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Poissons d'avril! 14 suggestions de lecture maritime

Ce n'est pas une plaisanterie du 1er avril! Aujourd'hui, Ricochet se jette à l'eau pour vous faire découvrir 14 ouvrages qui mettent en scène poissons, requins, baleines... et bien d'autres encore!

Vignette-Odyssée

Poissons...

1. Amélie et le poisson, de Helga Bansch, Talents Hauts, 2015
Album, dès 3 ans

Amélie regarde avec inquiétude la mer lui lécher les orteils. La petite fille appréhende cette immensité bleue inconnue. Un poisson sans gêne fait sursauter la fillette. En l'observant, elle décide de le prendre comme compagnon de jeux. La peur envolée, elle plonge, saute et rit en bonne compagnie. Lorsqu'il est temps de partir, Amélie dit au revoir à son ami déjà disparu. Déçue, elle réfléchit à la meilleure façon de garder son bel animal à écailles pour toujours.

Cette chronique du bord de mer aborde, avec une très belle sensibilité, les thèmes de la liberté et du respect. La quasi-totalité des enfants éprouvent, au moins une fois dans leur vie, l'envie de kidnapper un insecte ou un animal pour le garder enfermé dans un bocal. Amélie ne fait pas exception à cette règle, et regarde nager son compagnon de jeu désormais confiné dans son minuscule aquarium. L'air malheureux du poisson plaide pour sa remise en liberté.

«La liberté commence où l'ignorance finit.» Cette citation de Victor Hugo résume bien le contenu de ce très bel album aux illustrations enchanteresses (mélange de diverses techniques pour parvenir à une texture remarquable) alternant plans larges et rapprochés.

Un album très abouti destiné aux tout-petits! (EP)

Helga Bansch, Amélie et le poisson
Couverture et page intérieure d'«Amélie et le poisson» de Helga Bansch (© Talents Hauts)

2. Tout un monde sous l'eau, de Kate Messner et Christopher Silas Neal, Gründ, 2017
Album, dès 4 ans

A l’occasion d’une balade en canoë sur un étang, une mère et son fils nous font découvrir tout un univers végétal, animal, aquatique jusqu’alors insoupçonné de l’enfant. A la question de son fils «Qu’y a-t-il là-dessous?», la maman répond par une description à la fois très précise et poétique. En présentant de manière spontanée ce monde visible et invisible si foisonnant qui évolue sur et sous l’étang, elle fait l’éloge de la Nature. Tout y est pensé, réfléchi: la mort de certaines espèces animales permet le renouvellement d’autres; le sable tapissant le fond de l’étang est le matériau privilégié par le trichoptère pour se construire un abri; l’élan se régale lui des nénuphars. Rien n’est effectivement laissé au hasard dans ce microcosme!

Cette escapade livresque, en mots et en images, dans la faune et la flore d’un étang, en même temps qu’elle apporte de nombreuses informations documentaires, fait appel à l’imaginaire de l’enfant. La question initiale de l’enfant tout à la fois empreinte de naïveté, de curiosité (et peut-être de peur) fait en effet place à des illustrations qui s’étendent le plus souvent sur des doubles-pages, afin de donner le premier rôle aux plantes et aux animaux. L’on découvre ainsi avec des yeux ébahis tout un écosystème au fonctionnement très rôdé et à l’architecture très élaborée: c’est l’occasion pour l’auteure et l’illustrateur de cet album de faire découvrir aux jeunes lecteurs des animaux au nom très évocateur comme «la carouge à épaulettes» ou le «balbuzard». La lecture de cet album très riche en images et en informations peut d’ailleurs être prolongée par quelques pages documentaires dans lesquelles l’auteure met en exergue certains animaux impliqués dans l’histoire. (HD)

