Bestiaire mécanique

A la tradition du bestiaire, Laetitia Devernay emprunte la ribambelle d’animaux décrits successivement. Une baleine, un crocodile, un éléphant, un exocet, une girafe, une raie manta occupent ainsi tout à tour le devant de la page, en plein mouvement, en plein essor.

L’étonnement vient des entrées choisies pour présenter ces animaux. Toutes, elles appartiennent au monde mécanique. La baleine est un dirigeable ; le crocodile, une pirogue ; l’éléphant, un camion de pompier. La confrontation des deux mondes crée un sentiment d’étrangeté qui tranche avec l’illustration très graphique, colorée et la poésie naît de cet étonnement. La notice du dirigeable commence très exactement par une description attendue : « il reste plus léger que l’air. Propulsé par une grande hélice… » Tout va bien mais la description dévie « une grande hélice composée de deux nageoires horizontales, ce géant du ciel voyage avec grâce, produisant son chant au printemps ». L’illustration confirme cette duplicité. La baleine – dirigeable vogue dans le ciel étoilé au-dessus des maisons. Elle transporte dans sa nacelle quelques manchots voyageurs. L’hélicoptère joue sur la superposition entre avion et libellule. Le tramway est une chenille et le deltaplane, une chauve-souris. Texte et images jouent fusion, identification et ambiguïté pour mettre en relation les animaux et les moyens de transport que sont la moto-bison ou le scooter-escargot. Les paires sont bien choisies et la girafe-grue ou le crabe violoniste-tractopelle séduisent par le rapprochement incongru et cependant vraisemblable. La dernière double page lève l’ambiguïté et la reprise des images délivre de l’animal dessiné une description sensible.

Un album raffiné et subtil qui joue avec les codes du bestiaire. Ce genre bien connu de la littérature de jeunesse profite pleinement de ce « dépaysement ».