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Date

Yan Nascimbene

1 mars 2003



Yan Nascimbene





Yan Nascimbene fait partie de ces artistes qui ont un vrai style, ceux que l'on reconnaît au premier coup d'œil. Pendant treize ans, choisi par Pierre Marchand, le créateur de Gallimard Jeunesse, il a marqué de son empreinte la collection de littérature pour adolescents " Page blanche " en illustrant toutes les couvertures des romans. En manière d'hommage à cette longue collaboration, Gallimard Jeunesse a publié en fin d'année dernière un album rétrospective : Page Blanche et autres couleurs, l'occasion pour nous d'explorer l'univers si personnel de cet illustrateur, qui parle volontiers de son art comme d'une manière d'être, tout simplement…






Ricochet - De 1987 à 2000, vous avez réalisé pendant treize ans toutes les couvertures des romans de la collection " Page Blanche " pour Gallimard Jeunesse, la fin de cette expérience a-t-elle été un moment douloureux pour vous ?

Yan Nascimbene - En dehors de cette longue collaboration avec Gallimard Jeunesse et des 150 couvertures de la collection, Page Blanche représente pour moi treize ans de ma vie, un tas de souvenirs personnels, Paris puis la Californie, Joan, ma femme, mes enfants qui ont grandi... La fin d'une aventure est toujours un peu triste, mais c'est aussi le début d'autre chose, une nouvelle étape, une évolution nécessaire et de nouvelles envies.

Ricochet - Pour vous, quelle est la fonction d'une couverture de roman ?

Yan Nascimbene - Une couverture de roman doit en traduire l'esprit sans en dévoiler le sujet.

Ricochet - Parmi tous les textes de la collection " Page Blanche ", quels sont les auteurs ou les thèmes auxquels vous avez été le plus sensible ?

Yan Nascimbene - Je n'ai pas vraiment de thème favori, mais il y a bien entendu des titres et des auteurs qui m'ont particulièrement touché: "Que cent fleurs s'épanouissent", "Fil de fer, la vie", "Années d'enfance", "La lumière volée", "Une absence", "Rite de passage", "Coulée d'or", "Un petit cheval et une voiture", les livres de Jean-Paul Nozière, Régine Detambel... Il y en a encore bien d'autres!




Ricochet - Votre style a donné à la collection son identité, vous avez un graphisme qui est immédiatement reconnaissable. Est-ce selon vous une grande force pour un illustrateur ?

Yan Nascimbene - On n' invente pas son style, on écrit ou on dessine ce que l'on est. Mon style est déterminé par ma façon d'être, de penser, mes émotions, ma vie de tous les jours et mon passé, mon enfance surtout. Je pense que c'est une force d' avoir un style propre, tout à fait personnel, dans la mesure où il découle naturellement et profondément de soi. Ce que je fais à contre-courant de moi-même est en général médiocre. Il faut être sincère, honnête et extrêmement rigoureux.

Ricochet - Dans vos images, la composition est toujours très rigoureuse, les couleurs et les contours sont nets, le trait précis, au point d'exprimer parfois une certaine dureté, voire une froideur, le décor semble souvent accentuer la solitude du personnage. Peut-on dire, comme Georges Lemoine*, que " l'attente et le silence sont des valeurs récurrentes " chez vous ?

Yan Nascimbene - Là encore, je ne choisis pas vraiment, je n'invente rien de façon rationnelle. Cette netteté, et le vide, oui, ce sont des constantes dans mon travail ; cela vient naturellement. Les commentaires de Georges Lemoine, Guy Billout et Etienne Delessert dans "Page Blanche et autres couleurs" sont sans doute trop élogieux, mais ils ont bien compris et senti mon travail : l'attente, le silence, la solitude aussi, c'est vrai, ce sont des valeurs récurrentes dans mes illustrations comme dans ce que j'écris.




Ricochet - Votre technique a-t-elle évolué au cours de ces années ? Aujourd'hui, comment travaillez-vous ?

Yan Nascimbene - Au fil des années ma technique s'est perfectionnée et me permet aujourd'hui de mieux réaliser mes idées. Mon atelier se trouve chez moi, dans notre maison. Joan, qui est céramiste et a illustré quelques livres, et moi habitons une petite ville en Californie du Nord: beaucoup d'espace, de silence (sauf le bruit -salutaire!- de la révolte de cette ville universitaire contre Bush!). Je travaille en général jusqu'à six ou sept heures de l'après-midi puis promène mes deux chiennes, Simca et Cicciolina ; c'est la plus belle heure de la journée.

