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«L’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais un feu que l’on allume»: les livres documentaires pour la jeunesse

Le documentaire jeunesse 4

Les sciences naturelles de Tatsu Nagata. Le crocodile
Virginie Meyer
17 décembre 2020

«Internet aurait pu tuer le documentaire jeunesse, il n’en est rien[1]», soulignait Livres hebdo en 2019. En quelques décennies, le secteur du livre documentaire pour la jeunesse s’est largement transformé pour demeurer un point d’entrée vers la connaissance, offrant l’image d’une belle diversité.


Dans les chiffres de l’édition jeunesse donnés par le Syndicat national de l’édition (SNE), la catégorie «Documentaire, encyclopédie» regroupe des «ouvrages généralistes (encyclopédies et dictionnaires généraux) et ouvrages thématiques (sciences, arts, nature, animaux, etc.)». La Revue des livres pour enfants a choisi d’adopter une définition assez large, pensant le livre documentaire comme «la réunion d’un support (nous parlons ici de livre mais il pourrait s’agir d’une application), d’une information et d’une mise en œuvre pédagogique (par le texte et par l’image) permettant la constitution d’un savoir[2]».

Le livre documentaire se caractérise davantage par son contenu que par sa forme, ce qui n’empêche pas des hybridations avec d’autres genres, comme l’album ou la bande dessinée. Il a élargi son offre au-delà de sa cible traditionnelle, les 6-12 ans, pour beaucoup du côté des tout-petits, mais aussi des adolescents. Il inclut la narration et n’exclut pas le recours à la fiction: l’érudition et l’imaginaire, la réflexion et l’émotion peuvent se mêler avec bonheur. Il poursuit plusieurs objectifs éducatifs: non seulement apporter des connaissances et des repères, mais aussi développer la curiosité, la capacité de réflexion et l’esprit critique, compétences essentielles dans la société de l’information qui est la nôtre.

Nous ne reviendrons pas ici sur la longue histoire de ce «genre»[3], mais soulignons quelques particularités de cette production éditoriale depuis les années 2010. Il est indéniable qu’Internet a concurrencé le livre documentaire dans ses fonctions informatives: pour préparer un exposé, un enfant ou un adolescent se tourne en premier lieu vers l’encyclopédie collaborative Wikipedia, bien avant de sonder les rayonnages de sa médiathèque. Par conséquent, ce secteur éditorial a dû profondément se renouveler, mais il n’a pas dit son dernier mot.

Spécificités éditoriales
La production jeunesse dans son ensemble a doublé voire triplé depuis le début des années 2000. Dans les chiffres 2018 de l’édition jeunesse donnés par le SNE[4], la catégorie «Documentaire, encyclopédie» représente 1513 titres publiés (soit 8 % du total), et près de 8 millions d’exemplaires publiés (soit 7 % du total). Si l’on se place du point de vue des ventes, le chiffre d’affaire est de plus de 30 millions d’euros (soit 9 % du total), pour un peu moins de 6 millions d’exemplaires vendus (soit 7 % du total). Depuis 2015, on observe un recul non négligeable, aussi bien du point de vue de la production (Livres Hebdo annonçait plutôt les documentaires à hauteur de 17% du total en 2013-2015), que du chiffre d’affaires (depuis 2015, la part des documentaires reste relativement stable, entre 7 et 9%, alors qu’elle s’établissait à 12% entre 2010 et 2014, selon GFK). Ces chiffres, même s’ils sont difficiles à comparer car provenant de sources différentes, montrent donc un secteur fragilisé.

