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À pas de loups : l’éditeur qui ne passe pas inaperçu

Dominique Petre
25 novembre 2016


Laurence Nobécourt, une institutrice passionnée de littérature de jeunesse, a fondé il y a trois ans une nouvelle maison d‘édition à Bruxelles


Elle n’a pas fait son entrée dans le monde de l’édition jeunesse « à pas de loups ». Ni sournoise ni discrète, Laurence Nobécourt s’est installée sur le marché avec des albums de qualité, un enthousiasme et une énergie débordants. Voilà une nouvelle éditrice avec laquelle la littérature de jeunesse francophone doit désormais compter. Le Centre de littérature jeunesse de Bruxelles vient de lui consacrer une journée entière de présentation (1), l’occasion rêvée pour revenir sur cette maison d’édition créée par une Française en Belgique il y a trois ans.



Laurence Nobécourt lors du dernier salon du livre de Charleroi 



 

Enseignante pendant 25 ans et toujours passionnée de littérature. « J’ai été enseignante pendant 25 ans et toujours passionnée de littérature », explique Laurence Nobécourt. Lorsqu’elle est en poste au Luxembourg, l’institutrice a la chance de participer à un projet de livre avec l’illustre illustrateur britannique Quentin Blake. « Il nous envoyait des illustrations et nous nous écrivions des textes avec nos élèves », explique-t-elle. Ce projet se clôture par un beau livre : Un bateau dans le ciel, sorti en 2000, chez Rue du Monde. « J’ai toujours essayé d’inviter des auteurs à l’école », reprend Laurence Nobécourt. « Il y a trois ans, j’ai travaillé avec ma classe du Lycée français de Bruxelles l’album de Cécile Gambini Bagbada, sorti aux éditions du Seuil en 2007 mais épuisé. » Quand Cécile Gambini lui annonce qu’elle en a récupéré les droits car le Seuil ne désire pas le rééditer, Laurence Nobécourt s’exclame spontanément : « si j’étais éditrice, je le ressortirais ». Quelques temps plus tard, elle croise le chemin de l’auteure-illustratrice Françoise Rogier, qui lui expose ses projets. « Ces rencontres m’ont fait basculer, c’était comme une évidence, explique Laurence Nobécourt. Je devais fonder une maison d’édition. » Au Festival des illustrateurs de Moulins, elle rencontre Albertine et Germano Zullo et se rend compte que les carnets de dessins sur le cirque d’Albertine, exposés au festival, n’ont jamais été publiés. « J’en ai eu des frissons, raconte l’éditrice, je ne pouvais plus reculer, c’était parti. »

Elle connaît les livres et leur jeune public mais ignore l’envers du décor. Laurence Nobécourt décide de se former elle-même, sur le tas. Comme elle veut commencer par sortir cinq livres en parallèle pour marquer le coup et ne pas passer inaperçue, elle « change de casquette » pendant un an, à 16h30. Enseignante le jour, elle passe des soirées d’éditrice en herbe. C’est lourd, mais comme elle le dit si bien elle-même : « quand on a un projet, cela donne des ailes ». Laurence Nobécourt se jette dans la gueule d’« À pas de loups », elle quitte le monde de l’enseignement et sort, en 2014, les cinq premiers albums de sa nouvelle maison d’édition. On retrouve Bagbada de Cécile Gambini, habillé d’une nouvelle couverture, le leporello Circus qui, déplié, offre une parade de cirque de plus de deux mètres signée Albertine, l’abécédaire Les contes de A à Z de Françoise Rogier, Une girafe sur le toit du monde de Sophie Daxhelet et Boutons et boutonnières, un titre tricoté par la Belge Dominique Descamps. L’accueil des libraires, des bibliothécaires et des professionnels du livre jeunesse, est enthousiaste, tous se réjouissent qu’une petite maison d’édition, indépendante et avide de qualité, voie ainsi le jour.




Page intérieure d'Une girafe sur le toit du monde © A pas de loups

Source : http://sophiedaxhelet.com




 

Un collectif avec 42 variations sur le thème du loup. Pour fêter la naissance de sa maison d’édition et rendre hommage à un incontournable de la littérature de jeunesse, le loup, Laurence Nobécourt lance l’idée d’un collectif sur le thème. 42 (!) illustrateurs rendent leur copie, et ces 42 variations sont ordonnées et reliées par un texte signé Germano Zullo. Cela donne À pas de loups, avec un héros tantôt attachant, tantôt effrayant, croqué par 42 crayons différents. Et elle remet cela : un collectif sur le thème S'aimer, « évident après les attentats, sans doute davantage destiné aux adultes qu’aux enfants », sort le 13 novembre 2016. Cette fois, les illustrateurs sont au nombre de 39 et le texte est signé Cécile Roumiguière.






