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«Sans déconner, Jo Witek, n’arrêtez pas d’écrire.»

Pas étonnant que l’écrivaine, après cette déclaration spontanée d’un jeune croisé sur l’île de La Réunion, continue à être prolifique. Rencontre avec une «délicieuse» lauréate du Prix des lycéens allemands, juste avant le confinement.

Jo Witek, auteur jeunesse
Dominique Petre
23 juin 2020

On ignore encore les dimensions que va prendre le coronavirus dans nos vies mais de premiers signes ne trompent pas. En ce début du mois de mars 2020, la Foire du livre de Leipzig vient d’être annulée, obligeant l’Institut français à réorganiser la tournée de Jo Witek en Allemagne. L’écrivaine jeunesse est venue présenter Une fille de… (Actes Sud Junior, 2017), qui n’a pas été traduit dans la langue de Goethe, mais a remporté le très convoité «Prix des lycéens allemands», «PDLA» pour les intimes, de 2019.

Plonger dans un livre comme d’un tremplin de 10 mètres
Organisé depuis 2004, ce prix devenu bisannuel s’inspire du Goncourt des lycéens mais ne sélectionne pratiquement que des ouvrages de littérature jeunesse. Marie-Aude Murail et Anne-Laure Bondoux l’ont notamment obtenu (avec Simple en 2006 et Le temps des miracles en 2012) tandis que Xavier-Laurent Petit s’est vu récompensé à deux reprises: en 2007 pour Maestro et en 2018 pour Le fils de l’Ursari. Trois titres sont en lice pour le «PDLA 2021»: Aigre-doux de Wilfried N’sondé, Direct du cœur de Florence Medina et Même pas en rêve de Vivien Bessières.

«Il faut souligner le courage des élèves qui se jettent dans ces livres dans une langue pour eux étrangère comme d’un plongeoir de 10 mètres», souligne Hendrik Funke de la maison d’édition allemande Ernst Klett. Spécialisé dans les manuels scolaires, l’éditeur a offert 5 000 € à la lauréate et publié une version d’Une fille de… pour non francophones, en français, mais avec des notes de bas de page. Traduire ou expliquer des expressions comme «les lèvres incarnates», «mettre du plomb dans la tête de quelqu’un» ou «se faire coincer» garantit aux jeunes apprenants le plaisir de lire un livre en VO sans avoir constamment recours au dictionnaire. 

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Les versions française et française annotée pour les germanophones d’«Une fille de…» encadrent l’heureuse lauréate du Prix des lycéens allemands en visite à Francfort (© Actes Sud Junior, © Dominique Petre, © Ernst Klett Verlag)

La Fille de… de Jo Witek s’appelle Hanna et adore courir. Elle profite d’un footing pour livrer ses pensées, souvenirs et émotions. Ce monologue intérieur d’une fille de prostituée a séduit plus de 2 880 élèves de 225 écoles issues de 16 régions, soit l’ensemble des «Länder» qui composent l’Allemagne. Les jeunes ont préféré ce livre à ses concurrents, Dans la forêt de Hokkaido d’Éric Pessan, La maraude d’Ahmed Kalouaz et Un détective très très très spécial de Romain Puértolas. En remettant le «PDLA» à Jo Witek en 2019, l’ambassadrice de France en Allemagne Anne-Marie Descôtes avait rappelé son objectif: rapprocher les lycéens allemands de la littérature française. «Marcel Proust a écrit que la lecture était une amitié, ce prix en est la preuve», avait-elle déclaré.

«Sans l’écriture je ne sais pas ce que je serais devenue.»
Un an après ce couronnement, Jo Witek rencontre dans la bibliothèque francfortoise francophone «Au plaisir de lire»[1] des élèves qui apprennent et des professeurs qui enseignent le français. C’est difficilement imaginable aujourd’hui mais l’ambiance est encore décontractée et la distanciation physique modérée.