L’une des spécificités du genre est que la majorité de la production est constituée de titres de commande, à l’inverse des secteurs de l’album ou du roman par exemple. Le rôle de l’éditeur comme chef d’orchestre est donc primordial, ce qui n’empêche pas de belles propositions d’auteurs d’émerger, comme le Dictionnaire fou du corps de Katie Couprie (Thierry Magnier, 2012). Les ouvrages documentaires sont relativement coûteux à produire, puisqu’il faut rémunérer des auteurs spécialistes, établir des maquettes spécifiquement adaptées et complexes, éventuellement payer des droits de reproduction pour l’iconographie. Les livres documentaires vieillissent également plus vite que d’autres genres (un bon album, lui, est toujours lisible cinquante ans après sa publication), ce qui concerne aussi bien l’évolution des connaissances, de l’esthétique, que du ton avec lequel on s’adresse aux enfants (la recherche de proximité et l’humour ont remplacé le ton doctoral). Ces caractéristiques expliquent que le secteur soit très concentré: 5 éditeurs (Milan, Fleurus, Nathan Gallimard jeunesse, Larousse) représentent à eux cinq 53,6 % du chiffre d’affaires[5].

Pour certains éditeurs, la co-édition est un moyen de réduire les coûts et de fédérer les ressources en contenus et savoir-faire. C’est par exemple le cas de Gallimard, qui a lancé ses collections novatrices dans les années 1980-1990 avec l’éditeur britannique Dorling Kindersley, ou aujourd’hui la collection «BAM» avec Wide Eyed. La co-édition est également fréquente dans le domaine de l’art, alliant un éditeur commercial et un musée autour d’une exposition (Ta race!: moi et les autres, Editions courtes et longues/Muséum national d'histoire naturelle/Musée de l'homme, 2017; Louis Pasteur: enquêtes pour la science, Palais de la découverte/Actes Sud Junior, 2017).

Dictionnaire fou du corps
Couverture du «Dictionnaire fou du corps» (©Thierry Magnier)

Le cœur de la production: les collections encyclopédiques
Le cœur de la production est constitué de collections encyclopédiques, qui traitent de multiples sujets dans toutes les disciplines. A partir des années 1980, elles avaient représenté une part importante de l’offre documentaire pour la jeunesse, et continuent à se vendre de façon massive (1,2 millions de volumes par an pour la collection «Kididoc» chez Nathan, 700 000 ventes par an pour «La grande imagerie» chez Fleurus). Les éditeurs s’adressent alors, dans la continuité, à un public fidélisé.

Ce type de collection permet un «chaînage» par âge, comme c’est le cas également dans la presse jeunesse. Chez Gallimard, on pouvait ainsi passer de «Mes premières découvertes», à «Mes grandes découvertes», puis aux «Yeux de la découverte». Chez Milan, le même chaînage pouvait s’appliquer avec «Mes p’tits docs», puis «Mes p’tites questions», puis «Les grands docs» (close en 2015), puis les «Encyclopes», la diversification s’opérant désormais plutôt en direction des tout-petits, avec par exemple «Mes tout premiers docs», ou «Mes docs en forme». Parmi ces collections traitant de multiples sujets, citons également «Castor doc» (Flammarion) et «Savoirs junior» (Belin Jeunesse) aux maquettes classiques mais efficaces, ou encore «Raconté aux enfants» (La Martinière jeunesse) reposant sur des généreuses reproductions photographiques.

Au-delà de cette production qui correspond à des attentes pérennes et à des habitudes, les éditeurs jeunesse s’efforcent de s’engager du côté de l’innovation, pour surprendre et séduire.

Sujets d’actualité, perspectives nouvelles
«Livres documentaires jeunesse: quoi de neuf entre les châteaux forts et les dinos?», s’interrogeait une émission sur France Info en mars 2014. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les thématiques traitées n’ont cessé de se diversifier. Périodes historiques peu étudiées (Yvan Pommaux, La Commune, L’Ecole des loisirs, 2017), sujets de société faisant polémique (Les végans, Ricochet, 2019), domaine artistique moins légitime (La ruée vers l'art: quand le street art raconte l'histoire de l'art, Arola, 2018), recherche scientifique la plus pointue (Toutes les idées sont dans la nature!: le biomimétisme, Actes Sud Junior, 2019)… ont été mis à l’honneur. En fonction de l’actualité, des thématiques ont fait l’objet de nombreuses publications: la citoyenneté et le vivre-ensemble après les attentats de 2015, l’écologie et le féminisme ces dernières années…