Un tour de cochons de Françoise Rogier est son best-seller. Les livres qu’elle édite sont beaux ; Laurence Nobécourt avoue attacher «beaucoup d’importance à l’objet ». Elle aime le travail bien fait et – chaque fois que c’est techniquement et financièrement possible – elle imprime en Belgique. Elle tire entre 2 000 et 4 000 exemplaires ; avec un best-seller, Un tour de cochons de Françoise Rogier, qui a été sélectionné par le prix Bernard Versele de la Ligue des familles de Bruxelles. « C’est un texte plein d’humour et Françoise s’est bien emparée du format », commente l’éditrice. D’autres titres sont moins évidents mais tout aussi soutenus par Laurence Nobécourt. De Sur un toit, un chat de Carole Chaix, elle dit : « ce n’est pas mon titre le plus facile à vendre, mais il est extrêmement intéressant et il a son public ». L’éditrice n’a pas peur des OVNI, comme Pourquoi l’artichaut a-t-il des cheveux violets d’Astrid de l’Aulnoit, « les tribulations d’un artichaut de Bretagne, Don Juan des potagers ». Elle se réjouit que Le mur écrit par Anne Loyer et illustré par Nathalie Paulhiac ait été sélectionné par la Bataille des livres en 2016: « N’est-ce pas formidable ? Il va être lu au Sénégal, en Haïti et en Suisse », sourit l’éditrice. La plus grande difficulté qu’elle ait rencontrée ? « Le plus difficile, c’est la diffusion », répond Laurence Nobécourt, « c’est dur d’exister en librairie quand on est un petit éditeur face à des grands groupes. Quand une librairie de Metz qui ne me connaît pas encore me commande 50 livres, je saute de joie », sourit-elle.




La fresque réalisée par Carole Chaix et Herbéra à l'occasion de la journée de présentation

organisée par le Centre de littérature Jeunesse de Bruxelles © CLJB




Dernières parutions. Parmi les dernières sorties d’À pas de loups, signalons un deuxième livre réalisé avec Sophie Daxhelet, Sortie de joueur, « un hommage au douanier Rousseau et à la ville de New York », explique l’éditrice enthousiaste. Un parcours interactif prolongeant les pages du livre sous forme ludique est visible à l’Artothèque de Mons, en Belgique, en novembre 2016. À pas de loups redonne une seconde chance à D’une rive à l’autre (sorti sous le titre Entre deux rives, Noël 43 chez Gautier-Languereau il y a dix ans), une histoire de Cécile Roumiguière illustrée par Natali Fortier. Autre réédition : celle du texte de Thomas Scotto Sans ailes, revisité par l’artiste Csil. Mais encore : deux livres de Carl Norac, une galerie de portraits croqués par Carole Chaix, Rue des amours et Sorcière blanche, un livre qui met en avant la culture inuite, illustré par Herbéra qui se passionne comme l’auteur pour l’art du grand Nord. Pour rester dans la famille et en Belgique, un titre de la plume de Pierre Coran, le père de Carl Norac, et illustré par Nathalie Paulhiac, Ugo, tu rêves ?, que Laurence Nobécourt définit comme « un bel hommage aux doux rêveurs ». Anne Cortey raconte une correspondance entre Camille et son grand-père sur fond de guerre d’Algérie dans l’album Avec des lettres illustré par Carole Chaix. Dominique Descamps a privilégié la lithographie au tricot pour ses Conti, conta, comptines, de la poésie pour les plus jeunes. Enfin, Barroux s’est laissé inspirer par le thème des Voyages ; son carnet de dessins dépliable fait de Circus d’Albertine le début d’une collection… avis aux amateurs inspirés !



Carole Chaix, Herbéra et Carl Norac lors de la journée de présentation

organisée par le Centre de Littérature Jeunesse de Bruxelles © CLJB




 

À pas de loups a publié neuf titres la première année de son existence, six la deuxième et une dizaine la troisième. Ce ne sera jamais beaucoup plus : « Je sors moins pour mieux accompagner », conclut Laurence Nobécourt. Aucun auteur ne doit craindre l’accompagnement de cette louve toujours prête à défendre ses petits. Il n’y a que leurs histoires qu’elle dévore.



30.11.2016