Sarah (d’) Haeyer
Une production résolument hétéroclite, des parutions très irrégulières, des formats inconstants, des modes d’impression variables, des tirages conséquents ou des séries très limitées, des ouvrages précieux ou de poche, passés à la machine ou pliés à la main, RitaGada ne suit aucune ligne éditoriale, aime rappeler Sarah d’Haeyer qui a la triple casquette d’auteur, illustratrice et éditrice. RitaGada est une cabane d’édition lilloise créée il y a 6 ans maintenant par Sarah d’Haeyer qui souhaitait s’auto-éditer. Ritagada publie des ouvrages qui sortent assurément de l’ordinaire avec cette envie toujours renouvelée de tenter de nouveaux formats, de nouvelles techniques et des styles différents. Nous lui avons demandé de se présenter et de nous parler des éditions RitaGada.
« Je suis née à Lille en 1977. J’ai commencé par une maîtrise de sociologie, puis ai mis deux bonnes années avant de choisir une voie : l’édition et l’illustration, domaines dans lesquels je n’ai qu’une formation si ce n’est celle sur le tas. “C’est en forgeant qu’on devient forgeron”, dit-on ! J’anime également des ateliers d’illustration avec des enfants et des adultes et je fais de la décoration pour des spectacles, des évènements.
- Qu'est ce qui vous a amené à créer votre propre maison d'éditions?
J’avais fait un livre, une maquette en fait, en janvier 2000 qui s’intitulait “Ma tante Philomène”. Après avoir envoyé cette maquette à trois maisons d’édition, essuyé deux refus et une non-réponse, j’ai décidé de créer moi-même une structure d’édition, pour me publier mais aussi pour publier d’autres personnes. Il faut dire que j’avais deux amis qui avaient eux aussi monté chacun leur maison d’édition, quelques années plus tôt, sous forme associative. Je savais donc que c’était possible. Et la perspective de maîtriser les différentes étapes de création d’un livre m’enchantait particulièrement.
- Quand ce projet s’est-il concrétisé ?
Les éditions RitaGada ont officiellement vu le jour en mars 2001, le 14 très précisément, avec le vernissage des deux premiers ouvrages au théâtre du Prato à Lille : “Ma tante philomène” et “Histoires de Chacalou”, écrits et illustrés par moi-même.
- Quelle est l’empreinte des éditions Ritagada ?
C’est une toute petite structure, indépendante, ce qui a ses avantages et ses inconvénients évidemment. Concernant la forme, les ouvrages ont souvent une facture artisanale, certains sont même faits à la main, en très petite série ; ils n’ont pas de couverture cartonnée ; les formats changent très souvent, il n’y a pas de collection à proprement parler. Concernant le fond, ce ne sont pas des albums ; il y a rarement, voire jamais, d’histoire narrative, avec un début - un milieu - une fin. Ce sont plutôt des séries : séries d’anecdotes, séries de questions, séries de listes, séries d’évènements présentées bout à bout.
De même, il y a de moins en moins de textes, ce sont surtout des livres d’images ; les rares textes sont plus proches de la “légende” associée à une image que d’une histoire. Les images, enfin, sont très graphiques, assez “brutes”, il y a notamment beaucoup de gravures, pas mal de noir et blanc.
- Avez-vous des retours, des impressions du public ? Et qu'en ressort-il ?
Bien sûr, il y a des retours, des gens qui écrivent des lettres, des gens que je vois aux salons, des gens qui viennent aux vernissages. Les avis sont partagés évidemment : certains aiment beaucoup, suivent de près l’actualité, guettent les nouvelles parutions, apprécient surtout le décalage, l’originalité (tant dans la forme que dans le fond) ; d’autres n’aiment pas, trouvent que ce ne sont pas des livres pour les enfants.
- Développez-vous de nombreuses collaborations ? Proposez-vous des co-éditions ?
Bien sûr ! Concernant les co-éditions, RitaGada a travaillé avec les éditions lilloises la nuit myrtide pour le livre “café crème” notamment ; et avec les éditions parisiennes l’oeil d’or, pour le livre “bouilles”.
Concernant l’édition en général, RitaGada travaille bien sûr avec des infographistes, des imprimeurs, des libraires, des médiathèques, et toutes sortes de structures travaillant autour du livre, de la lecture et de l’illustration.
Concernant la réflexion et la diffusion, RitaGada fait partie d’une nouvelle coopérative d’éditeurs indépendants du nord-pas-de-calais.
Concernant les auteurs, trois personnes seulement ont été à ce jour publiées par RitaGada : Marie Bouchacourt pour “La petite ballade d’arnica” et “Les bons d’absence de monsieur Théodore”, Dominique Gilliot pour “inventaires à bascule, pour mémoire” et jéranium pour “imagier”. A vrai dire, les trois sont des amis.
- En projetez-vous de nouvelles ?
De nouvelles collaborations sont prévues encore avec l’oeil d’or pour la co-édition, avec Marie Bouchacourt très certainement pour la publication d’un ouvrage, et peut-être de nouveaux auteurs.
- Quels sont les derniers livres parus ?
Le petit dernier est un livre de Marie Bouchacourt (textes & images) : “Les bons d’absence de monsieur Théodore”, une série de mots d’excuse farfelus et quelque peu surréalistes. L’avant-dernier est “Bouilles” (photos de moi-même), un recueil de portraits de jouets défraîchis, ours déplumés et figurines mâchouillées.
- Vous êtes à la fois auteure, illustratrice et éditrice. Comment parvenez-vous à mener de front ces trois fonctions ?
