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Thomas Scotto : « Continuer de rencontrer, beaucoup, de partager, pareil, trouver les mots, pour dire, longtemps… »

Nathalie Wyss
2 août 2016


Après une semaine très riche en émotions à parcourir les classes, les librairies et les bibliothèques helvétiques pour rencontrer ses jeunes lecteurs, Thomas Scotto, auteur de nombreux albums et romans pour enfants, a eu la gentillesse de répondre aux questions de Ricochet. Entretien.



 
Lectures à voix haute à la médiathèque de Pully 

 


 
Nathalie Wyss : Ecrire, un rêve d’enfant ?
Thomas Scotto : Si on pense à un rêve pour plus tard, alors non. Et même si, enfant, j’aimais inventer des poèmes d’amour, des histoires, si on m’en lisait beaucoup, si j’en écoutais sur cassette chaque dimanche et chaque matin de vacances, non, petit, je voulais être pâtissier, plus grand je voulais jouer au théâtre ! L’écriture personnelle que l’on adresse à un éditeur est arrivée plus tard, à 22 ans. 
 
 
Qu’est-ce qui vous inspire ? 
Un peu tout, à vrai dire, quand on est écrivain, il faut être curieux !  Regarder, écouter, ressentir, beaucoup… Tout est tellement prétexte à trouver des idées d’histoires ! La vie de tous les jours m’aide beaucoup par exemple. La famille est aussi un sujet inépuisable pour le meilleur, le drôle, le sensible, pour l’horreur aussi. L’écriture des émotions m’intéresse. 
Longtemps je me suis défendu, j’ai trouvé des pirouettes pour tenir les histoires éloignées de moi. Je disais : « non… non, rien n’est vrai là-dedans ! ». Mais si mes livres ne racontent pas forcément ma vie, c’est grâce à mes émotions que je suis vivant et que je suis entièrement mes textes. Même si je ne suis pas « que » ce que j’écris, bien sûr.
Et puis il y a tout ce qui me nourrit culturellement : le cinéma, la musique, l’illustration qui m’a toujours fasciné en tant que lecteur d’images, et les auteurs qui me portent. Ceux qui m’ont tracé une voix d’écriture : Jo Hoestlandt, Thierry Lenain, Christophe Honoré, Anne Sylvestre, Marie-Sabine Roger, Richard Brautigan… et ceux que je côtoie aujourd’hui dans les salons du livre, les amis, ceux qui comptent dans la littérature.



 
 
Un flocon d’amour aux éditions Actes Sud Jeunesse



 
La littérature jeunesse, un milieu difficile ?
Construire une maison sous la chaleur d’un plein été, conduire un semi-remorque sur des milliers de kilomètres, se lever en pleine nuit pour surveiller des saumons dans le Montana, être le président de n’importe quel pays… là, on se rapproche d’une certaine idée du « milieu difficile » ! 
Je n’arrive pas à mettre la littérature jeunesse, même si elle n’est pas toujours « rose Chamallow », sur le même terrain de difficultés. 
Il y a pourtant tellement d’espoir et de frustrations, de refus et réalités économiques, beaucoup de changements durant ces vingt dernières années qui ne vont pas dans un sens idyllique. Ce sont des montagnes russes d’émotion qui sont souvent épuisantes parce qu’à mille lieues du plaisir d’écrire.
Il y a surtout qu’écrire engage. Soi-même et les autres. C’est beaucoup d’exigence et de temps passé loin de chez soi (contre toute attente). Alors s’il n’y avait pas encore l’enthousiasme de certains éditeurs, la volonté farouche de tant de médiatrices à monter des projets, faire connaître nos mots et les partager, la rencontre avec les lecteurs qui disent avoir été touchés par un texte pourtant refusé six fois auparavant… Là, je crois que je baisserais les bras et que mon envie de publier serait moins forte.
En littérature jeunesse, comme dans tout métier qui passionne, le plus difficile – et le plus précieux, peut-être –, c’est d’être au cœur de sa liberté et d’y rester.
 
