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Montse Gisbert

1 avril 2005

Originaire du Delta de L'Ebre en Espagne, Montse Gisbert vit et travaille à Bruxelles où elle enseigne l'illustration à l'Institut Saint-Luc. Une licence en Beaux-Arts à Valence et des formations à La Cambre et à l'Erg (Bruxelles) la conduisent à l'illustration. Après diverses expériences professionnelles ( animations avec les enfants, ateliers d'illustration, assistante d'une scénographe et d'une styliste, professeur d'illustration,... ), Montse Gisbert commence par écrire et illustrer des revues. En 1997, elle se lance dans le livre de jeunesse avec "Adivinanzas" ("Devinettes"), un album écrit par Llorenç Giménez. Deux ans plus tard, elle signe "Le bébé le plus sucré du monde", son premier livre en tant qu'auteur illustratrice. Très vite, ses titres sont remarqués et elle reçoit de nombreux prix pour ses illustrations. Aujourd'hui, Montse Gisbert est auteur et illustratrice d'une dizaine de livres pour enfants traduits dans plusieurs langues. Citons "Les désirs de Lune", "Le siècle le plus jeune du monde", "Les petites (et les grandes) émotions de la vie", ou encore "Salvador Dali, dessine-moi un rêve". Rencontre avec une illustratrice talentueuse à l'enthousiasme communicatif !



Ricochet : Petite, que lisiez-vous ? Dessiniez-vous beaucoup où est-ce venu plus tard ?


Montse Gisbert :
Dans mon souvenir, est restée une collection illustrée qu'il y avait à la maison, "Colección historias selección", éditée par Bruguera en Espagne. C'étaient des oeuvres de Jules Verne, Mark Twain, Jonathan Swift entre autres. Au départ, je regardais seulement les illustrations et je lisais le peu de dialogues qu'elles contenaient. Plus tard, j'ai plongé dans le texte comme les "grands".

Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours dessiné, j'adorais ça. J'aimais tomber malade et rester à la maison, de cette façon, je pouvais dessiner tout le temps sans qu'on ne me dérange. Quand j'ai eu une hépatite, j'ai pu faire mes premières natures mortes à l'huile ! Ma mère n'était pas très d'accord, car dans ma chambre, la peinture à l'huile dégageait une sacrée odeur …


Ricochet : "El bebé más dulce del mundo" édité chez Tàndem Edicions est votre premier livre pour enfants en tant qu'auteur-illustratrice. Comment est né le projet ? Comment le livre a-t-il été reçu ?


Montse Gisbert :
"El bebé más dulce del mundo" est né à partir d'une proposition de Rosa Serrano, éditrice de Tàndem edicions. Son intention était de créer une collection basée sur l'idée des "naissances", c'est-à-dire, des albums qui traitent de la naissance d'un animal, d'un concept, d'un objet… " El bebé más dulce del mundo " était le deuxième livre de la collection, suivi de "El siglo más nuevo del mundo" que j'ai illustré. Ce sont des livres ou la fiction et le réel se mélangent et qui apportent des connaissances dans la dernière partie du livre.

Le livre a été très bien accueilli et a reçu de bonnes critiques et plusieurs prix.

Bien évidemment, les bonnes critiques ont été très motivantes pour moi, car c'était mon premier livre. Les prix m'ont apporté également beaucoup de satisfaction, mais aussi une espèce de vertige, une pression dans l'estomac qui te dit que par la suite il faut mieux faire! En tous cas, tout cela a été un grand encouragement et m'a donné une grande soif de vivre de nouvelles aventures dans la réalisation de livres. C'est ce que j'essaye de faire depuis lors…






Ricochet : De quoi se nourrit votre inspiration ?


Montse Gisbert :
On ne sait pas toujours très bien d'où elle peut venir. Je crois qu'on doit aller la chercher plutôt … Moi, je crois que je la cherche dans les événements quotidiens. Elle se nourrit du monde réel, des gestes des gens et de la vie. De ce que la vie m'apprend, de ce qui me fait rire, de ce qui me rend triste… Des fois, elle vient de l'intérieur, des expériences vécues; d'autres fois, je vais la chercher à l'extérieur, chez les autres. Les gens qui m'entourent peuvent être également des sources d'inspiration, mes amis, ma famille, le boulanger ou le pharmacien du quartier et pourquoi pas le conducteur de bus ?


