Les vingt-cinq vies de Sandra Bullot

Sandra voudrait mettre un peu d’ordre dans sa vie qui, selon elle, part en mini-morceaux : père au chômage qui embauche une Natacha pour faire le ménage, mère névrosée par ses répliques d’actrice de séries télévisées, petit frère amoureusement très actif (pour ne pas dire plus). A ces incertitudes navrantes se rajoute un vide sentimental intersidéral, même pas comblé par les mails enflammés du garçon de son lycée qui se surnomme Endive au jambon. Non, vraiment, il est temps de changer tout cela. Pas vraiment décidée sur ce qu’elle se souhaite, Sandra va tester des vies au fur et à mesure du récit : fourmi neurasthénique, gazelle rusée comme un renard, tigre du Bengale sous antalgiques… tout un bestiaire délirant y passe, aidant lentement la jeune fille à trouver des repères satisfaisants pour envisager l’avenir.

Vous l’aurez compris, le ton est à l’humour qui pique, qui touche, qui rebondit sans temps mort. A l’heure des réseaux sociaux, Sandra reste une introvertie qui prend le temps d’ausculter ses malheurs, mais elle n’est certainement pas une timide. Gardant une hauteur de vue finalement très mature, elle use du rire (un peu) noir afin d’oublier ce qui cloche – le chômage du père est plutôt inquiétant, en fait – et de profiter enfin pleinement des plaisirs de l’adolescence. Endive au jambon, d’abord catalogué vieux rebut, pourrait bien être, deux parties de machine à laver plus tard (consulter Irène Lara, l’amie de Sandra, pour de plus amples détails), l’homme de sa vie.
Il fallait parvenir à maintenir tout du long du roman cette écriture pleine d’expressivité inventive et de comparaisons animalières, tout en parvenant à faire comprendre les sentiments réels de Sandra, ado un peu perdue mais qui va se trouver. Colas Gutman y excelle sans lassitude, nous laissant conquis, ébahis, à la fin de cette recherche 2.0 grinçante et tendre.