 
Y a-t-il des sujets/thèmes qui vous tiennent à cœur et que vous n’avez pas encore posés sur papier ? 
Beaucoup ! Et sans doute je ne les poserai jamais…
Rien n’est à taire, tout peut être dit et à n’importe quel âge. Mais je ne sais pas parler de tout. Pas légitime, pas assez cultivé… Nous sommes nos premiers censeurs, bien sûr. 
Mais plus que des « sujets », ce sont des ambiances ou des personnages, des chemins d’émotions plus complexes encore que j’aimerais explorer. Aujourd’hui, je suis fasciné par Gilles Abier qui arrive à tout dire (mais vraiment tout !), tout ce qui fait grincer les dents des grands et fait tomber les mâchoires des ados, qui bouleverse sans jamais déraper. C’est d’une grande finesse. J’aimerais ça. 



 
Thomas Scotto, autoportrait

 


 
D’où vient la poésie de Thomas Scotto ?
D’une manière de regarder ? D’écouter ? De la poésie des autres…
Dans Vingt secrets pour apercevoir les fées, Philippe Dorin conseille de peindre son visage en blanc, de s’en dessiner un nouveau mais légèrement en décalage de l’ancien… « Vous aurez alors la chance d’entrevoir le monde des fées, qui se trouve juste à côté du nôtre, légèrement à gauche. » Sans le réfléchir vraiment, je crois appliquer ça à la lettre et depuis le début.
Avec la certitude que par l’humour et la poésie on fait tout passer. 
 
 
Vous refuse-t-on encore des textes ?
Non seulement on me refuse des textes - et ça, ce n’est pas si grave, car ça me conforte dans l’idée qu’écrire c’est recommencer, explorer et qu’un éditeur est avant tout un lecteur, un regard subjectif -, mais on a réussi à être bien plus blessant que ça. En appuyant exactement à l’endroit où ça pouvait être le plus douloureux : sur mon écriture, mon style, ma poésie justement.  La littérature jeunesse n’échappe pas à une sorte de mode, on peut très bien lasser du jour au lendemain. J’aime écrire de manière très différente, albums, petits romans, contes, textes pour adolescents. Les refus, les mots de travers, c’est douloureux mais on s’en remet.



 
 
Sans ailes aux éditions À pas de loups


 
 
Quel a été le livre le plus difficile à écrire ?
Le premier auquel je pense est Ma tempête de neige (Actes Sud jeunesse). Le monologue d’un jeune homme de 19 ans qui va être père. Tout le texte est un cri d’amour pour ce bébé à venir, avec les doutes, les questionnements mais l’envie tenace, surtout, de lui dire qu’il est attendu.
J’avais imaginé une première version avec cette voix de jeune père et, me souvenant du Garçon qui aimait les bébés de Rachel Hausfater, j’ai eu peur d’être trop proche. J’avais, finalement, fait parler la future maman quand mon amie Cathy Ytak m’a dit que ce n’était pas ce que je voulais écrire… que c’était bien le père que je suis qui avait quelque chose à dire sur ce sujet-là. Elle avait bien sûr raison !
Réécrire dans ce sens a été un grand bouleversement intérieur. 
Pour mes filles, je ne voulais pas me tromper de cri d’amour.



 
 


 
De quel livre êtes-vous le plus fier ?
C’est si dur de répondre … et même si je suis persuadé qu’être fier des montagnes franchies est important ! Dans ce sens, Ma tempête de neige pourrait bien s’en approcher ! 
Mais, sans démagogie, il n’y a aucun texte que je regrette. Qu’ils soient pour les plus petits, les plus grands, tous les autres ; légers, poétiques ou plus philosophiques ; j’ai aimé les écrire, tous. Pour des raisons très différentes, certains sont de vraies pierre à mon édifice : Jérôme par cœur (Actes Sud jeunesse) illustré par Olivier Tallec ; le recueil de nouvelles Mi-ange, mi-démon (Thierry Magnier), qui est ma première incursion dans les textes plus adolescents ; Rendez-vous n’importe où illustré par Ingrid Monchy (Thierry Magnier), Sables émouvants avec Eric Battut (Milan) ; et plus récemment Kodhja illustré par Régis Lejonc (Thierry Magnier).
Par leurs retours, les lectrices et lecteurs sont évidemment les déclencheurs de ces fiertés-là.