Ricochet - A propos des personnages, ils sont souvent en retrait par rapport au décor, parfois même absents, est-ce dans un souci de ne pas en "raconter" trop, de préférer le non-dit ?

Yan Nascimbene - Oui, il faut bien sûr respecter le texte mais il faut aussi faire confiance à l'imagination du lecteur, et puis à quoi bon répéter exactement ce qui est déjà dit dans le texte? Je pense qu'il faut au contraire illustrer entre les lignes. Une illustration est plus forte, plus émouvante si elle ne dit pas tout.



Ricochet - En 1990, pour la collection " Futuropolis " de Gallimard, vous avez illustré Du Côté de chez Swann, comment avez-vous traité les personnages ?

Yan Nascimbene - La façon dont j'ai choisi de mettre en image "Du côté de chez Swann" reflète tout à fait mon souhait de ne pas tout dire, de ne pas tout montrer : il fallait d'une part éviter de placer en premier plan calèches, hauts-de-forme et salons mondains qui ne sont que le décor de "la Recherche", les outils que Proust utilise pour exprimer ses émotions et effectuer sa "démonstration", et qui ne sont donc qu'anecdotiques. D'autre part, par discrétion et par respect pour l'œuvre et pour l'auteur, il était essentiel que je garde une certaine distance ; c'est pour cela aussi qu'il était impossible de montrer les visages de Swann, Odette, Gilberte, du petit Marcel.

Ricochet - Le cadrage et l'angle de vue jouent un rôle très important dans vos illustrations, peut-on établir un parallèle avec la photographie ?

Yan Nascimbene - Vers treize ou quatorze ans, délaissant mes crayons de couleur, je me suis mis à prendre des photos. Passionnément, de façon obsessionnelle. Je ne pensais qu'à ça, trop timide pour parler aux filles, je les prenais en photo, mon appareil photo m'accompagnait partout, cent ou deux cent photos par semaine, cela pendant une bonne dizaine d'années. À dix-huit ans j'ai fait un stage comme assistant-photographe à l'agence SNIP (mode et publicité) et Jacques de Pindray, le directeur artistique, m'a conseillé d'aller étudier à la School of Visual Arts. Je suis donc parti pour les Etats-Unis. Il y a pour moi un lien entre illustration et photographie : il s'agit toujours de cadrage, de composition, d'ombre et de lumière... Le vide, le silence...

Ricochet - On a souvent rapproché vos images de l'esthétique des gravures japonaises. Que pensez-vous de cette comparaison ?

Yan Nascimbene - C'est une comparaison qui me flatte énormément.




Ricochet - Vous avez illustré pour Le Seuil deux textes d'Italo Calvino, Aventures et Palomar, qu'est-ce qui vous a particulièrement séduit et inspiré dans l'univers de cet auteur ?

Yan Nascimbene - Difficile à dire... Rien de rationnel. Je ressens à la lecture d'Italo Calvino quelque chose de très particulier, presque de sensuel, plus encore qu' une émotion profonde. C'est un peu un manque de modestie de ma part, mais peut-être qu'à travers son humour un peu triste, sa tendresse, sa façon de voir et de sentir, quelque chose me lie à son œuvre ? Italo Calvino ne met en scène ni héros ni aventures extraordinaires (le titre de son recueil "Aventures" est ironique), il s'intéresse à notre vie de chaque jour, belle dans sa simplicité, sa fragilité, ses échecs autant que ses succès.

Ricochet - On le sait moins, mais vous êtes aussi auteur, en 1992, par exemple, vous avez écrit le texte qui accompagnait vos illustrations pour Antibes, Clavière et autres couleurs, un album de souvenirs personnels. Eprouvez-vous le même bonheur à écrire qu'à dessiner ?

Yan Nascimbene - Oui, écrire est un peu plus difficile car je le fais moins souvent mais cela me procure le même bonheur que de dessiner. Ecrire, dessiner, photographier, c'est exactement la même chose.

Ricochet - Et pour la suite, quels sont vos projets, vos envies ?

Yan Nascimbene - Ecrire davantage justement. Et revenir à la photographie. (Cela si un éditeur est prêt à me faire confiance). Et j'ai toujours des projets de livres illustrés, bien sûr, dont trois en cours qui seront publiés avant la fin de l'année.




* préface à Page blanche et autres couleurs, l'album hommage à Yan Nascimbene, Gallimard Jeunesse, novembre 2002.


Voir le site de Yan Nascimbene : www.yannascimbene.com



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