3. Le garçon qui nageait avec les piranhas, de David Almond et Oliver Jeffers, Gallimard Jeunesse, 2015
Roman, dès 9 ans

Stan Potts s'enfuit de sa maison (devenue conserverie de poisson) le jour où son oncle tue ses poissons rouges pour les mettre en conserve. Pour vivre, ce jeune garçon se met au service de Dostoïevsky, patron du stand «Pêche aux canards» d'une fête foraine. Dans sa nouvelle existence, Stan apprécie surtout la présence des magnifiques poissons rouges et dorés qu'il distribue aux clients gagnants. Pancho Pirelli, l'homme qui nage avec les piranhas a bien compris que le cœur de ce garçon bat pour ces minuscules créatures et c'est pour cela qu'il l'engage. Stan parviendra-t-il à relever le défi?

J'ai été immédiatement envoûtée par l'atmosphère particulière qui se dégage de cet excellent récit signé David Almond. Stan Potts, partage sa vie avec celle des forains, dont certains nous font penser à ceux, mythiques, de la foire aux monstres. Mais ces originaux sont bien innocents en comparaison de l'équipe des dingues du «département pour l'Intrediction des nuisansses Gluantes d'Urluberlus Egsentriques!» Ces derniers, persuadés de savoir ce qui est bon pour les autres, traquent sans relâche tout ce qui dépasse. Pour eux, le monde du cirque se résume en «Pertéfraka». Mais les piranhas n'ont pas dit leur dernier mot! Au-delà de ces délires plutôt drôles – clin d'œil à certains fonctionnaires trop zélés – se dessine un roman initiatique à travers la relation de Pancho Pirelli et de Stan Potts. Le grand maître des poissons – avec une méthode personnelle plutôt touchante – passe le relais à celui qu'il a reconnu comme son digne successeur. Ce qui provoque de belles choses chez ce garçon orphelin à qui la vie n'a pas forcément sourit jusqu'ici...

Un livre intelligent, sensible et profond à accompagner d'une musique tsigane. (EP)

Messner et Almond
«Tout un monde sous l'eau» de Kate Messner et Christopher Silas Neal (© Gründ) et «Le garçon qui nageait avec les piranhas» de David Almond et Oliver Jeffers (© Gallimard Jeunesse)

 

... et autres créatures marines

4. Si curieux, de Florian Pigé, HongFei Cultures, 2018
Album, dès 2 ans

La petite tortue regarde en haut: aucun doute, elle veut découvrir et observer le monde. Plus loin, plus haut, plus bas… il y a une multitude de choses à regarder, à scruter, à connaitre. Qu’y a-t-il à voir sur la banquise? Dans les airs? Ou sous l’eau? Pourquoi les girafes dorment-elles debout? Pourquoi les serpents n’ont-ils pas de patte? Jusqu’où ira se promener cette petite tortue bien curieuse qui part explorer la Terre entière?

Nulle réponse n’est livrée au sein des pages mais la curiosité est mise à l’honneur: loin d’être un vilain défaut, elle permet de mieux connaître le monde. Avec peu de couleurs et une mise en page épurée, l’image captera facilement le regard des plus jeunes et éveillera sans aucun doute leur propre curiosité. Quant au dénouement, petit clin d’œil au lecteur, il l’inclut davantage encore dans l’histoire: de quoi donner envie d’aller explorer une multitude de livres et, bien sûr, le vrai monde alentour. Voilà une bien jolie invitation à l’aventure et à la découverte! (DM)

Florian Pigé, Si curieux
Couverture et image intérieure de «Si curieux» de Florian Pigé (© HongFei Culture)

5. Profession crocodile, de Giovanna Zoboli et Mariachiara Di Giorgio, Les Fourmis Rouges, 2017
Album, dès 4 ans

Et si «crocodile» était un métier comme un autre? C’est l’argument amusant développé par Giovanna Zoboli et Mariachiara Di Giorgio dans leur album Profession crocodile. Couché dans son lit avec son petit pyjama rayé, un crocodile rêve de palmiers. Le réveil qui sonne, le ramène à la réalité, il faut se lever. Se lever, se laver, déjeuner, s’habiller. Ce crocodile est un homme élégant, chapeau, écharpe. Lorsqu’il sort de chez lui et qu’on le voit dans l’ascenseur avec un voisin tout à fait humain, on est un peu étonné.

