Redécouvrir Colette Portal...
Deux expositions printanières dans des établissements prestigieux remettent en lumière la discrète et talentueuse Colette Portal, illustratrice, peintre, vidéaste et photographe. La Fondation Folon présente, du 4 mars au 31 juillet 2016, à La Hulpe, près de Bruxelles, sous le titre Prémices, de nombreux dessins, photographies et gravures tandis que La Piscine, musée d'art et d'industrie de Roubaix, expose, du 19 mars au 5 juin 2016, son Rendez-vous au lion, film d'animation qui relate les travaux de mutation de la piscine de la rue des champs, « avec ses eaux glauques des ébats passés », en un fabuleux musée où « tous les Arts se retrouvent, dans l’harmonie d’un espace retrouvé ».
Pour beaucoup, Colette Portal est à jamais cette charmante jeune fille qui épousa Jean-Michel Folon en 1961 et lui donna deux enfants, François et Catherine. Mais d'aucuns murmurent que ce fut cette artiste accomplie qui initia son célèbre compagnon à l'aquarelle...
Elle, elle dit modestement : « Nous dessinons côte à côte. J'apprends de lui, il apprend de moi. »
Une escapade sur son site nous fait découvrir une grande voyageuse, enthousiaste, curieuse et attentive, qui fait son miel des lieux et des rencontres, et a noué une féconde relation d'amour avec la Campanie dont elle photographie et peint avec émotion ruines et paysages.
Dans sa passionnante et si sensible biographie se côtoient amicalement tous les grands noms des arts graphiques du monde, Roland Topor, Milton Glaser, André François, Philippe Corentin, François Barré, François Mathey, les Blechman et tant d'autres gens de lettres ou d'écran...
Son parcours de vie est jalonné de livres qui ne sont pas passés inaperçus. Publiés pour la plupart dans des collections destinées à la jeunesse, ils s'adressent cependant à tous les publics.
En 1958, Marcel Haedrich, directeur artistique de la revue Marie-Claire, lui commande trois dessins de fourmis. Inspirée par la lecture de Maurice Maeterlinck, de Karl von Frisch et Jean-Henri Fabre, elle crée trente-cinq encres de Chine que la revue publiera l'année suivante, en bichromie, sur huit pages, prémices de l'album La vie d'une reine, en couleurs, qui sera publié à Munich, New York, Milan, Copenhague, Londres et à Paris, chez Hatier, en 1964, dans la collection « Tuileries ». Les originaux du livre, exposés à la Fondation Folon, sont un enchantement.
Le propos du livre, méditation émue sur le sens de l'existence, déborde largement des limites d'un simple documentaire. « De cette histoire du monde animal où la tendresse ne semble pas apparente, écrit-elle, j'en fis une histoire humaine, où les rites les plus ordinaires ressemblent à ceux des humains. Le départ pour la vie, le choix du mâle ou de la femelle, la mort de l'un ou l'autre par l'abandon de l'autre ou de l'un, et malgré tout, veiller à la progéniture, puis revivre...., se relever pour rester à jamais debout... » Une symbolique profonde bien caractéristique de son esprit généreux. The Life of a Queen est élu, en 1964, parmi les dix meilleurs livres de l'année par The New York Book Review. Et c'est sans doute par affection pour ces étonnantes bestioles qu'elle a peint deux fourmis aux pattes graciles sur le faire-part qui annonce son mariage avec Folon...
En 1967, elle met en images, pour les éditions du Cerf, dans la petite collection des « Albums de l'Arc-en-Ciel », La création du monde, un texte du charismatique Auguste-Maurice Cocagnac. Ses aquarelles, divinement lyriques, cousinent subtilement avec l'abstraction et servent à merveille l'atmosphère rêveuse de ces mystérieux commencements.
C'est à d'autres secrètes origines qu'est dédié The Beauty of Birth, inspiré par la naissance de ses enfants. Grâce à sa pugnacité, il paraîtra chez Knopf en 1971 et en France deux ans plus tard (Le premier cri, Éditions du Chêne) :
« Pour laisser cette suite romanesque dans son intégralité, telle que je l’avais conçue,
il a fallu batailler pour la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde. L’éditeur américain refuse d’éditer le livre avec les aquarelles du zizi et du zozo dans leur réalité toute nue. Finalement le zizi et le zozo seront imprimés. »
La dame ne manque pas d'humour !
Sous la houlette de François Ruy-Vidal, grand admirateur de son travail, elle illustre les notices humoristico-savantes du Pense-bêtes de Jérôme Peignot, un catalogue d'insectes sur des fonds de couleur intense, dont les gouaches très raffinées s'inspirent des jeux de cartes indiens (Grasset Jeunesse, 1974, « Albums Trois pommes »).
Les ravissantes aquarelles ainsi que les textes de La nature racontée, qui paraît chez Gallimard en 1979, confirment la qualité du regard porté par cette poétesse du vivant sur la nature, petites bêtes et plantes, nuages, cieux et volcans.
De 1978 à 1983, elle dessine et photographie Le Jardin de Buffon, inédit jusqu'à ce jour. Les cinquante dessins et les trente photographies, presque tous exposés à La Hulpe, rendent à merveille les déambulations aventureuses et mélancoliques des visiteurs du Jardin des plantes de Paris. « Ensemble ou seuls, jeunes ou nostalgiques, curieux ou indifférents, peintres, comptables, amoureux, exhibitionnistes, amants ou couples tristes, toutes les différences se promènent en ce jardin... La balade est ce qui reste de l'enfance, quand l'imaginaire partait en voyage aux antipodes, avec sa sensibilité à vif pour bagage. Les odeurs, les bruits, les êtres et les choses avaient une présence terrestre. Cette présence silencieuse souffle sur les promeneurs de jardin le don d'enfance à ne jamais oublier. »
Des lignes inspirées qui témoignent de sa belle qualité d'écriture.
Pour accompagner leurs expositions, plutôt que d'éditer un catalogue, Stéphanie Angelroth, directrice de la Fondation Folon, et Bruno Gaudichon, conservateur du musée de La Piscine de Roubaix, ont confié à Michel Lagarde, éditeur et galeriste parisien, la mission d'éditer Le Jardin de Buffon ainsi que, avec une maquette renouvelée, La Vie d'une reine, en leur joignant un appareil critique – bio-bibliographie et textes de présentation : une belle initiative qui permettra, on l'espère, de faire redécouvrir une artiste rare et trop méconnue.
A découvrir :
Colette Portal, Le Jardin de Buffon, Michel Lagarde, 2016
Colette Portal, La vie d'une reine, Michel Lagarde, 2016