Je mélange parfois les pinceaux entre les trois fonctions. Auteure, je le suis de moins en moins puisque je réalise essentiellement des images. De toute manière, la façon dont j’ai écrit certaines “histoires” était directement intégrée à l’image, je ne retravaillais jamais les textes, qui sont très proches du langage parlé. Le seul texte un peu long que j’ai écrit est très particulier : ce sont des listes dans “inventaires à bascule, pour mémoire”. Entre les activités d’illustration et d’édition, le “partage” est un peu difficile, même si les deux disciplines n’ont pas grand chose à voir, le fait de s’auto-éditer à un moment fait qu’on ne sait plus ce qui doit passer en priorité, comment à la fois éditer d’autres gens tout en laissant une place aux projets personnels, comment réussir à proposer des projets personnels à d’autres éditeurs...Disons que dans les cas d’autoédition, c’est la même personne qui crée le livre, les histoires, les images, décide du format, du papier, de la mise en page, fait le suivi de fabrication, distribue et vend. C’est un tout, un objet que l’on crée de A à Z. Mais quand je fais de la comptabilité, de la diffusion, de la communication, je sens bien que je ne suis pas en train d’exercer le métier d’illustratrice !
- En tant qu'illustratrice, quel est votre médium de prédilection ?
La gravure en relief, ou taille d’épargne, c’est-à-dire gravure sur linoléum, bois, gommes notamment. J’aime le fait de passer par un matériau intermédiaire, un matériau qu’il faut creuser, un résultat qu’on imagine petit à petit, qu’on entrevoie au fur et à mesure. J’aime avoir les mains salies par l’encre, j’aime manœuvrer ma vieille presse, et j’aime la découverte, une fois l’impression finie.
- Pourriez-vous nous commenter à travers un exemple votre démarche d’auteur-illustratrice ?
A vrai dire, quasi tous les livres ont été créés suivant un processus différent. Prenons « Histoires de Chacalou ». Ma première gravure sur lino était une sorte de couverture et je ne savais pas encore que j’allais faire le livre. J’aimais bien inventer de fausses couvertures de livres (ou des couvertures de faux livres), mais elle m’a plu et j’ai commencé à écrire une histoire, quasiment d’une traite, quasiment sans retravailler.
Ensuite, il faut penser à un découpage entre le texte et les illustrations, et trouver le rythme. Les illustrations d’Histoires de Chacalou se sont étalées sur plus d’un an, ce qui a été catastrophique car j’éliminais au fur et à mesure les anciennes linos pour les remplacer par de nouvelles (je m’étais forcément améliorée entretemps, mon trait s’était affiné). J’ai d’ailleurs changé de couverture et de format en cours de route, etc. C’est un livre un peu incohérent au final, au niveau esthétique. Les étapes suivantes (qui concernent plus le travail d’éditrice) consistent à imprimer les originaux, les scanner, les retravailler s’il le faut, préparer le fichier informatique pour l’imprimeur, choisir les papiers, suivre l’impression, et hop voilà 1000 Histoires de Chacalou, en cartons, prêtes à répartir dans les librairies, les bibliothèques et à se vendre.
- Comment vous situez-vous dans le milieu de l'édition jeunesse (en tant que auteur-illustratrice mais aussi en tant qu'éditrice) ?
En tant qu’éditrice, je ne me sens pas trop à ma place dans le milieu de l’édition jeunesse, de moins en moins, sans doute parce qu’à un moment RitaGada a pris un tournant est s’est éloigné du format de l’album pour se rapprocher de l’édition graphique et /ou adulte. En fait, je me sens beaucoup plus “proche” des petits éditeurs indépendants qui font des choses plus “trash” ou plus “cheap”, mais par rapport à eux évidemment je suis complètement en décalage, ce que je fais est beaucoup trop doux et “propre”.
Je vis aussi ce dilemme en tant qu’illustratrice. Ce que je fais n’est souvent pas assez à la mode, pas assez vendeur, je fais de plus en plus d’images pour adultes, donc je ne me sens pas “considérée” en tant qu’illustratrice dans le milieu jeunesse.
En fait, je ne suis peut-être ni illustratrice ni éditrice : je fais simplement des livres.
- Avant de publier un ouvrage, le soumettez-vous à la critique, le faîtes-vous systématiquement lire par d’autres, recueillez-vous des avis ?
Oui, je parle déjà du projet, puis je montre la maquette avant qu’il ne parte à l’imprimerie, mais seulement à 1, 2 ou 3 personnes très proches.
- Comment voyez-vous la poursuite et l’évolution de votre projet ?
Je ne sais pas. J’espère que je pourrai vivre de mon métier d’illustratrice, j’espère que les éditions RitaGada existeront encore et auront une marge de manoeuvre plus intéressante qu’aujourd’hui pour pouvoir publier un tas de projets exaltants.
- Que pensez-vous avoir (su) garder de votre enfance ?
Une fascination et une exaltation puérile face à de tous petits objets sans importance : je collectionne tout un tas de “trésors”, une carte de 7 familles trouvée par terre me ravit, les petites images, les jouets et les livres pour enfants idem ainsi que quelques vieux projets de films d’animations par exemple.
- Quels livres ont marqué cette période ?
Le recueil “Tout Alice” de Lewis Caroll, dont ma mère me lisait un bout chaque soir, le livre animé “la maison hantée” et peut-être “Petit Bleu et Petit Jaune” de Léo Lionni.
- Quelles sont vos références dans le domaine de la création ? (En jeunesse bien sûr, mais également de manière plus générale)
Les expressionnistes allemands. En gravure, Kikie Crèvecoeur, Sophie Dutertre. Il y a aussi Paul Cox, Georges Perec, Sophie Calle.
Voir Ritagada sur Ricochet
RitaGada éditions
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