Zéro

Ça commence mal : le petit crocodile dans son petit vivarium est jeté dans les toilettes. Catapulté dans les égouts, il se fait un ennemi, le serpent cupide, et des amis, les rats gloutons. Ces derniers baptisent leur protégé du nom de Zéro, d'après l'étiquette de la boîte de conserve qui lui sert de casquette. Zéro rapporte à manger aux rats, les rats font une place dans leur tribu au bébé crocodile. Et il grandit, grandit... Ayant ramassé au fond de l'eau suffisamment de pièces afin de payer un tribut au serpent, Zéro veut sortir des bas-fonds. Une fois dehors, il s'achète un beau costume tout neuf, comme celui des gangsters qu'ils voyaient autrefois à la télévision, à travers ses vitres en verre. Mais les mœurs des humains ne sont pas les siennes, et notre héros choisit in fine de revenir auprès des rats, tout contents de le revoir...

Après deux pages hyperréalistes et cruelles, l'album bascule d'abord dans une fantaisie qualifiable de « classique », avant de foncer à partir de l'arrivée au-dehors de Zéro, vers le délirant le plus joyeux. Que des animaux s'allient dans les égouts est compréhensible, et les notions de solidarité, de sagesse (le grand chef des rats) sont belles à lire et à voir. Mais que le crocodile fonde en larmes devant des chaussures en cuir... de croco avant de ramener un écran plat et des pizzas à ses copains, c'est déjà plus corsé !
Pourtant, cette fin iconoclaste pouvait se deviner, dans les regards malicieux de Zéro, dans l'allure cartoonesque des poissons et des araignées, dans les situations à rebondissements pour ne pas dire à ressorts (le canard en plastique en prend un coup), bref dans les clins d'œil aux passions du héros que Gabriel Gay montrait avec finesse, modifiant un peu les traits de son dessin habituel. Excellemment dessiné, plein de bonne humeur vitaminée, l'album est une réussite de drôlerie intelligente.