Ricochet : Dans un album pour vous qu'est-ce qui prime ?


Montse Gisbert :
Que l'émotion passe ! Au contact avec le récepteur, que des étincelles se produisent ! Que des complicités naissent ! Il faut que sur le dos du lecteur poussent des ailes, autant que les pages du livre… Que le lecteur puisse s'envoler, dépasser la frontière du réel et planer dans le monde de l'imaginaire sans décoller les yeux du livre. Il faut que l'image nous raconte beaucoup de choses, ou pas… Elle peut être aussi juste porteuse de chuchotements ou de silences…Que l'image apporte une nouvelle lecture du texte, elle ne doit pas le répéter. Elle doit laisser sentir la sensibilité, l'humour de l'illustrateur, et sa vision du texte.





Ricochet : Comment travaillez-vous ?


Montse Gisbert :
D'une façon très égoïste. Je veux avant tout m'amuser, vivre une vraie aventure qui prenne tout mon temps et qui m'éponge complètement. Je cherche à me faire plaisir, me réjouir à chaque étape de la réalisation d'un album.

Au départ, il y a une sensation, une impression, qui évolue jusqu'à devenir une idée, le sujet de l'histoire. Puis le texte commence à naître et à s'articuler en même temps que les images commencent à jaillir dans la tête. C'est un passage assez chaotique… A partir de ce moment là, je vais là où le texte m'amène en empruntant un chemin ou un autre. Mais le procédé le plus courant est le même que j'utilise dès la réception d'un texte à illustrer d'un autre auteur. Je commence avec l'imprégnation du texte, la réflexion sur les contraintes éditoriales et sur les objectifs, et puis tout se construit petit à petit…Les recherches et les croquis de personnages, de décors et de situations, les documentations, les recherches techniques, le découpage du texte, la construction du chemin de fer, la mise en page du texte… jusqu'à arriver à la dernière étape : la mise au net et la mise en couleur des illustrations.

Ricochet : Vous êtes auteur-illustratrice à part entière mais aussi illustratrice pour d'autres (Je n'ai jamais dit à personne que de Colette Nys-Mazure et Françoise Lison-Leroy, Lèche-Casserole, l'abominable troll de Noël de Guillaume de Sancy, Adivinanzas de Llorenç Giménez, El siglo más nuevo del mundo de Teresa Duran pour n'en citer que quelques-uns). Est-ce deux démarches similaires ? Laquelle préférez-vous ?


Montse Gisbert :
Chaque démarche a un départ différent. La première, en tant qu'auteur illustratrice, part d'une idée qui évolue et prend forme. L'ensemble du projet est composé de la conception et de l'illustration du texte. Tandis que la deuxième option, celle d'illustratrice pour d'autres auteurs, commence dès la réception d'un texte déjà fini et prêt à être illustré. Par la suite c'est le même procédé.

J'aime travailler les deux possibilités. Quand un texte est riche à illustrer, qu'il accroche dès sa première lecture, qu'il nous parle… l'illustrer alors, devient génial !

Quand on est l'auteur du texte, que l'on a conçu le projet, la contribution au niveau personnel, est peut-être un peu plus importante parce qu'on est à l'origine, à la naissance même de l'idée. Mais je me sens engagée de la même façon quand le texte n'est pas de moi. Quand on plonge dans le projet, je crois qu'on oublie que le texte n'est pas de soi, cela n'a pas d'importance, on ne se pose pas de questions…

Ricochet : Vos livres sont publiés dans plusieurs maisons d'édition, en Belgique et en Espagne, parfois de très petites structures (Esperluète, Alice jeunesse, Tandem edicions,...). Vous retrouvez-vous davantage dans ces structures ? C'est une démarche qui vous appartient?


Montse Gisbert :
Cela n'a pas été vraiment un choix. Ce sont plutôt les fruits des rencontres hasardeuses (ou pas…), des rencontres qui un jour ont débouché sur des projets en commun.

Avec ces "petites" (et à la fois "grandes") maisons d'édition, ça se passe très bien.

