L'abécédaire de Christian Voltz

À l’égal des imagiers, un abécédaire, support visuel regroupant la liste ordonnée des symboles de l’alphabet, et très souvent support pédagogique, peut être vu comme une description du monde. L’abécédaire de Christian Voltz est une revue du monde de son auteur. Dès la couverture, on reconnaît l’heureux bébé à biberon, le cochon grognon, l’araignée chevelue et l’usage détourné des objets pour figurer autre chose. Ainsi le compas ouvert devient un A, une chaîne de vélo un B, etc. Ouvrir l’abécédaire de Christian Voltz, c’est donc s’inviter au voyage dans son univers et envisager le monde sous un angle décapant.

Classiquement, chaque lettre se présente en capitale d’imprimerie, en script et en cursive accompagnée d’objets portant cette lettre à l’initiale. Mais ce qui fait le sel de l’abécédaire de Christian Voltz, c’est la manière dont il tisse des fils entre ces objets. Ils racontent des histoires que les lecteurs peuvent à leur fantaisie mettre en forme. Ainsi l’abeille sur son arrosoir interpelle deux araignées accrochées à un arbre : « Oh les amoureux ! ». Ce mélange d’objets, de sentiments, de dialogues signale un rapport à la langue et au langage en toute liberté. Contrairement à de nombreux abécédaires qui servent à classifier des objets dénombrables, Christian Voltz fait feu de tout bois. Il mélange mots abstraits, concrets, expressions familières qu’il bricole avec bonheur. L’arbre a une planche pour tronc, du papier chiffonné pour le feuillage, l’arrosoir est un « vrai » arrosoir mais les bestioles sont de bric et de broc. Jeux de mots, jeux de formes, tout est bon. Les expressions des personnages sont très drôles : le coq, tout comme le canard, contemplent d’un air consterné la culotte du cochon. Les univers sont très divers : il a une drôle de tête le dindon qui défile sous son drapeau. Est-ce bien respectueux ? Non sans doute. Dans l’herbe, un hérisson ahuri regarde un homme houspiller le hibou, Hou, Hou, Hou…. Les enfants adorent ces compositions permises par ces mots lancés comme des dés par l’auteur malicieux !

Au hasard des lettres et des illustrations, on pourra apprécier les techniques de l’illustrateur : sur la page du journal que lit une jeune femme, un homme sort du cadre et alerte. Il montre les jouets sur lesquels elle risque de se casser la jambe dans le jardin… Elle, elle n’a pas l’air de s’en soucier ! Devant la Lune rigolarde, le lapin tire la langue au loup à lunettes qui a vraiment l’air bête.

Tous les moyens sont bons à Christian Voltz pour construire images et histoires, collages, crayonnés (P), détournement d’images (R), photos (Q), terre (N), détournement d’objets (chaussure/voiture à la lettre V). Le lecteur parcourt cet abécédaire comme un cabinet de curiosités, il est envahi par un sentiment de poésie et par la joie des personnages heureux avec leurs gros yeux et leur gros nez. Sans oublier que la première page parlait d’amoureux, la dernière aussi. Devant le zèbre et le zébu, l’abeille, encore elle, s’exclame : « Oh les Zamoureux ! ». L’amour toujours ! Avec l’humour et la tendresse, on aime la signature de Christian Voltz.