Un œil parfait
La première image sera celle de l'œil, un œil graphique cependant.
En janvier 1955, paraît le premier numéro d'une “Revue d'Art”, la revue L'ŒIL. Celle-ci est promise à un brillant avenir, je crois même qu'elle paraît toujours, certes après de nombreux avatars qui en ont considérablement modifié et dénaturé l'aspect graphique initial.
La première de couverture de ce premier numéro présente, reproduite pleine page, en noir sur un fond bleu uniforme, un détail de l'œuvre de Fernand Léger “la Grande Parade” - 1952.
L'effet graphique de cette première de couverture est d'une grande pureté, titre L'ŒIL en noir sur un rectangle blanc, indications de prix et de date en petites capitales discrètes d'une Antique, en blanc sur le fond bleu de la reproduction.
Si l'on se reporte au sommaire de la revue, en page 3, on remarque la présence de Robert Delpire dans la fonction de Directeur technique (et artistique). Le nom de Delpire n'est pas encore connu, il n'a pas trente ans, peut-être même est-il encore étudiant en médecine. C'est également lui qui propose le titre L'ŒIL à Georges Bernier, directeur de la publication.
La qualité graphique, exceptionnelle pour l'époque, s'explique déjà par la présence de ce nom : Robert Delpire, et les choix qu'il impose d'emblée, cette rigueur, cet équilibre, cette classe !
Je veux ici simplement m'arrêter sur le choix typographique du titre de la revue : L'ŒIL, un splendide et parfait Didot capitale, et croire que ce Didot a été épuré dans le rapport accentué des composantes de ses cinq lettres, montants, rondeurs, traverses. Les empattements des L, E, I, L ont été amincis à l'extrême, les blanc entre les lettres sont calculés à la perfection, créant un équilibre idéal de l'ensemble entre le noir appuyé des montants des L, E, I, L ; la lettre O de ce si beau “E dans l'O” devient à elle seule comme l'image éponyme et emblématique du titre de la revue.
Voilà plus d'un demi siècle que ce graphisme d'exception a été inventé par celui qui ne va par tarder à devenir l'éditeur que l'on sait, et dont on ne se lassera jamais d'admirer les créations.
L'ŒIL, REVUE D'ART ... Je ne crois pas que l'on ait fait mieux !
Georges Lemoine, 23/6/2011
Nota : VALEUR EXPRESSIVE DU STYLE "ROMAIN MODERNE"
Élégance sévère. Rigueur. Bonne lisibilité, sauf quand, par souci délégance, les éléments déliés sont par trop maigres, comme cela se produit dans certaines versions françaises de didot.
Marcel Jacno, Anatomie de la lettre, École Estienne, Paris, Compagnie française d'édition, 1978