 
 



 
Lire ses propres textes à voix haute, un exercice difficile ?
Du pur bonheur ! Comme lire les textes des autres d’ailleurs.
Lire à voix haute est une suite logique de mon écriture qui l’est déjà, à voix haute. Pour le rythme des phrases, la musicalité, l’impact. J’ai été élevé à ça. Les histoires enregistrées, les intonations, les silences, les « quand vous entendrez la clochette, tournez la page ». 
Lire à haute voix est un vrai moment partagé. 
Ce n’est qu’une voix parmi tant d’autres possibles, mais tout vient des textes. On ne lit pas de la même manière un polar et un album, un conte et un dialogue de cours d’école. Lire ne va pas de soi, c’est un vrai apprentissage, et je vois bien la difficulté qu’ont beaucoup d’enfants et d’ados à lire. Je veux dire lire entre les lignes, pas simplement déchiffrer. C’est justement ce qu’offre la littérature : les silences, la subtilité. Et c’est une évidence que lire à haute voix ouvre des portes insoupçonnées à des oreilles qui n’auraient jamais lu ces textes-là. C’est pour cette raison qu’avec Cathy Ytak et Gilles Abier nous avons créé L’Atelier du trio. Lire à trois est une aventure passionnante. Trois écritures différentes, trois voix pour une même sensibilité, c’est une manière d’ouvrir le champ des possibles.
 
 
Qui sont les trois étoiles de votre album Sans ailes (À pas de loups) illustré par Csil ?
Si l’on part du principe que le titre de l’album peut s’écrire d’une autre manière, alors ces étoiles peuvent porter les prénoms que chacun veut bien accrocher dessus.
On est à l’endroit exact de l’écriture : faire de l’universel avec du personnel.  
Ces étoiles sont avant tout une manière de trésor. Souvent dans les classes, ils veulent savoir la cuisine interne. Tout se qui se cache entre les lignes. 
Mais parfois… les réponses sont déjà dans le livre !



 
 


 
Comment est né Kodhja (Thierry Magnier) dans votre esprit ?
C’est un texte que j’ai imaginé il y a bien plus de dix ans. Refusé à cette époque par le même éditeur qui le publie aujourd’hui. Jugé « trop compliqué »… Je savais déjà qu’il fallait de l’image. C’était bien un texte d’album. Je l’ai voulu plus long que mes précédents, plus narratif, plus sinueux, mais à illustrer. Bref, ça ne s’est pas fait.
À la demande de Danièle Israël, metteuse en scène troyenne, le texte est devenu une pièce de théâtre, scénographiée par l’ami Gingolph Gateau avec qui j’ai beaucoup travaillé (adaptation de Rendez-vous n’importe où, 50 minutes avec toi, texte de Cathy Ytak, participation à sa Collection fabuleuse d’Aliester de Naphtalène.) Et puis le voilà enfin publié !
J’ai toujours été fasciné par les labyrinthes. Les sirènes et les labyrinthes !
(Tout cela doit se psychanalyser sans soucis !)
Kodhja est né de cette envie de périple initiatique là. D’un film aussi, vu quand j’avais 12 ans, où David Bowie tient le rôle principal, inoubliable avec sa coupe de cheveux improbable et parfaitement « kitchouille » ! C’est un film du marionnettiste Jim Henson : Labyrinthe.