A l’inverse, pour des sujets déjà largement traités, les auteurs et les éditeurs ne cessent de chercher de nouvelles mises en perspective pour renouveler les approches. Par exemple, dans le domaine de la zoologie, qui est restée une sorte de valeur refuge pour le documentaire[6], les points de vue se font toujours plus inventifs: rassemblement par spécificités (Drôle d’encyclopédie, La Joie de lire, 2013), recherche de sensationnel (Animaux super-héros, La Martinière jeunesse, 2015), touche scandinave (La petite encyclopédie illustrée des animaux les plus étonnants, Rue du monde, 2017), mise en perspective historique (Les animaux des mondes perdus, Actes Sud Junior, 2019)…

Ces dernières années sont également apparus des ouvrages ambitieux traitant un sujet de manière transverse, aux carrefours de plusieurs disciplines. Citons par exemple Eternité: demain tous immortels? (La Martinière jeunesse, 2018), superbement illustré, qui emprunte à la fois aux arts, aux sciences humaines et aux sciences «dures»: il a reçu le prix La Science se livre en 2020.

Etrnité: demain tous immortels?
Couverture du «Eternité: demain tous immortels?» (©Thierry Magnier)

L’hybridation des genres
Le livre documentaire a toujours emprunté des apparences variées, utilisé la narration, au besoin la fiction, fait appel à la créativité de l’enfant, mais son périmètre est plus que jamais mouvant.

L’album documentaire étudié par Michel Defourny[7], qui remonte au début du XXe siècle, est un genre bien vivant pour les plus jeunes. Dans ces ouvrages, le recours à la fiction est pleinement assumé par les auteurs, sans contradiction avec une démarche rigoureuse: «au lieu de transmettre la «connaissance» à des lecteurs censés apprendre, ces albums éveillent la curiosité et la rêverie, ils entraînent à l’observation, ils révèlent la complexité d’un domaine, […] ils invitent à l’expérimentation, ils suscitent l’imagination interprétative ou développent l’esprit de recherche». Michel Defourny retrace la longue histoire de ce genre, depuis Le costume neuf de Monsieur Paul (1912) jusqu’aux titres de la collection «Archimède» (L’Ecole des loisirs), en passant par quelques collections emblématiques: «Roman des bêtes» (Flammarion) et «Albums du gai savoir» (Gallimard) dans les années 1930, «Enfants de la Terre» (Flammarion) et «Enfants du monde» (Nathan) dans les années 1940-70. Aujourd’hui, citons par exemple les univers de Frédéric Marais (Route 66, Saltimbanque, 2018), d’Isabelle Simler (Mon escargot domestique, Editions courtes et longues, 2018), d’Anne Crausaz (Bon voyage petite goutte, MeMo, 2010), ou encore L’infini et moi (Le Genévrier, 2017). Rappelons également le succès de la série des «Sciences naturelles de Tatsu Nagata» (Seuil Jeunesse, 2006-), qui a fait date, tant Thierry Dedieu sait mélanger l’humour des dessins avec des textes ciselés qui allient ton accessible et précision scientifique.

Les sciences naturelles de Tatsu Nagata
Quelques couvertures des «Sciences naturelles de Tatsu Nagata»: le pyrrhocore, l'abeille et l'ours (©Seuil Jeunesse)

Certains livres d’activités et de loisirs proposent également des contenus documentaires, notamment dans le domaine de l’observation de la nature (collection «Mon cahier d’observation et d’activités», Nathan avec l’association Colibris), de la cuisine (L’école à la casserole: 50 recettes pour comprendre ses leçons en cuisinant, Thierry Magnier, 2015), ou des sciences (collection «La science est dans…», Nathan).