Jo Witek explique que recevoir le Prix des lycéens allemands l’a «vraiment touchée»; elle se réjouit que ses livres la fassent voyager. «Des rencontres comme celle d’aujourd’hui sont très importantes pour moi», assure-t-elle. Sur l’île de La Réunion, Jo Witek a croisé un jeune qui avait, pour la première fois de sa vie, lu et même relu un livre avec plaisir: En un tour de main (Seuil Jeunesse, 2011). «Il m’a dit: “Sans déconner, Jo Witek, n’arrêtez pas d’écrire.”», raconte l’écrivaine encore émue par cette déclaration spontanée. «C’est peut-être la plus belle chose que l’on puisse dire à un auteur après avoir lu un de ses romans».

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Remise du «PDLA» à Leipzig par l’ambassadrice de la France en Allemagne et visite dans une école sur l’île de La Réunion : Jo Witek aime quand ses livres la font voyager (©Institut français Deutschland, © Jo Witek privé)

Elle a l’air tellement bien dans ses pompes qu’on a du mal à la croire quand elle assure que jeune, elle était «timide et insatisfaite». «Sans l’écriture je ne sais pas ce que je serais devenue», explique Jo Witek d’emblée, «encore aujourd’hui c’est pour moi une urgence, si je n’écris pas je suis de mauvaise humeur».

À la bibliothèque de Francfort, elle n’écrit pas mais elle lit des extraits de ses œuvres ou se raconte… et affiche une excellente humeur. Jo Witek trouve tout «délicieux»: le repas sur une crêpe qu’on vient de lui servir dans un restaurant érythréen mais aussi son récent voyage en Estonie («ses habitants ne sont pas très bavards, les Français feraient bien de s’en inspirer, c’est un pays génial pour écrire») et les productions audios et vidéos réalisées par des élèves de deux écoles de la Hesse[2]. Après avoir découvert ces réalisations inspirées par Une fille de… de la «Ricarda-Huch-Schule» et de la «Ziehenschule», Jo Witek félicite les élèves présent(e)s à la rencontre et s’exclame: «C’est génial de voir comment vous vous êtes emparés ainsi de mon livre!».

«Quand les adultes baissent les yeux, c’est qu’il y a une histoire à raconter.»
Comment trouve-t-elle ses sujets?, lui demandent les élèves. «Chaque fois que les adultes ont tendance à baisser les yeux devant des questions d’adolescents, je me dis qu’il y a une histoire» explique Jo Witek, qui vit l’écriture «comme un engagement citoyen». Et comment traite-t-elle ces idées? «Quand j’écris, il y a toujours Marguerite Duras, Anton Tchekhov et un adolescent qui regardent par-dessus mon épaule. Ce sont mes trois compagnons de voyage d’écriture».

Quand on rencontre quelqu’un comme Jo Witek, on se dit que le talent et le succès ne sont pas le fruit du hasard. Celle qui a débuté comme comédienne a eu besoin d’une sacrée portion de persévérance avant de pouvoir percer comme autrice: «Je ne suis publiée de manière régulière que depuis que j’ai 40 ans alors que j’écris depuis mes dix ans», commente-t-elle.

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Rencontre à Francfort: des doigts levés et quelques-uns des romans de Jo Witek dans la bibliothèque «Au plaisir de lire» (© Dominique Petre, © Dominique Petre)

Pourquoi s’est-elle attaquée au thème de la prostitution? «Un dimanche au cinéma j’ai vu The Immigrant du réalisateur James Gray, l’histoire de deux sœurs qui quittent leur Pologne en 1921 pour New York. Ce film m’a interpellée, sans doute parce que mes grands-parents sont des exilés polonais, mais aussi parce qu’il explique comment une jeune fille, jouée par Marion Cotillard, en arrive à se prostituer pour gagner sa vie», répond Jo Witek.