 
 



 
Parlez-nous de votre collaboration avec Régis Lejonc
Je dois à Régis d’avoir fait « revivre » Kodhja.
Souvent les ami(e)s illustratrices et illustrateurs demandent des textes. De mon côté, j’ai bien sûr envie de construire avec certaines ou certains.
Régis, donc, m’avait demandé si je n’avais pas quelque chose… C’est lui qui l’a proposé à nouveau aux éditions Thierry Magnier.
Entre le début du projet et sa fin, il s’est passé presque quatre ans. Le temps de maturation.
Il a eu l’idée de ce découpage en BD. Parce que le texte était très dialogué et que c’est un illustrateur de challenges ! C’est lui également qui a trouvé la forme de certains personnages qui n’étaient pas définis dans mon texte, l’idée extra du masque de l’enfant guide…
De mon côté, il m’a fallu revoir et couper un peu certains passages pour faire rentrer le texte dans les cases, pour ôter ce que l’image pouvait dire.
Tout s’est fait en grande amitié. Un projet de rêve. De patience et de rêve.
 
 
Avez-vous d’autres projets en cours avec Régis Lejonc ?
Pas encore… mais ce que j’aimerais ça !
Ce que nous poursuivons avec Régis, c’est l’aventure de Kodhja par une lecture dessinée et musicale. Quelque chose qui n’est pas de l’album puisque je lis le texte d’origine, sensiblement le même mais avec toutes les indications de paroles, un texte plus conté que dans le livre. 
Régis, lui, a cherché une manière dynamique et poétique pour illustrer en direct.
La première lecture a été créée aux Escales du livre à Bordeaux. Et c’était plus que touchant de voir qu’enfants, ados et parents s’y retrouvaient. 
 
 
Kodhja est votre première bande dessinée. Cela vous a-t-il donné envie de poursuivre dans cette direction ?
Tellement… J’aimerais vraiment continuer dans cette fainéantise-là ! À savoir, qu’une illustratrice ou qu’un illustrateur s’empare d’un texte qui n’était pas destiné à ça et en fasse une BD !
Alors, ce n’est peut-être pas tant de la fainéantise que la peur d’écrire selon un cliché.  J’entends par là que je n’ai pas écrit du théâtre pour le théâtre et un scénario pour la BD, mais une histoire à chaque fois. Et c’est le talent des autres qui a fait le reste !



 
 
Kodhja



 
Kodhja ou la fin de l’enfance… Vous souvenez-vous du moment où vous avez quitté l’enfance ?
Non… pas précisément.
Mais je sais exactement ce qui fixera l’instant où je l’aurai quitté pour de bon : le jour où je n’aimerai plus les crêpes (ni les sirènes, ni les labyrinthes). 
C’est pourtant une grande question : quitter l’enfance. Et puis grandir. Et puis vieillir. Comme c’est inéluctable, j’ai décidé de le vivre le mieux possible. De m’accompagner et de faire confiance à ceux qui nous ont précédés. En chansons, en textes, en films.
Et donc, être adulte. Et puis rester forcément dans un coin d’enfance.
Longtemps.
 
 
Quel enfant étiez-vous ?
Timide, magicien, chorégraphe, bon copain, souvent en pyjama sur les diapos de famille, accompagné de deux sœurs plus petites, de deux parents présents, amoureux très souvent, poète de primaire, avec les filles pour jouer à l’élastique, avec les garçons pour faire brûler une voie ferrée, avec les deux sexes pour rire, respectueux des plus grands, impressionné par les enseignants, solitaire, pas bagarreur, emporté par Emilie Jolie et Le petit prince, gémeau et sans doute un peu caméléon, curieux, surtout… un enfant aimé.
 
 
Votre plus grand rêve ?
Que Mathilde et Cassandre, mes filles, soient heureuses.
Indubitablement. Côté rêves, moi, je me débrouillerai.
 
 
Si quelque chose était à refaire ?
Ne pas prendre un fameux train.
Avoir plus d’audace, moins de timidité à ce moment-là. C’est vraiment tout.
 
 
Vos projets ?
Continuer de rencontrer. Beaucoup. 
De partager. Pareil.
Trouver les mots. 
Pour dire. 
Longtemps.



 
Libres d’être, le dernier livre de Thomas Scotto et de Cathy Itak,

paru aux éditions du Pourquoi pas ?




 
Thomas Scotto est reparti chez lui à Montauban en France, il a semé derrière lui des étoiles, dans les yeux des enfants et des grands aussi. Il reviendra en Suisse, c’est sûr ! Merci ! 


04.08.16