La tendance la plus marquée ces dernières années est l’explosion de la bande dessinée documentaire. Héritière d’une longue tradition (la bande dessinée historique était présente dans la presse jeunesse et familiale dès le début du XXe siècle et dans Spirou et Tintin à partir des années 1950), elle marche également dans les pas des récits mémoriels pour adultes apparus à la suite de Maus en 1980. Aujourd’hui, la bande dessinée et le documentaire s’hybrident très largement: bande dessinée de reportage (Les nouvelles de la jungle de Calais, Casterman, 2017), carnet de voyage (30 jours au Groenland, Actes Sud Junior, 2019), vulgarisation scientifique (La planète des sciences: encyclopédie universelle des scientifiques, Dargaud, 2019), biographie (Les naufragés de la Méduse, Casterman, 2020), bande dessinée historique sur le modèle de l’Histoire de France magistralement illustrée par Bruno Heitz chez Casterman… Des éditeurs comme Steinkis ou La Boîte à bulles proposent un riche catalogue, notamment du côté des sciences humaines. Des plus jeunes, grâce à l’humour (collection «Le fil de l’histoire raconté par Ariane et Nino», Dupuis, 2018-), aux adolescents et jeunes adultes autour de sujets graves et complexes (Le photographe de Mauthausen, Le Lombard, 2017), l’engouement ne se dément pas. D’ailleurs, 50% des 7-15 ans qui lisent de la bande dessinée lisent aussi des documentaires[8].

Les naufragés de la Méduse et Planète des sciences
Couverture et image intérieure de «Les naufragés de la Méduse» (©Casterman) et couverture de «La planète des sciences» (©Dargaud)

Diversité des procédés narratifs et pédagogiques
La production se caractérise par une très grande diversité: biographie, guide d’identification, questions-réponses, expériences, catalogue d’exposition, atlas, cherche et trouve, etc. Utilisation de la double page, fragmentation de la mise en page permettant de multiplier les entrées (sur le modèle de la presse) ou lecture suivie, point de vue interne ou externe… les modèles, les approches, les tons sont variés. Quelques procédés pédagogiques récurrents peuvent être analysés.

Certains titres adoptent la forme du pêle-mêle, mélangeant dans une mise en page inventive les informations, jouant sur les comparaisons (Chouette ou hibou?, Gallimard Jeunesse, 2015) et les ordres de grandeur (Le grand livre des tailles, des poids et des mesures, Milan, 2019), s’amusant avec des accumulations sur le mode du catalogue ou du cabinet de curiosité (La mémoire de l'éléphant: une encyclopédie bric-à-brac, Hélium, 2012), laissant chaque enfant imaginer son propre chemin et picorer ce qui l’intéresse. Dans cette logique du «musée imaginaire», nombreux sont les livres d’art qui confrontent les périodes et les techniques pour créer de fructueux rapprochements et rendre l’art moins intimidant (L'art par 4 chemins, Milan, 2003).

La mémoire de l'éléphant
Couverture et image intérieure de «La mémoire de l'éléphant» (©Hélium)

L’humour et l’impertinence sont fréquemment utilisés pour faire passer des connaissances sur un mode ludique et décomplexé. Titres provocateurs (comme dans la collection «Dame nature» chez Gulf Stream), ton potache (Fake news: évite de tomber dans le piège, La Martinière jeunesse, 2019), dialogues à hauteur d’enfant (Moi, je sais vraiment comment on fait les bébés, Gulf Stream, 2019). L’une des maîtresses du genre est sans conteste Marion Montaigne, mariant avec brio vulgarisation scientifique et humour «trash[9]» (Tu mourras moins bête, La vie des très bêtes, Dans la combi de Thomas Pesquet, Dargaud, 2018, vendu à plus de 300 000 exemplaires…).

Moi je sais vraiment comment on fait les bébés
Couverture de «Moi, je sais vraiment comment on fait les bébés» (©Gulf Stream)

Les auteurs manient volontiers le spectaculaire et l’inattendu, pour susciter un «effet waouh» qui accroche! Dans ce cas, il faut une parfaite adéquation entre le fond et la forme: le grand format vient alors appuyer avec cohérence l’angle choisi (Anatomicum, Casterman, 2020), le traitement graphique original donne du sens (touches fluo et stylisation géométrique pour Dans mes oreilles, j’entends le monde, Rue du monde, 2017).

