleux conteurs qui utilisent le visuel au moins autant que l’écrit pour parvenir à leurs fins, à l’instar d’Hoffmann.

Commençons par la France et par un auteur qui est aussi un symbole du français comme langue de l’hospitalité (un des thèmes chers au pays à l’honneur de la « Frankfurter Buchmesse » de cette année). Jiang Hong Chen nous apporte un grand bol d’air venu d’ailleurs : les techniques et l’imaginaire de ce peintre parisien sont chinois. Le cheval magique de Han Gan ou Le prince tigre sont des albums qui allient illustrations spectaculaires et magnifiques histoires. Leur particularité ? Elles prennent les jeunes lecteurs très au sérieux.

Jiang Hong Chen

Autre très grande pointure du livre jeunesse fabriqué en France, Anaïs Vaugelade a créé des albums qui restent, comme La guerre, une vraie merveille ou l’irrésistible série des Zuza.  À La soupe au caillou qui se déguste toujours avec grand plaisir, je préfère encore Le déjeuner de la petite ogresse, malheureusement inédit en allemand.

L’esthétique des albums de Blexbolex est éblouissante, le dessinateur Bernard Granger (qui vit en Allemagne) oscille comme un funambule entre look vintage et design très moderne, entre simplicité et virtuosité. On a rarement feuilleté des imagiers aussi beaux et inventifs que celui des gens ou celui des Saisons.

Chez Anouck Boisrobert et Louis Rigaud, l’imaginaire et le talent sont décuplés. Les pros du pop-up allient un magnifique univers graphique à une bonne ingénierie, sans négliger la dramaturgie nécessaire à toute bonne histoire. Leur savoir-faire vous sautera aux yeux lorsque vous feuilletterez leurs livres animés (j’ai presque envie de dire « vivants »), comme Popville ou Dans la forêt du paresseux.

Boisrobert et Rigaud

Autre arme qui rend les francophones imbattables en matière d’album jeunesse : l’humour. « Struwwelpeter recoiffé » possède quelques ambassadeurs de choix, comme Marc Boutavant, aussi doué pour croquer le quotidien d’Ariol que pour illustrer un texte de Toon Tellegen (N’y a-t-il personne pour se mettre en colère ?). Quand il est auteur-illustrateur, il n’hésite pas à faire entrer le monde entier dans un seul livre : suivez-le dans Le tour du monde de Mouk, éclatant de couleurs.

Boutavant

Le Gros cornichon d’Edouard Manceau est enfin traduit en allemand, mais lisez également Tous pareils !, à la fois drôle et philosophique, ou Nom d’un champignon !, petit bijou minimaliste fort efficace. Encore un auteur qui honore son public et qui va à l’essentiel.

Autre artiste français dont il est incompréhensible que davantage de livres n’aient pas (encore ?) été traduits en allemand, Christian Voltz. Ce roi de la récup’ a une démarche écologique : il offre une seconde vie aux objets abandonnés. Ses étonnants et poétiques albums comme Toujours rien ? ou La caresse du papillon sont la preuve de leur résurrection.

Du côté de la Belgique, Struwwelpeter est en de bonnes mains : celles de trois artistes qui ont chacune imposé leur univers très particulier dans la littérature jeunesse, bien au-delà des frontières de leur pays-confetti.

Kitty Crowther est célébrée à travers le monde pour ses atmosphères et son coup de crayon, on dit de cette lauréate du prix Astrid Lindgren qu’elle a ouvert les portes de l’imagination. J’ai lu et relu Scritch  scratch  dip  clapote ! d’innombrables fois avec chacun de mes trois enfants sans jamais m’en lasser.

« Les livres d’Anne Brouillard ont une âme » m’a dit Edouard Manceau. Il a parfaitement raison ; chacun de ses albums, comme son premier Trois chats ou son dernier, La grande forêt nous emmène dans un fantastique voyage. Le lecteur reste subjugué par la virtuosité de l’illustratrice et par l’imagination de la narratrice.

Brouillard

Claude K. Dubois est une illustratrice qui n’a pas froid aux yeux. Elle s’attaque à des thèmes risqués, comme les réfugiés dans Akim court, ou encore les sans-abris dans Bonhomme… et elle s’en tire prodigieusement bien. D’une humanité très touchante, ses crayonnés ne sont pas sans rappeler ceux de Käthe Kollwitz.

Et la Suisse? On reconnait un livre d’Emmanuelle Houdart entre mille. Elle a « sa patte »,  son imaginaire débridé, elle arrive à mélanger truculente monstruosité (Monstres malades) et infinie douceur (Abris).

Houdart

Quant à Albertine, je connais plusieurs lectrices qui ont eu les larmes aux yeux en découvrant Mon tout petit. Ici aussi, on a affaire à une forte personnalité graphique, qui a signé avec Germano Zullo des albums sensibles, drôles et novateurs, comme Les oiseaux ou La rumeur de Venise.

Albertine

Struwwelpeter est allé jusqu’au Canada pour se faire recoiffer. Marianne Dubuc a sorti son talent et ses crayons de couleur, elle qui est connue jusqu’en Europe pour des illustrations qui racontent mille petites histoires. Le lion et l'oiseau ou L’autobus sont des livres dont la tendresse fait chaud au cœur.

Vous l’aurez compris : les albums jeunesse francophones sont parmi les meilleurs du monde, grâce au talent de leurs auteurs mais aussi à l’engagement de leurs éditeurs. Mon conseil : consommez-les sans modération après la visite de cette exposition.

« Struwwelpeter recoiffé » : le titre est accrocheur mais finalement mal choisi. Ce que les enfants et les illustrateurs adorent, c’est le côté ébouriffé et désobéissant du gamin. Aucun des artistes (à l’exception de Marc Boutavant, et le résultat est parlant) n’aurait sérieusement songé à saisir peigne et ciseaux pour remettre la tignasse en ordre. Ils ont préféré continuer, avec crayons et pinceaux, l’extraordinaire œuvre d’Heinrich Hoffmann.

Beate Zekorn-von Bebenburg dit que Struwwelpeter et moi, ce n’est qu’une histoire, alors qu’elle forme avec lui ce que l’on pourrait appeler un vieux couple. Mais quelle histoire ! Je me suis rarement autant amusée au travail. J’espère qu’à votre tour, vous passerez un excellent moment en parcourant l’exposition et les albums des auteurs présentés.

Belle visite et bonne découverte,

Dominique Petre