Mais c’est un des charmes de cet album. Il fait cohabiter de façon très «naturelle» les scènes de la vie quotidienne, la rue, le métro, les commerces avec leurs hommes, leurs femmes et enfants et la fantaisie, avec ce crocodile humanisé nez au vent que personne ne remarque. Cette alliance de prosaïsme et de fantaisie très douce s’appuie sur une technique d’illustration à l’encre, fluide, transparente. La mise en scène utilise le format à l’italienne, avec de larges vignettes, alternant plan large et détails, commerce vu de la rue ou de l’intérieur; vue d’ensemble du métro ou lecteurs serrés dans la rame. Ce découpage offre des surprises un peu comme dans une BD avec des histoires adjacentes qui ne demanderaient qu’à être développées. Dans le wagon, une girafe au long cou a la chance de dominer la situation; un hippopotame manque de place; en traversant le parc, le crocodile lance subrepticement un bouquet de violettes à sa belle au balcon. Cette vigilance imposée par l’image est comme un sous-texte de l’histoire principale qui se poursuit jusqu’au zoo où le crocodile retrouve son bassin et son rôle: il est crocodile «professionnel»; il accueille les visiteurs. A bien y regarder cette grand-mère et son petit-fils, on les a déjà rencontrés, dans le métro …

Beaucoup d’humour et de subtilité dans cet album qui mélange les codes, les formes, les règnes en toute liberté. (DB)

Zoboli, Profession Crocodile
Couverture et images intérieures de «Profession crocodile» de Giovanna Zoboli et Mariachiara Di Giorgio (© Les Fourmis Rouges)

6. Ballade pour une baleine, de Lynne Kelly, Milan, 2020
Roman, dès 12 ans

Iris est malentendante depuis sa naissance. Elle supporte mal la sollicitude forcée de ses camarades de classe et préfère se réfugier dans son amour des vieilles radios – elle sent les ondes émises. Un jour, elle apprend l’existence d’une baleine mâle qui chante sur une fréquence différente de celle de ses congénères et ne parvient donc pas à se faire comprendre. Solitaire, Blue 55 est suivie de loin en loin par les scientifiques. Pour Iris, faire la connaissance de cet animal va devenir un rêve. Avec l’aide de sa grand-mère, elle «fugue» en Alaska.

Écrit à la première personne (Iris) et au présent, le roman évite l’écueil de la difficile représentation des difficultés de communication. Nous savons ce que la délicate mais décidée héroïne pense et fait jour après jour, tandis que des courts interludes proposent de suivre Blue 55 à travers un «il» puissant et mélancolique. Le thème du handicap est traité à la fois avec émotion et sans fards, ce qu’on ne peut qu’applaudir: le travail de sensibilisation dans un écrin littéraire est parfait. A lire sans hésiter. (SP)

7. Titan noir, de Florence Aubry, Le Rouergue, 2018
Roman, dès 13 ans

Comme tous ceux qui l’ont vu, le documentaire Blackfish retraçant la lourde vie de l’orque mâle Tilikum a sans aucun doute plus ou moins traumatisé Florence Aubry. L’écrivain s’en est donc inspiré pour en faire un roman, avec des personnages et des lieux eux totalement inventés. Nous suivons l’histoire en captivité d’Oscuro, rebaptisé Titan à mesure qu’il change de parc après avoir blessé ou tué des humains. Parce qu’il est un reproducteur valant beaucoup d’argent, il ne sera pas euthanasié et traînera sa haine, sa dépression pendant des années.