Les portraits permettent l’identification. Les collections de portraits d’enfants du bout du monde («Journal d’un enfant» chez Gallimard, «Enfants d’ailleurs» chez La Martinière jeunesse) se sont taries dans les années 2010, mais des titres isolés viennent parfois alimenter cette veine (Adi de Boutanga, Albin Michel, sur la scolarisation des filles). Du côté des biographies, l’offre de collections est toujours riche: «Grands portraits» chez Rue du monde, «Ceux qui ont dit non» chez Actes Sud Junior, «BAM» chez Gallimard Jeunesse, «Des graines et des guides» chez A dos d’âne… avec un effort significatif pour proposer de plus en plus de portraits de femmes.

Dans mes oreilles j'entends le monde
Couverture et image intérieure de «Dans mes oreilles, j'entends le monde» (©Rue du monde)

«Faire un truc qu’on a envie de garder[10]»
Pour offrir quelque chose qu’Internet ne peut pas offrir, les éditeurs multiplient les propositions jouant sur l’interactivité et les infinies potentialités de l’objet livre. Coffrets (Journal d’un poilu, Gallimard Jeunesse, 2014), matières (réfléchissantes dans Petits animaux de la nuit, La Martinière jeunesse, 2016), calques (qui transforment notre perception dans New York le jour et la nuit, L’agrume, 2017), leporello (Claire Dé, Qui suis-je?, Les Grandes Personnes, 2018), livre tête-bêche (Sous terre, sous l’eau, Rue du monde, 2015), rabats qui multiplient l’espace de lecture (Egyptomania, Les Grandes Personnes, 2016), découpes au laser (Naissance, La Martinière jeunesse, 2019)… les innovations formelles et matérielles sont nombreuses. Les spécialistes du pop-up mêlent parfois les démarches artistique et documentaire: Dans la forêt du paresseux de Louis Rigaud et Anouck Boisrobert, Pompon de Gérard Lo Monaco, 9 jouets d'artistes de Dominique Ehrhard...

Egyptomania
Couverture et image intérieure de «Egyptomania» (©Les Grandes Personnes)

Ces dernières années, on a pu noter le goût prédominant pour une illustration très stylisée, en à-plats de couleurs, rappelant les avant-gardes russes des années 1930 ou le style des années 1950-1970. Ce goût «vintage» s’est installé durablement, accompagnant aussi des rééditions d’ouvrages du patrimoine. La BnF et Albin Michel jeunesse ont ainsi lancé des traductions inédites d’ouvrages conservés à la Réserve des livres rares, comme L’écureuil illustré par les lithographies de Sikker Hansen (1939), cousin danois de Panache l’écureuil. A contrario, la photographie a disparu d’une grande partie de la production, sauf dans le cas des livres d’activités ou des reproductions d’œuvres d’art, alors même qu’elle était prépondérante dans les années 1980. Les deux modes d’illustration ont toujours coexisté, comportant chacun des avantages en terme pédagogique: sérieux et objectivité[11], lisibilité… Un effet de balancier interviendra peut-être dans l’autre sens d’ici quelques années.

Dans la forêt du paresseux
Couverture et images intérieures de «Dans la forêt du paresseux» (©Hélium)

Que savons-nous des lecteurs de documentaires?
Pour étudier la réception des livres documentaires par les enfants et les jeunes, nous disposons d’assez peu d’indicateurs. Dans les palmarès des ventes de Livres hebdo apparaissent parfois des titres à caractère documentaire, comme les Histoires du soir pour filles rebelles (Les Arènes), au 17e rang des meilleures ventes entre septembre 2017 et octobre 2018.

De la même façon, les livres documentaires sont bien représentés dans le Baromètre des prêts publié chaque année par le Ministère de la Culture[12], étudiant un échantillon représentatif d’une centaine de bibliothèques françaises. Sur le palmarès des 100 titres jeunesse les plus empruntés, plus de 90 places sont occupées par des titres de la série Max et Lili, traitant de sujets d’actualité. De la même façon, la collection «Mes p’tits docs» (Milan) connaît un nombre de prêts très important. Toutes catégories confondues (fiction adulte, documentaire, BD, jeunesse), son autrice Stéphanie Ledu apparaît en 2e position avec plus de 80 000 prêts. Les titres consacrés aux pompiers et aux dinosaures figurent même dans le palmarès des 100 titres les plus empruntés en 2019, aux côtés des Max et Lili et Harry Potter.

