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Détective dans la vraie vie. Le livre policier comme outil de promotion du «problem solving»

Rassembler des indices, formuler des hypothèses, trouver le fin mot de l'histoire: voici des étapes qui se retrouvent aussi bien dans le livre policier que lorsqu'on doit résoudre un problème auquel on est confronté. Dans cet article, Elena Rellini nous explique comment la lecture peut aider l'enfant à développer des compétences de problem solving utiles dans sa vie de tous les jours.

Livre detective vignette
Elena Rellini
5 août 2022

Cet article a initialement été publié en italien dans la revue suisse Il Folletto (1/2022). Nous reproduisons ici le texte de l'article avec l'aimable autorisation de la directrice de publication de la revue. Pour en savoir plus sur Il Folletto, lire l’article dédié sur Ricochet.


Réunissez un acte criminel et l’investigation, c'est-à-dire l'enquête pour découvrir le coupable, ajoutez la solution ou découverte, qui coïncide avec la conclusion: voilà les ingrédients fondamentaux d'un récit policier[1]. Étant donné la présence d’un crime, on pourrait penser que ce genre narratif ne convient pas aux enfants et aux jeunes. Ce n'est pas le cas. En réalité, le polar exerce une grande attraction sur les lecteurs de tous les âges. Les plus petits aussi aiment se transformer en habiles défenseurs de la justice et le genre offre cette possibilité: vivre une expérience de découverte active et participative, qui permet, le temps de la lecture, d’endosser le rôle de détective afin de démasquer le coupable, grâce aux indices recueillis au cours de l’enquête. La valeur éducative des romans policiers n’est pas non plus à sous-estimer: dans les intrigues, il y a toujours l’opposition entre le bien et le mal et entre les bonnes et les mauvaises actions; quant à la résolution du cas, elle se conclut avec la récompense attendue pour les gentils et la punition méritée pour les vilains. Le polar est aussi un outil utile pour affermir le jugement moral et, grâce au dénouement final, il remplit une fonction cathartique et libératrice. Évidemment, il est important que les livres policiers lus par les plus jeunes soient adaptés à leur âge et qu’ils ne contiennent pas des formes de violence brutale, des personnages négatifs présentés comme héros, un discrédit excessif des forces de l’ordre ainsi que des crimes particulièrement sanglants. Ces précautions sont nécessaires pour empêcher que le jeune lecteur s’identifie aux personnages négatifs et que son sens éthique soit déformé, brouillant ainsi tous les repères dans sa conscience en construction.

Enfant lecture
La lecture de polars permet de développer des compétences utiles dans la vie de tous les jours (© Pixabay)

Les caractéristiques du roman d’enquête, à savoir le développement logique, les liens de cause à effet, l’invitation constante à évaluer soigneusement les indices et à approfondir tous les détails, en font un support pédagogique de choix à utiliser aussi en milieu scolaire. En effet, ces particularités permettent d’«exercer» activement les compétences logico-déductives utiles dans l’activité d’apprentissage et, plus généralement, dans les processus quotidiens de problem solving. Cette faculté, définie comme life skill, dans le document Life Skills Education in Schools, élaboré par l’Organisation mondiale de la santé en 1994, se présente comme la capacité à résoudre les problèmes et, plus spécifiquement, comme «l’ensemble des compétences qui permet d’affronter de manière constructive les différents problèmes que les gens rencontrent au quotidien et qui, s’ils ne sont pas résolus, peuvent être source de stress et de tensions physiques»[2]. Comme on peut le constater dans cette définition, la résolution des problèmes n’est pas uniquement considérée comme une activité liée aux apprentissages de disciplines principalement scientifiques. Le problem solving, au contraire, se présente comme «une faculté caractéristique d’un véritable style cognitif qui procède de manière stratégique dans la recherche de la solution», indépendamment du domaine ou du contexte dans lesquels le sujet agit. L’importance de la promotion du problem solving est motivée par le fait que son développement à l’âge scolaire peut permettre d’éviter l’apparition de problématiques à l’âge adulte.

