La fille quelques heures avant l'impact

Isabelle Etcheverry est professeur de français au collège. En cette veille de week-end prolongé de Pentecôte, elle essaie coûte que coûte d’amener ses élèves de troisième quelque peu rétifs, à saisir le propos du roman de Radiguet ; Le Diable au corps. La température extérieure incroyablement étouffante et le fait qu’un concert va avoir lieu dans la soirée au cours duquel un groupe local chantera contre les idées extrémistes de la municipalité, rendent les élèves peu enclins à écouter leur professeure…

Annabelle, une élève de cette classe, aimerait pouvoir confier ses déboires amoureux à sa mère, mais la dépression dans laquelle l’a plongée l’incarcération de son père fait que c’est plutôt à Annabelle de prendre en charge sa propre mère…

Un jeune homme a été victime d’une agression. En position fœtale sur une pelouse, il agonise…

Au travers de ces trois points de vue distincts mais complémentaires, le lecteur de ce roman noir imbrique progressivement les éléments clefs de l’intrigue permettant de comprendre comment les personnages ont été amenés à vivre individuellement ou collectivement, de manière directe ou indirecte un même événement traumatisant.

Du fait de cette multiplication de perceptions, certains pourraient certes trouver la narration trop hachée, trop discontinue, mais ce choix narratif contribue justement à consolider l’intrigue, à affiner le portrait psychologique des protagonistes de l’histoire et à rendre le suspense haletant (suspense que le titre accrocheur de ce roman annonçait déjà).

Dès les premiers chapitres, grâce notamment à des échanges très percutants entre adolescents aux caractères, aux origines sociales, aux aspirations diamétralement opposés, associés à des descriptions tout à fait vraisemblables, le récit acquiert un réalisme déroutant voire sombre. Le portrait qui est à lire du monde adolescent actuel, marqué par un besoin criant d’amour et de reconnaissance, interroge brutalement les adultes dépeints dans ce livre. Il requiert en effet de leur part une remise en question radicale concernant les valeurs que ces mêmes adultes transmettent aux jeunes générations. Si la violence, la discrimination, la haine ont un rôle à jouer dans ce roman très engagé, c’est néanmoins pour mettre en lumière la part d’espoir, d’aspiration au bonheur, de tolérance qui sommeillent en chaque être humain et ne demande qu’à être cultiver. Mais pour ce faire, nous rappelle Hubert Ben Kemoun à travers Annabelle, il faut relever ses manches et se battre pour les valeurs auxquelles on croit, afin de ne pas laisser l’obscurantisme gagner du terrain.
Au travail donc !