La chercheuse en sciences de l’information Anne Cordier a étudié les adolescents et la recherche d’information[13], interrogés dans le cadre de leur CDI. Elle note que la démarche de recherche se réalise de manière préférentielle sur papier par près d’un tiers des collégiens en 6e interrogés. Pour une partie des collégiens et lycéens, la structuration de l’ouvrage imprimé est rassurante, offrant des repères stables (sommaire, chapitres…). Ils plébiscitent le livre documentaire lorsqu’il s’agit de flâner, en glanant de l’information au gré d’une lecture confortable, agréable et animée par le désir de prendre le temps. Ils mettent également en avant la confiance qu’ils peuvent accorder à l’information contenue dans les ouvrages documentaires.

Ce rapide voyage à travers le paysage des livres documentaires pour la jeunesse nous montre une production riche et variée pour tous les âges. Ce type de livres n’est plus conçu comme une somme complète de connaissances sur un sujet, mais plutôt comme une «mise en bouche» qui doit attirer le lecteur par l’originalité de son approche, ses innovations formelles et esthétiques, la puissance de son imaginaire aussi. Il répond aux questions de l’enfant aussi bien qu’il suscite de nouveaux questionnements, encourageant sa curiosité: «il n’existe pas de documentaire idéal, mais le meilleur documentaire doit inciter à prendre un autre livre[14]»… ou à chercher une autre information sur Internet.


Virginie Meyer, conservatrice des bibliothèques, est chargée de formation et de numérisation au Centre national de la littérature pour la jeunesse (Bibliothèque nationale de France). Elle est responsable de la rubrique des livres documentaires au sein de la Revue des livres pour enfants et membre de son comité de rédaction.


Citation du titre attribuée à Aristophane, Montaigne, Rabelais… et volontiers citée par Paul Faucher, le créateur du Père Castor, comme aimait à le rappeler son fils. François Faucher, «Trente ans au service des enfants», Bulletin du CRILJ, novembre 1996, n° 57 [en ligne]. Disponible sur: http://www.crilj.org/tag/francois-faucher/.