Ecrit blanc sur noir, c’est le point de vue de l’animal, mais sans anthropomorphisme puisque raconté par un vieil homme à l’origine de la capture de l’orque et qui, bourrelé de remords, l’a toujours suivie depuis. Ecrit noir sur blanc, c’est le récit en «je» de la jeune et naïve Elfie, nouvelle dresseuse de Titan préférant d’abord penser que les animaux l’aiment comme elle les aime. Malgré une fin ouverte et positive, tout cela fait mal, très mal à nos petites consciences, et c’est tant mieux. Alors que la question du rapport homme/animal devient un thème de société majeur, ce roman explicite et néanmoins sensible apportera sa pierre de colère à la réflexion… Son parti pris est évident, mais qu’il s’agisse d’orques, de bélugas ou de manchots simplement dédiés au plaisir de l’homme, y a-t-il seulement sujet à discussion? (SP)

Kelly et Aubry
«Ballade pour une baleine» de Lynne Kelly (© Milan) et «Titan noir» de Florence Aubry (© Le Rouergue)

 

Les multiples facettes des océans

8. Océano, d'Anouck Boisrobert et Louis Rigaud, Hélium, 2013
Livre animé, dès 3 ans

Après Dans la forêt du paresseux et Popville, Anouck Boisrobert et Louis Rigaud nous invitent cette fois-ci à un voyage à travers mers et océans. Au fil des cinq doubles pages qui se déploient sous l'œil émerveillé du lecteur, ils nous font suivre la navigation d'Océano, petit voilier parti pour un long voyage. De l'océan arctique à un lagon bleu des mers du sud, lorsque la tempête se déchaîne ou sur une mer paisible, ils nous font découvrir ce qui se passe à la fois à la surface de l'eau et dans les profondeurs, grâce à un jeu de découpage de la page en deux plans.

La magie opère et le résultat est bluffant! On plonge avec bonheur dans cet océan de détails et chaque nouvelle lecture révèle quelque chose de nouveau qui avait auparavant échappé au regard...

On reste sans voix devant la grande technicité nécessaire à la réalisation de cet ouvrage et devant la finesse des illustrations, qui visitent toute la gamme des bleus.

Ce magnifique album allie avec intelligence un message de préservation des fonds marins, tout en montrant toute la beauté qui s'en dégage. Et il évite au passage le piège d'une certaine lourdeur moralisatrice qui guette trop souvent lorsqu'il s'agit de sensibiliser à l'écologie.

Une très belle réussite! (SBK)

Boisrobert, Océano
Couverture et image intérieure de «Océano» d'Anouck Boisrobert et Louis Rigaud (© Hélium)

9. Odyssée, de Peter Van den Ende, Sarbacane, 2020
Album, dès 9 ans

 

Enjeux environnementaux

10. Enal et le peuple de l'eau, de Laurence Pérouème et Pascale Maupou Boutry, Cipango, 2018
Album, dès 6 ans

Enal est issu du Peuple de l’eau, qui vit «là-bas, tout là-bas, au beau milieu de l’Océan». Le Peuple de l’eau vit depuis la nuit des temps en totale harmonie avec la faune et la flore. La preuve, le meilleur ami du jeune garçon prénommé Kelapa est un requin!

Mais un jour, parce que des pêcheurs ont bravé les lois du Peuple en utilisant des explosifs qui ont abîmé les fonds marins et décimé des poissons, Naga, l’esprit des mers, provoque une tempête pour se venger. Afin d’apaiser le courroux de ce dieu, le jeune garçon est missionné auprès de lui afin d’apporter une statuette magique en guise d’offrande. Pour sauver son peuple, Enal est prêt à tout et c’est avec courage et détermination qu’il s’enfonce dans l’océan afin d’implorer la clémence de l’esprit des mers.

