Le facteur

Pour la naissance de la nouvelle maison d’édition du Croche-Patte, dont la ligne directrice entend « faire trébucher gentiment les idées reçues », voici Le facteur. Cette histoire nous conte l’amitié touchante entre un facteur, à la personnalité complexe, et un petit garçon solitaire et rêveur. Elle se situe en Angleterre, à la fin du siècle dernier.

Le jeune Tom Keats, comme le poète, attend avec constance et quelque dépit le courrier de la société Montgolfières et Fières qui lui annoncera peut-être qu’il a gagné le concours et qu’il pourra enfin monter dans l’un de ces grands ballons colorés qui le font rêver depuis sa naissance, avec Jules Verne et ses romans fantastiques. 

Il guette donc chaque matin le Facteur, qui n’a de nom que par la majuscule qui lui est concédée par le titre sur la couverture. Pourtant, s’il existait un Jacques Tati anglais, il aurait sans doute pu porter son nom, tant le personnage évoque ce grand flandrin de Jour de fête^[1], plein de bonne volonté mais gaffeur, distrait, maladroit. Ce Facteur-ci (nous garderons la majuscule) est surtout très sensible à l’atmosphère émotionnelle, et la métaphore météorologique exprime souvent son humeur du jour. C’est ainsi qu’il va compatir à la déception de Tom, partager son attente et œuvrer avec beaucoup d’ingéniosité et de malice à la réalisation du rêve de l’enfant le temps d’une magnifique après-midi dans le jardin ensoleillé de Virginia Woolf. 

Ce Facteur exerce un métier qui le destine à partager les humeurs de tous ceux à qui il distribue le courrier, les bonnes nouvelles comme les factures – qu’il considère comme des nouvelles sans charme s’il en est, et rechigne à distribuer. Sa fonction fait de lui l’incarnation de l’hypersensibilité, assortie du don d’empathie, qui certes permettent d’être à l’écoute des autres et parfois de leur apporter aide et soutien, mais aussi fragilisent celui ou celle qui absorbe toutes les émotions et les ressent intensément. En suivant le Facteur de cette histoire, le lecteur est incité à regarder lui-même avec plus d’empathie cette disposition d’esprit qui rend la vie souvent plus difficile. 

L’idée est belle, le personnage touchant, l’amitié qui lie le Facteur à Tom l’oblige à se dépasser. Un peu d’implicite aurait peut-être renforcé le charme de cette tendre histoire, subtilement illustrée par Candice Willenegger qui en exprime toute la délicatesse dans un dessin à la gouache et à l'acrylique plein de légèreté et de fraîcheur. 

Plus qu’un roman, c’est une fable que ce récit, une invitation à la réflexion, le temps d’un voyage en montgolfière au pays des émotions et des sentiments. 

^[1] Film réalisé en 1949 par Jacques Tati dans lequel il interprète lui-même le fameux facteur.