Liste des livres cités dans l’article
9 jouets d'artistes de Dominique Ehrhard, Les Grandes Personnes, 2018.
30 jours au Groenland, de Fleur Daugey et Stéphane Kiehl, Actes Sud Junior, 2019.
Adi de Boutanga, d’Alain Serge Dzotap et Marc Daniau, Albin Michel Jeunesse, 2019.
Anatomicum, de Katy Wiedemann et Jennifer Z Paxton, Casterman, 2020.
Animaux super-héros, de Raphaël Martin et Guillaume Plantevin, La Martinière jeunesse, 2015.
Bon voyage petite goutte, d’Anne Crausaz, MeMo, 2010.
Chouette ou hibou?, d’Emma Strack et Guillaume Plantevin, Gallimard Jeunesse, 2015.
Dans la combi de Thomas Pesquet, Dargaud, 2018.
Dans la forêt du paresseux de Sophie Strady, Anouck Boisrobert et Louis Rigaud, Hélium, 2011.
Dans mes oreilles, j’entends le monde, de Romana Romanyshyn et Andriy Lesiv, Rue du monde, 2017.
Dictionnaire fou du corps, de Katie Couprie, Thierry Magnier, 2012.
Drôle d’encyclopédie, d’Adrienne Barman, La Joie de lire, 2013.
Egyptomania, de Carole Saturno et Emma Giuliani, Les Grandes Personnes, 2016.
Eternité: demain tous immortels?, de Philippe Nessmann et Léonard Dupont, La Martinière jeunesse, 2018.
Fake news: évite de tomber dans le piège, de Kevin Razy, Hamza Garrush, Lionel Serre, La Martinière jeunesse, 2019.
Histoires du soir pour filles rebelles, d’Elena Favilli et Francesca Cavallo, Les Arènes, 2017.
Journal d’un poilu, de Sandrine Mirza, Gallimard Jeunesse, 2014.
L'art par 4 chemins, de Sophie Curtil et Milos Cvach, Milan, 2003.
L’école à la casserole: 50 recettes pour comprendre ses leçons en cuisinant, de Seymourina Cruse Ware, Aurélie Caudron et Matthias Malingrëy, Thierry Magnier, 2015.
L’écureuil, de Hans Hvaas et Sikker Hansen, Bibliothèque nationale de France/Albin Michel Jeunesse, 2017.
L’histoire de France en BD, de Dominique Joly/Isabelle Bournier et Bruno Heitz, Casterman.
L’infini et moi, de Kate Hosford et Gabi Swiatskowska, Le Genévrier, 2017.
La Commune, d’Yvan Pommeaux et Christophe Ylla-Somers, L’Ecole des loisirs, 2017.
La mémoire de l'éléphant: une encyclopédie bric-à-brac, de Sophie Strady et Jean-François Martin, Hélium, 2012.
La petite encyclopédie illustrée des animaux les plus étonnants, de Maja Säfström, Rue du monde, 2017.
La planète des sciences: encyclopédie universelle des scientifiques, de Fischetti et Guillaume Bouzard, Dargaud, 2019.
La ruée vers l'art: quand le street art raconte l'histoire de l'art, de Clémence Simon, Arola, 2018.
La vie des très bêtes, de Marion Montaigne, BD Kids (réédition).
Le costume neuf de Monsieur Paul, 1912.
Le grand livre des tailles, des poids et des mesures, de Clive Gifford et Paul Boston, Milan, 2019.
Le photographe de Mauthausen, de Salva Rubio, Pedro J. Colombo et Aintzane Landa, Le Lombard, 2017.
Les animaux des mondes perdus, de Damien Laverdunt et Hélène Rajcak, Actes Sud Junior, 2019.
Les naufragés de la Méduse, de Jean-Sébastien Bordas et Jean-Christophe Deveney, Casterman, 2020.
Les nouvelles de la jungle de Calais, de Lisa Mandel et Yasmine Bouagga, Casterman, 2017.
Les sciences naturelles de Tatsu Nagata, de Thierry Dedieu, Seuil Jeunesse, dès 2006.
Les végans, de Florence Pinaud et Elodie Perrotin, Ricochet, 2019.
Louis Pasteur: enquêtes pour la science, de Florence Pinaud et Julien Billaudeau, Palais de la découverte/Actes Sud Junior, 2017.
Maus, d’Art Spiegelman, Flammarion, 1987.
Max et Lili, série de Dominique de Saint-Mars et Serge Bloch, Calligram.
Moi, je sais vraiment comment on fait les bébés, de Monsieur Mouch et Maria-Paz, Gulf Stream, 2019.
Mon escargot domestique, d’Isabelle Simler, Editions courtes et longues, 2018.
Naissance, de Jean-Claude Druvert et Hélène Druvert, La Martinière jeunesse, 2019.
New York le jour et la nuit, d’Aurélie Pollet et Vincent Bergier, L’agrume, 2017.
Panache l’écureuil, de Lida et Rojanowsky, Flammarion, 1934.
Petits animaux de la nuit, d’Anne Jankéliowitch et Delphine Chedru, La Martinière jeunesse, 2016.
Pompon, de Sophie Van der Linden et Gérard Lo Monaco, Musée d’Orsay/Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 2019.
Qui suis-je?, de Claire Dé, Les Grandes Personnes, 2018.
Route 66, de Frédéric Marais, Saltimbanque, 2018.
Sous terre, sous l’eau, d’Alexsandra Mizielinska et Daniel Mizielinski, Rue du monde, 2015.
Ta race!: moi et les autres, de Marie Desplechin et Betty Bone, Editions courtes et longues/Muséum national d'histoire naturelle/Musée de l'homme, 2017. 
Toutes les idées sont dans la nature!: le biomimétisme, de Carina Louart et Laura Ancona, Actes Sud Junior, 2019.
Tu mourras moins bête, de Marion Montaigne, Delcourt.

