Mouton 56

Le titre accroche l’intérêt : qu’est-ce qui peut pousser un mouton, l’anonyme grégaire par excellence, à se détacher du troupeau, à acquérir une individualité ? Certes, ce N° 56 est différent de ses congénères. A la suite d’une décharge électrique sur la clôture, il retrouve subitement la mémoire ancestrale et collective de son peuple, et raconte au berger Liam l’histoire oubliée de la gent ovine : il y a de cela bien longtemps, les moutons régnaient sur la planète, maîtrisant des technologies pointues qui, au fil du temps, les avaient éloignés du bienheureux état de nature. Malgré les avertissements des philosophes, qui s’inquiétaient de la course au progrès et de la pollution, les moutons n’ont pas pu éviter la catastrophe nucléaire, qui sonna le glas de leur civilisation, et les poussa à accomplir le Grand Retour à la Nature, qui perdure encore et les a ramené à l’état d’animaux bêlants que nous connaissons…
Ce n’est certes pas la première fois que les humains sont comparés aux moutons. Mais au-delà de la simple métaphore des moutons de Panurge, cet ouvrage pose plusieurs questions : en plus de la dimension écologiste et de la critique du consumérisme à tout prix, on s’interroge ici sur la pertinence d’un retour en arrière, d’un abandon total des acquis de notre civilisation. L’immobilisme intellectuel et sécurisant qui nous pousserait à brouter toujours la même herbe n’a pas plus de sens que la course au progrès qui nous précipite au bord du ravin. Dans l’excellent L’An 01, Gébé disait que l’humanité a toujours cherché à faire un pas en avant, et que la solution était peut être, non pas de reculer, mais de faire un pas de côté. Le mouton 56 l’a compris, lui qui part prophétiser ses congénères afin que son espèce prenne « un nouveau départ »…
Voici donc un livre intelligent, qui prend à rebrousse-laine la thématique du troupeau de mouton stupide, pour mieux l’appliquer à notre cas. Porté par un style et des dessins frais et drôles, il pose des questions intéressantes sans aucune lourdeur, par le biais d’un conte moderne qui fera sans doute voir les moutons sous un autre œil…et peut être aussi les humains.