Une fille de… est un roman très ramassé: «Dans la première version il y avait un tiers de texte en plus. Mais les critères pour entrer dans la collection D’une seule voix chez Actes Sud Junior sont stricts, il s’agit de textes courts à dire à voix haute», explique l’écrivaine. «Ce qui est difficile dans l’écriture, c’est le choix. Écrire, c’est choisir sans cesse», résume Jo Witek en souriant.

Le livre est un roman, mais Jo Witek a repris une expression citée par Myriam, une fille de prostituée, telle quelle: «une minijupe pour une minipute». «Je porte en moi cette injustice faite aux femmes», commente-t-elle, «à qui on reproche d’en faire toujours trop ou trop peu, entre burka et minijupe». Ce n’est pas un hasard si Jo Witek a écrit Trop tôt (Talents Hauts, 2015) l’histoire non moralisatrice d’une adolescente enceinte qui choisit de se faire avorter.

«Avec la littérature jeunesse on s’adresse aussi bien aux bébés qu’aux grands-parents.»
La (longue) bibliographie de Jo Witek, qui dit «adorer écrire pour la jeunesse», impressionne. On y trouve pas mal de romans pour ados mais aussi des albums «qui permettent de s’attaquer à la littérature dès le début». Rares sont les autrices ou auteurs jeunesse dont la palette est si élastique.

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Rencontres autour de ses albums, en classe et dans la nature (© Jo Witek privé, © La Martinière Jeunesse, © Jo Witek privé)

«Le rapport au temps est très différent dans l’album et dans le roman. Pour moi l’album est musical comme la poésie, dans l’enfance je suis dans l’émotion, pas dans le narratif», précise Jo Witek avant d’ajouter: «Ce qui est génial avec les albums, c’est que l’on s’adresse autant aux tout-petits qu’à leurs grands-parents. Cette possibilité d’émotion transgénérationnelle est rare dans nos sociétés et particulièrement précieuse».

Sa série consacrée aux émotions de la vie illustrée par Christine Roussey, publiée aux éditions de La Martinière jeunesse est une belle réussite. «C’est très chouette quand deux univers, celui d’une autrice et celui d’une illustratrice, se complètent sans être redondants», commente Jo Witek. Le ventre de maman (2011), qui s’arrondit de page en page et raconte le bonheur d’une petite fille qui attend elle aussi le bébé, a été suivi par Les bras de papa (2012), Dans mon petit cœur (2013), Ma boîte à petits bonheurs (2014), Mes petites peurs (2015), Ma petite chambre (2016), Mes petits cadeaux (2017) et Sous mon arbre (2018). Des albums traduits dans une vingtaine de langues, qui ont eu un succès fou, notamment aux États-Unis: «Cela a été un grand plaisir pour moi de les voir en vente à la librairie du MoMA de New York», raconte Jo Witek.

«Pour les romans, la traduction est plus compliquée», admet-elle, même si Une fille de… existe en coréen: «Moi qui adore le cinéma de ce pays, je n’aurais rien contre une adaptation», sourit l’écrivaine.

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«Ma petite chambre» en anglais, «Une fille de…» en coréen et «Mes petites peurs» en polonais, preuve du succès international de la plume de Jo Witek (© In My Room: A Book of Creativity and Imagination by Jo Witek and Christine Roussey, Abrams Appleseed, £12.99, © Dominique Petre, © Mamania)

Observer les bébés lui donne des idées
Lauréat du Prix «Premières pages», son album Allez, au nid! illustré par Christine Roussey a été distribué en 2018 et 2019 à tous les enfants qui ont vu le jour en Vendée. «Cette expérience m’a permis d’être invitée dans des crèches», raconte Jo Witek aux adolescent(e)s et adultes venus l’écouter à Francfort. Elle qui a davantage l’habitude de rencontrer des jeunes adultes a été épatée par «l’acuité des regards de bébés de six mois. Comme si tout était déjà là, comme si le disque dur de la parole, de l’expression était déjà en place».