Liste des collections citées dans l’article
Albums du gai savoir (Gallimard)
Archimède (L’Ecole des loisirs)
BAM (Gallimard Jeunesse)
Castor doc (Flammarion)
Ceux qui ont dit non (Actes Sud Junior)
Dame nature (Gulf Stream)
Des graines et des guides (A dos d’âne)
Encyclopes (Milan)
Enfants d’ailleurs (La Martinière jeunesse)
Enfants de la Terre (Flammarion)
Enfants du monde (Nathan)
Grands portraits (Rue du monde)
Journal d’un enfant (Gallimard Jeunesse)
Kididoc (Nathan)
La grande imagerie (Fleurus)
La science est dans… (Nathan)
Le fil de l’histoire raconté par Ariane et Nino (Dupuis)
Les grands docs (Milan)
Les yeux de la découverte (Gallimard Jeunesse)
Mes docs en forme (Milan)
Mes grandes découvertes (Gallimard Jeunesse)
Mes p’tits docs (Milan)
Mes p’tites questions (Milan)
Mes premières découvertes (Gallimard Jeunesse)
Mes tout premiers docs (Milan)
Mon cahier d’observation et d’activités (Nathan avec l’association Colibris)
Raconté aux enfants (La Martinière jeunesse)
Roman des bêtes (Flammarion)
Savoirs junior (Belin Jeunesse)


[1] Claude Combet, «Jeunesse: le renouveau du documentaire», Livres hebdo, mars 2019, n° 1209
[2] Claudine Hervouët, Jacques Vidal-Naquet, «Le documentaire aujourd’hui, entre permanence et renouvellement». Dans Françoise Legendre (dir.), Bibliothèques, enfance et jeunesse, Editions du Cercle de la Librairie, 2015 (Bibliothèques).
[3] Voir les articles «Documentaire scientifique et technique» et «Documentaire historique» dans Isabelle Nières-Chevrel, Jean Perrot (dir), Dictionnaire du livre de jeunesse. Paris, Ed. du Cercle de la librairie, 2013.
[4] Les chiffres de l’édition du SNE: l’édition jeunesse, France et international, 2018-2019 [en ligne]. Disponible sur: https://www.sne.fr/app/uploads/2019/10/Chiffres-Jeun-2018-19-4-vOK.pdf.
[5] Claude Combet, «Jeunesse: le renouveau du documentaire», Livres hebdo, mars 2019, n° 1209.
[6] «L'animal, sujet sensible», La Revue des livres pour enfants, septembre 2019, n° 308, p. 138-149.
[7] Michel Defourny, De quelques albums qui ont aidé les enfants à découvrir le monde et à réfléchir. L’école des loisirs – Archimède, 2013.
[8] Etude CNL, Les Français et la BD, 2020 [en ligne]. Disponible sur: https://centrenationaldulivre.fr/actualites/les-francais-et-la-bd-une-etude-inedite.
[9] «Sciences et lecture: la grande équation»: dossier, Lecture jeune, mars 2018, n°165, p. 15.
[10] «Partager la science: entretien avec Antonio Fischetti», La Revue des livres pour enfants, septembre 2019, n° 308, p. 166-169.
[11] Michel Defourny, «Instruire et distraire: l'image documentaire». Dans Le livre et l’enfant: recueil de textes de Michel Defourny. De Boeck Supérieur, 2009, p. 127-137.
[12] Ministère de la Culture, Baromètre des prêts et des acquisitions en bibliothèque, 2019 [en ligne]. Disponible sur: https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Livre-et-lecture/Actualites/Barometre-des-prets-et-des-acquisitions-en-bibliotheque-2019.
[13] Anne Cordier, Grandir connectés: les adolescents et la recherche d’information. C&F éditions, 2015 (Les enfants du numérique), p. 196-202.
[14] Jean-Noël Soumy, «Sur la piste des documentaires». Dans Claude-Anne Parmegiani (dir.), Livres et bibliothèques pour enfants, Éditions du Cercle de la librairie, 1985, p. 67-75.


Image de vignette: couverture de l'album Les sciences naturelles de Tastu Nagata. Le crocodile (©Seuil Jeunesse).


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