Détective enfant
De détective dans les livres à détective dans la vraie vie (© Pixabay)

Examinons donc comment la lecture d'un livre permet de promouvoir une compétence si importante pour la vie de chaque personne. Aussi bien dans le roman policier que dans le problem solving, le point de départ est l’existence d’un problème réel, qui concerne la vie des sujets impliqués. Le processus à travers lequel ce cas/problème trouve sa résolution est très similaire. On débute par une analyse du problème, qui permet de mettre en évidence ses caractéristiques, c’est-à-dire les données qui peuvent être tirées du contexte dans lequel le problème se présente ainsi que du problème lui-même. Ensuite, le sujet en charge de l’enquête formule des hypothèses de résolution sur la base des informations en sa possession. Enfin, ces hypothèses sont mises à l’épreuve à travers l’élaboration et la mise en œuvre ultérieure d’un plan d’action, lequel consiste en un ensemble d’opérations et d’actions qui permettent de résoudre le cas/problème initial. La méthode de la detection utilisée par le protagoniste d’un livre d’enquête est donc très semblable au comportement d’un sujet qui doit résoudre un problème. Grâce à cette ressemblance, le détective assure, aux yeux des lecteurs, le rôle d’expert, d’exemple à suivre dans la solution d’un cas/problème. Mais la «similitude» entre le genre en question et le problem solving ne se limite pas à cela. Dans les deux cas, en effet, l’individu qui solutionne le cas/problème doit posséder et utiliser certaines qualités et capacités: la logique, l’esprit hypothético-déductif et, last but not least, l’intuition. La logique et l’esprit hypothético-déductif permettent au détective et au «solutionneur de problèmes» d’analyser les indices et les données obtenus par le contexte et par le problème lui-même, et à travers ceux-ci, d’élaborer et mettre en acte des hypothèses de résolution. L’intuition, quant à elle, apparaît comme fondamentale dans la phase précédente, à savoir dans la recherche des indices et des données. En effet, lorsqu’on est confronté à un problème, quelle que soit sa nature, le «point de vue» par lequel on observe et on analyse le problème est de la plus haute importance pour la solution qui suivra. L’intuition, dont l’enquêteur est doté, permet ainsi de saisir l’indice clé qui se révèlera fondamental pour l’élucidation du cas/problème. Il est donc évident que la lecture de romans et de récits policiers, en plus de montrer au jeune public, à travers la structure des textes, un modèle des étapes qu’il faut franchir pour résoudre un problème, fournit aussi un exemple d’une autre manière de réfléchir. Une pensée latérale qui ne se limite pas à saisir seulement les faits les plus évidents résultant de l’observation à partir d’un angle unique, mais s'étend jusqu'à englober des éléments qui, s'ils semblent à première vue insignifiants, sont au contraire des indices fondamentaux pour résoudre l’affaire. Sur la base de ce qui a été dit, il est clair que la logique rigoureusement conséquentielle qui caractérise les histoires policières stimule le raisonnent déductif, aiguise les capacités d’analyse, de prévision et d’inférence, exerce l’intuition et stimule la faculté d’observation aussi des plus petits détails. Tout ceci constitue la base des compétences logico-déductives qui sont particulièrement utiles dans le travail scolaire et de la compétence en matière de problem solving.

Bien entendu, il est important de souligner que, pour développer toutes ces compétences, il ne suffit pas de lire passivement les pages d’un livre policier mais, au contraire, il est nécessaire de se plonger dans l’histoire et d'en devenir les protagonistes actifs. Il ne faut pas accepter la solution du cas présenté par le texte sans réagir, mais plutôt s’impliquer en raisonnant et en formulant des hypothèses pour le résoudre avant le protagoniste de l’histoire. En bref, accepter le défi proposé par l’auteur et s’engager activement pour le remporter.


Elena Rellini est née en 1994 e vit à San Venanzo, dans la province de Terni. Diplômée avec mention en sciences de l’éducation primaire à l’Università degli Studi di Perugia, elle est enseignante dans une école primaire. Elle a approfondi l’étude du genre policier en conjuguant sa passion pour la lecture et ses intérêts liés à sa profession. Elle a publié l’essai La lettura del giallo, Edizioni Temperino Rosso. 

Article traduit de l'italien par Rebecca Laviola.


[1]En italien, pour désigner le genre du polar, il existe un terme spécifique: giallo. Cette appellation est étroitement liée à la couverture jaune de la collection Gialli Mondadori sortie en 1929 et dédiée aux romans policiers [Ndt].
[2]Traduit à partir de l’italien [Ndt].


Pour compléter la lecture de cet article, Ricochet vous propose une sélection de livres policiers/d'enquête récents repérés par nos rédacteurs et rédactrices.