Ce voyage au cœur de l’océan et de cette légende est l’occasion pour les auteures de l’album de faire réfléchir les jeunes lecteurs sur divers enjeux environnementaux actuels et de les sensibiliser à l’écologie. La Terre appartient à tous, aux êtres humains, aux animaux bien sûr, mais également aux différentes espèces végétales qui peuplent les paysages terrestres et la mer. Il nous faut donc la traiter avec respect et intelligence, ce qu’a d’ailleurs toujours fait le peuple indonésien des Bajau (auxquels les auteures de ce livre rendent hommage) surnommés les «nomades de la mer», capables de descendre en apnée jusqu'à 70 mètres de profondeur avec comme uniques équipements des poids et un masque de bois!

C’est un magnifique texte engagé qu’a écrit Laurence Pérouème et qu’illustre Pascale Maupou Boutry en usant, dans les mots comme dans les illustrations, de poésie, de douceur et d’inventivité. (HD)

Pérouème, Enal
«Enal et le peuple de l'eau» de Laurence Pérouème et Pascale Maupou Boutry (© Cipango)

11. Sur mon île, de Myung-Ae Lee, La Martinière, 2019
Album, dès 6 ans

Ce premier album pour la jeunesse d’une illustratrice coréenne est un choc, autant pour les petits que pour les grands. Un simple paragraphe introductif guidera le lecteur au départ: «On estime que 300 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année dans le monde, dont près de 10 % finissent dans les océans».

Un narrateur (enfant ou animal, on ne peut le déduire qu’à la fin) déroule ensuite l’histoire apparemment inoffensive, celle d’une petite île investie périodiquement par des mammifères marins et des oiseaux attirés par les bancs de poissons. A leur arrivée, ils ne reconnaissent pas leur environnement traditionnel et se fondent alors à en mourir dans un tas de petites choses colorées: les résidus de plastique.

Sur des fonds ivoire, les êtres vivants se déclinent eux uniquement en nuances de gris. L’effet est choquant, d’autant que les animaux, pourtant représentés simplement, finissent par prendre des expressions de tristesse insondable. In fine, on comprend que la fameuse île est entièrement constituée de déchets (le «septième continent»), et qu’elle ne cesse de grandir...

Une démonstration par l'exemple sobre, salutaire, indispensable. (SP)

12. Plasticus maritimus: une espèce envahissante, d'Ana Pêgo, Isabel Minhós Martins et Bernardo P. Carvalho, L'Ecole des loisirs, 2020
Documentaire, dès 8 ans

«Si un problème nous préoccupe, si on arrive à voir la gravité de ses conséquences, alors on doit croire en notre pouvoir d’action et se retrousser les manches.»

Écrit par la biologiste marine Ana Pêgo et l’auteure Isabel Minhós Martins, ce livre documentaire passionnant propose de décortiquer le problème de la pollution plastique, qui constitue 80 % des déchets présents dans les océans. L’originalité réside notamment dans la décision d’étudier le plastique comme une espèce envahissante, qu'Ana Pêgo a appelée Plasticus maritimus. Les auteures ont conçu l’ouvrage comme un guide de terrain pratique et rigoureusement documenté afin que tout lecteur puisse comprendre l’importance des océans pour l’équilibre de notre planète ainsi que la menace que représente le plastique dans l’environnement marin. En plus d’évoquer le danger davantage connu des microplastiques issus des déchets qui se fragmentent en de minuscules particules pour finir dans l’estomac des animaux marins puis finalement dans nos assiettes, les auteures citent le chiffre effrayant de 8 millions de tonnes de plastique qui se retrouveraient déversés dans les océans et ce chaque année. Le ton est alarmiste, à juste raison.  

Passionnée de la mer et de ses merveilles depuis son enfance, Ana Pêgo apporte des conseils pratiques aux lecteurs afin qu’ils enfilent leurs habits de «beachcomber» et nettoient leurs plages en ramassant les déchets. Ana Pêgo expose ensuite quelques-uns des objets les plus étranges qu’elle a trouvés lors de ses propres sorties sur les rives portugaises, comme une ration d’eau d’urgence de la marine russe, une boîte de cigarettes chinoises ou encore des étiquettes de pièges à homards canadiens. Preuve, s’il en faut, que nos déchets voyagent.