Ces rencontres ne sont pas restées sans suite: «C’est en observant les bébés que j’ai eu l’idée de livres avec CD qui allient prosodie et langage musical». Après s’être immergée dans le travail des psycholinguistiques, neurologues et pédopsychiatres qui étudient le déclenchement du langage et les bonnes conditions de cette mise en route, Jo Witek réalise avec la compositrice Flavia Perez une nouvelle collection baptisée Areuh aux éditions Flammarion Père Castor. «Au début tout est musique», explique-t-elle, «et c’est pour cette raison que j’ai eu envie d’une collection qui associe musique des mots à musique tout court». Illustrés par Emmanuelle Halgand, les premiers albums sortis en mars dernier sont dédiés aux saisons: Chapeau d’été et L’air du printemps.

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Un livre offert aux nouveaux-nés en Vendée et des albums qui associent musique des mots et musique tout court (© Premières pages, Département de la Vendée, © Flammarion 2020, © Jo Witek, illustrations d’Emmanuelle Halgand, extrait de «Chapeau d’été», Flammarion 2020)

Derniers romans ado: impressions d’enfance et échappée belle
Son dernier livre pour le public adolescent est Une photo de vacances, paru en janvier chez Actes Sud Junior. Eugénie raconte un été presque pareil aux précédents, mais durant lequel la jeune prépubère a néanmoins du mal à se reconnaître. «C’est sans doute mon roman le plus autobiographique, j’ai travaillé avec mes impressions d’enfance», commente Jo Witek. Détail troublant: le dessin réalisé par Olivier Tallec pour la couverture du roman ressemble étrangement à une photo de Jo Witek petite, que l’illustrateur ne connaissait pas mais dont l’autrice s’est servie comme source d’inspiration. «Ce cliché était posé sur mon bureau pendant le temps de l’écriture du livre», explique Jo Witek, qui ajoute: «J’ai l’impression que je suis restée cette petite fille terriblement joueuse».

Premier arrêt avant l’avenir, mention spéciale du Prix Vendredi, est sorti en août 2019 chez Actes Sud Junior. Pierre, un brillant bachelier quitte lycée rural et milieu modeste pour une prépa d’excellence parisienne. Dans le train, le destin le met face à Olympe, une jeune fille flamboyante dépourvue de titre de transport mais pas d’idéaux révolutionnaires. «C’est un roman sur l’échappée belle, sur le droit à l’erreur qui devient de moins en moins évident», explique une Jo Witek redevenue grave. «La génération actuelle est une génération sous pression. Je voulais rappeler qu’à dix-huit ans, on a le droit d’être léger».

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«Une photo de vacances» et «Premier arrêt avant l’avenir» dont Jo Witek dévoiler la fin avant de dédicacer le livre à Francfort (© Jo Witek privé, Dominique Petre, © Actes Sud Junior, © Dominique Petre)

À Francfort, elle accepte de «divulgâcher» la fin du roman en lisant les dernières pages, parce que le public le lui réclame. Dans l’écriture, elle aime arriver au terme d’un roman: «Quel soulagement à la fin! Je garde toujours le manuscrit deux jours pour moi avant de le donner à lire. C’est le temps qu’il me faut pour me séparer des personnages et finir le voyage seule.»

Au terme de la rencontre à Francfort, le public aurait lui aussi aimé garder pour lui cette délicieuse écrivaine encore un jour ou deux. S’il laisse Jo Witek repartir, c’est qu’il pressent qu’elle n’arrêtera pas d’écrire de sitôt.


[1] Le 11 mars 2020, une rencontre avec Jo Witek a été organisée dans cette bibliothèque qui soutient les enseignants dans leur travail avec la littérature française pour enfants et adolescents.
[2] Ces productions ont été réalisées dans le cadre d’un concours lancé après la victoire de Jo Witek du « PDLA ». Les trois meilleures réalisations, dont la vidéo de la Ricarda-Huch-Schule de Gießen  sont disponibles sur le site de l’éditeur Klett.

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