Le grand trou américain

« Tomber dans le trou », « un trou noir » expressions familières qui disent la surprise, l’étonnement voire l’inquiétude. Toutes ces émotions jaillissent à la lecture de l’album « le grand trou américain » de Michel Galvin. « Grand pays », « grande classe », « grands yeux », « petit écran », l’auteur nous prévient, ce livre est un hommage aux USA tel qu’un enfant pouvait les imaginer dans les médias magiques du cinéma, de la télévision. Partant de là, l’onirique, le comique, le délirant cohabitent. Le narrateur, un jeune garçon, répète une histoire extraordinaire que son papa lui a racontée : les Américains ont fabriqué un « trou gigantesque » qui clone ceux qui y tombent. Parallèlement à ce récit exprimé sur un ton familier, l’illustration se déploie entre parade de cirque et univers totalitaire, les policiers matraques au poing arrivent en justiciers ; dans l’univers des gratte-ciels, marqués par la raideur du futurisme, le graphisme des enseignes « bebabeloula » évoque le rock des années '60. A la fin, le trou est roulé comme un vulgaire couvercle de boîte de sardines dans laquelle tout se ressemble… Chaque image recèle des éléments étranges auxquels on peut attribuer une valeur symbolique. Par exemple, les GIs débarquent sur le trou noir, ils chutent dans le trou pour attraper les brigands mais dans le trou, ils en ramènent « plein mais pas tous à ce qu’il paraît », on pense à la situation mondiale actuelle et on perçoit l’admiration pour la puissance, mais aussi la puissance dérisoire. Le récit primesautier, avec ritournelle « avec tout ce qu’il faut dedans », renforce le décalage entre histoire absurde, loufoque et raideur des illustrations aux couleurs tranchées noir, blanc, rouge, jaune. Comme dans la science-fiction ou dans certains films comiques de Charlot sur le productivisme, la série apparaît comme une forme typique du génie américain : dimension clonique, dans une spirale infernale, se reproduisent éléphants, voitures, chapeaux, gens, les imprudents et copies d’imprudents ! A la fois drôle et complexe, cet album pour être apprécié à sa juste valeur s’adresse plutôt à de bons lecteurs d’images.