La dernière partie du livre déconstruit l’idée rassurante que le recyclage est la solution toute faite à notre consommation de plastique. A nouveau, les auteures proposent des actions ciblées pour réduire, voire éliminer le plastique de notre quotidien (en bannissant par exemple pailles et ballons) et présentent des exemples encourageants autour du globe.

Superbement écrit, richement documenté, les informations s’avèrent à la fois accessibles et claires. Le texte est illustré par Bernardo P. Carvalho, dont les crayons de couleur apportent lumière et émotion à la densité du récit. Remuant, inspirant et tristement essentiel, voilà un ouvrage qui mérite une place sur toutes les étagères. (NT)

Lee et Pêgo
«Sur mon île» de Myung-Ae Lee (© La Martinière) et «Plasticus maritimus: une espèce envahissante» d'Ana Pêgo, Isabel Minhós Martins et Bernardo P. Carvalho (© L'Ecole des loisirs)

 

Deux classiques de la littérature maritime adaptés pour la jeunesse

13. Moby Dick, de Herman Melville et Jame's Prunier, Milan, 2014
Album, dès 6 ans

Les classiques abrégés ont une double fonction: créer une culture commune autour de textes fondateurs tels Ulysse, Les Misérables ou Pinocchio et susciter le désir de lire l’œuvre intégrale. Les beaux albums Milan répondent pleinement à ce défi, Moby Dick illustré par Jame’s Prunier à cette ambition.

L’essentiel de l’œuvre de Herman Melville se retrouve dans cette traduction. Ishmaël veut partir soigner son mal de vivre en éprouvant l’aventure fabuleuse de la chasse à la baleine. Il lui faut d’abord trouver un équipage. Ce sera chose faite avec Queequeg, un cannibale extraordinaire, fort et tatoué au-delà de l’imaginable, à bord du Péquod, un vieux bateau solide mené par le capitaine Achab. Le capitaine unijambiste n’a qu’une idée en tête: abattre Moby Dick, la terrible baleine blanche. Sans que les hommes en soient vraiment conscients, il poursuit ce seul but et le voyage prend une allure de quête métaphysique où s’opposent la volonté humaine et la force de la nature. Achab est un personnage inquiétant, déraisonnable, sans charité. Ishmaël l’observe et raconte le premier assaut, le second et la défaite finale.

L’illustration sublime le récit. Le travail de Jame’s Prunier colle à l’époque. Les premiers paysages évoquent les brumes de Corot et le charme des premiers Cézanne. Les portraits de Queequeg sont raffinés et étranges à souhait, Achab impressionne! Les scènes de mer empruntent aux codes des «marines» – ces beaux tableaux qui exaltent la force de la mer – l’élégance des voiliers. L’illustration est à elle seule un voyage et entre la forme suspecte sur la couverture et la dernière image d’Ishmaël flottant sur le cercueil de Queequeg, le souffle du drame lyrique se déploie autant par le texte que par l’image. Un classique magistral. (DB)

Moby Dick
«Moby Dick» de Herman Melville et Jame's Prunier (© Milan)

14. Robinson Crusoe, de Daniel Defoe et Christophe Gaultier, Delcourt, 2007
Bande-dessinée dès 12 ans

Robinson Crusoë est l'un des personnages les plus célèbres de la littérature, connu essentiellement pour son naufrage et pour avoir passé une bonne partie de sa vie sur une île déserte qu'il s'efforça de domestiquer et de faire prospérer avec les valeurs qui prédominaient dans l'aristocratie européenne du XVIIème siècle. Ce personnage et son aventure ont donné lieu par la suite à quantité d'adaptations, de relectures et re-créations. Le naufragé et l'île sont devenus deux personnages très forts dans la littérature d'aventures et une véritable manne pour les auteurs de «robinsonnades»: une terre vierge – qu'elle soit île ou planète lointaine – inconnue, menaçante, mystérieuse, à découvrir, à dompter parfois, à respecter aussi, où il faut lutter pour la survie, pour l'évasion, pour l'édification d'une vie sociale ou personnelle.