Pour les plus petit·e·s

1. Raymond la taupe, détective, de Camilla Pintonato, Seuil Jeunesse, 2021
Album, dès 3 ans

2. Mimose & Sam. Basilic en panique, de Cathon, Bayard Jeunesse, 2020
Bande dessinée, dès 4 ans

3. L'étrange ronflement, d'André Bouchard, Seuil Jeunesse, 2019
Album, dès 6 ans

Livres détective 1
Couvertures de «Raymond la taupe, détective», «Mimose & Sam. Basilic en panique», «L'étrange ronflement» (© Seuil Jeunesse, © Bayard Jeunesse, © Seuil Jeunesse)

4. Trois Portugais sous un parapluie (sans compter le mort), de Rodolfo Walsch et Inés Calveiro, Les 400 coups, 2017
Album, dès 7 ans

5. Les enquêtes de Maëlys (T. 19). Grands frissons à La Brévine, de Christine Pompéï et Raphaëlle Barbanègre, Auzou Suisse, 2019
Roman, dès 8 ans

6. Jeanne détective de la jungle: premières enquêtes, de Michel-Yves Schmitt et Lucie Maillot, La Boîte à Bulles, 2018
Bande dessinée, dès 8 ans

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Couvertures de «Trois Portugais sous un parapluie (sans compter le mort)», «Les enquêtes de Maëlys (T. 19). Grands frissons à La Brévine», «Jeanne détective de la jungle: premières enquêtes» (© Les 400 coups, © Auzou Suisse, © La Boîte à Bulles)

7. Madame Badoubeda, de Sophie Dahl et Lauren O'Hara, Gallimard Jeunesse, 2020
Album, dès 8 ans

8. Le Club de la pluie dans le train de la peur, de Malika Ferdjoukh et Cati Baur, L'École des loisirs, 2021
Roman, dès 8 ans

9. Othello: le chien du 9 heures 28, d'Aurélie Magnin et Charlotte Meert, Alice Jeunesse, 2021
Roman, dès 9 ans

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Couvertures de «Madame Badoubeda», «Le Club de la Pluie dans le train de la peur», «Othello : le chien du 9 heures 28» (© Gallimard Jeunesse, © L'École des loisirs, © Alice Jeunesse)

Pour les plus grand·e·s

10. Les enquêtes de Sherlock Holmes: l'homme à la lèvre tordue, d'Arthur Conan Doyle et Anton Lomaev, Sarbacane, 2020
Nouvelles, dès 10 ans

11. Série CLUE. Crime à Ålodden, de Jorn Lier Horst, Rageot, 2022
Roman, dès 10 ans

12. Jefferson, de Jean-Claude Mourlevat et Antoine Ronzon, Gallimard Jeunesse, 2018
Roman, dès 11 ans

13. Octobre, un crime, de Norma Huidobro, L'École des loisirs, 2015-2021
Roman, dès 11 ans

Livres détective 4
Couvertures de «Les enquêtes de Sherlock Holmes : l'homme à la lèvre tordue», «Série CLUE. Crime à Ålodden», «Jefferson», «Octobre, un crime» (© Sarbacane, © Rageot, © Gallimard Jeunesse, © L'École des loisirs)

14. Brigade sud: manga connexion, de Jean-Luc Luciani, Rageot, 2014
Roman, dès 12 ans

15. Les Flamboyants: nous, on a tué personne!, de Hubert Ben Kemoun, Sarbacane, 2022
Roman, dès 12 ans

16. Le vallon du sommeil sans fin, d'Eric Senabre, Didier Jeunesse, 2018
Roman, dès 13 ans

17. L'assassin du marais, de Catherine Cuenca, Scrineo, 2019
Roman, dès 14 ans

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Couvertures de «Brigade sud: manga connexion», «Les Flamboyants: nous, on a tué personne!», «Le vallon du sommeil sans fin», «L'assassin du marais» (© Rageot, © Sarbacane, © Didier Jeunesse, © Scrineo)

18. Un détective très très très spécial, de Romain Puértolas, La Joie de Lire, 2017
Roman, dès 14 ans

19. L'hôpital des sorciers, de Catherine Cuenca, Scrineo, 2020
Roman, dès 14 ans

20. Cannibale, de Danielle Thiéry, Syros, 2020
Roman, dès 15 ans

Livres détective 6
Couvertures de «Un détective très très très spécial», «L'hôpital des sorciers», «Cannibale» (© La Joie de Lire, © Scrineo, © Syros)