Si l'on connaît bien toute la partie du roman de Defoë où le personnage vit sur l'île et procède à sa domestication, en bon gentilhomme «civilisé», on connaît beaucoup moins la première partie du roman, où le narrateur nous raconte ses premiers contacts avec l'aventure, lorsqu'il quitte la terre ferme et sa ville natale York pour aller à Londres, la violente tempête qui, au 7ème jour de navigation, provoque un naufrage tout près de Londres qu'il rallie à pied. Le jeune homme fait un court séjour dans la capitale avant de reprendre la mer pour la deuxième fois sur un navire marchand en partance pour la Guinée, subir les inimitiés de l'équipage et une bonne fièvre tropicale, rencontrer des pirates turcs puis croiser un bâtiment portugais en route vers le Brésil, s'associer avec le capitaine Sinforosa pour devenir planteur. Il passe plusieurs années au Brésil avec son associé à développer leurs plantations respectives avant de repartir, mandaté par ses collègues, vers la Guinée à bord d'un navire négrier! Il doit, dans le plus grand secret, aller y acheter des esclaves. C'est au cours de ce voyage qu'il fait à nouveau naufrage, celui qui aboutit à ses 22 années de séjour sur «son» île! Le premier volume de l'adaptation de Robinson Crusoë (qui en comptera trois au total) est consacré à cette partie-là du roman de Defoë.

Les images d'Epinal édifiées autour de Robinson Crusoë sont loin de la vérité du personnage qui apparaît dans le roman et que Christophe Gaultier met en scène dans la bande dessinée. Robinson Crusoë est un aristocrate qui s'oppose à la volonté de son père: ce dernier le voulait avocat, il choisit l'aventure, la mer, parfois amère d'ailleurs car il n'a guère le pied marin. Il se rêve brave, il a peur. Il se croit noble, il est souvent mesquin, arrogant, méprisant. C'est aussi un esclavagiste, qui n'a aucun scrupule à aller en Guinée acheter des esclaves! Ce sont toutes ces facettes du personnage que Christophe Gaultier met en avant dans sa relecture du texte, avec un très beau travail graphique, pertinent, expressif, presque expressionniste, et une mise en couleurs aussi sombre que cet anti-héros. La première vision du personnage, dès la première planche de l'album, donne le ton, ironique et distancié: le «héros» est verdâtre, affalé au bastingage du navire qui l'emmène à Londres, en proie à un violent mal de mer. En même temps qu'il vomit tripes et boyaux, il affirme être un aventurier dans l'âme! C. Gaultier ne nous montre pas un personnage sympathique, ce qu'il n'est pas non plus dans le roman d'ailleurs. Il l'empoigne dans toute sa complexité, ses contradictions, ses difficiles relations aux autres car il est marqué par la poisse, la malchance ... et c'est tout cela, toute cette diversité que le dessinateur parvient à exprimer avec beaucoup de nuances et de précisions.

Un remarquable travail d'adaptation ou de re-création, qui permettra aussi aux lecteurs de se plonger dans l'intégralité du roman avec plus de clés. (CG)

Robinson Crusoe
«Robinson Crusoe» de Daniel Defoe et Christophe Gaultier (© Delcourt)

Les rédactrices: Emmanuelle Pelot (EP), Hélène Dargagnon (HD), Déborah Mirabel (DM), Danielle Bertrand (DB), Sophie Pilaire (SP), Stéphanie Baur Kaeser (SBK), Le cahier de lecture de Nathan, Nicole Tharin (NT), Catherine Gentile (CG)


Image de vignette: image intérieure de Odyssée de Peter Van den Ende (© Sarbacane)