Des liens humains et des complicités se sont établis. Je partage avec elles des futurs projets qui j'espère, petit à petit, prendront forme, chaque chose en son temps…

En tout cas, je constate que c'est souvent les "petites" qui osent le plus, qui risquent et qui échappent aux styles commerciaux. Oui, je me sens bien dans ces structures. Tout est plus humain, moins "usine".


Ricochet : Vos oeuvres ont été récompensées par plusieurs prix, en Espagne (Prix "Serra d'Or", Prix de la Critique, Premier Prix National pour les Meilleures Illustrations de livres pour enfants, Prix des libraires catalans,...) aux Etats-Unis (Skipping Stones Honor Award,... en France (Marmousse d'or), quelle est votre meilleure reconnaissance ?


Montse Gisbert :
Le sourire dans les yeux du lecteur.

Ricochet : Quels sont les auteurs et les illustrateurs pour qui vous avez le plus d'admiration ?


Montse Gisbert :
Beaucoup de sensibilités et de formes d'expression différentes me touchent, pour en citer quelques-unes… E. E. Cummings, Wolf Erlbruch, Alfonso Ruano, Kitty Crowther, Lisbeth Zwerger, Kveta Pacovská, Jon Scieszka, Lane Smith, Bernard Friot, Alain Serres, Bernardo Atxaga…

Ricochet : Dans l'album "Les petites (et les grandes) émotions de la vie" sorti chez Alice édition, vous dépeignez avec justesse les émotions de la vie. C'est un fameux pari... très réussi de surcroît ! Comment avez-vous procédé pour la réalisation de cet album ? Etes-vous partie d'animations avec les enfants ?


Montse Gisbert :
Non, cela a été plutôt un voyage introspectif, je crois que je suis allée puiser dans le souvenir des expériences individuelles ou bien partagées.

Curieusement, cet album devait être, au départ, un "imagier des émotions", sans texte. Un recueil de certaines choses difficiles à saisir, mais que l'on sent tellement fortes dans notre intérieur, à tout âge et depuis toujours… Puis j'ai aussi voulu raconter une histoire en même

temps, l'histoire de la vie d'un petit garçon qui commence quand il est encore dans le ventre de sa maman. Ce garçon devait nous raconter par l'image des expériences quotidiennes, les sentiments et émotions qui éclosent derrière chaque pas, tout au long du chemin sur lequel on avance, au fil des jours, qui nous construisent petit à petit et qui nous font "grands"…

Pour nous raconter tout cela, ce garçon avait besoin d'une famille, des amis, d'une maîtresse, d'un docteur, d'une petite amie… de tout son univers.

C'est un peu plus tard, que l'idée est venue, de donner des mots aux émotions, d'y ajouter une définition à chaque émotion. De leur donner des mots pour, en quelque sorte, les apprivoiser, pour mieux les comprendre, ou pour s'y identifier tout simplement…








Ricochet : A Bologne, l'Espagne est le pays invité d'honneur. Vous faites partie des 73 illustrateurs espagnols retenus pour l'exposition "ILUSTRÍSIMOS". Quelles illustrations avez-vous choisi d'exposer ?


Montse Gisbert :
"Papa Temps et Maman Histoire" et "La marraine l'Arithmétique et l'autobus rose" de "El siglo más nuevo del mundo".

"Ma famille, mes amis et la maîtresse", "La gentillesse" et "Le Trac" de "Les petites (et les grandes) émotions de la vie".


Ricochet : A Bologne encore, vous participerez à l' Exposition "Miradas sobre El Quijote" pour les 400 ans de Don Quichotte. Quelle était la commande ? Aviez-vous carte blanche ?


Montse Gisbert :
C'est le Ministerio de Educación y Cultura espagnol qui a passé cette commande à tous les gagnants du prix national d'illustration depuis sa création en 1978. Nous avons eu carte blanche. Il s'agissait d'une "mirada", un "regard" autour de El Quijote. Je suis impatiente de découvrir à Bologne l'ensemble des différents "regards" …


Ricochet : En 2004, vous avez réalisé à l'occasion du centenaire de la naissance de Salvador Dalí. "Salvador Dali, dessine-moi un rêve" sorti chez Serres éditions. Un livre qui raconte l'oeuvre et la vie de l'artiste. Comment est né ce projet ? Quels ont été les objectifs… ?

Montse Gisbert : C'était une proposition de Serres Ediciones, une maison d'édition de Barcelone qui publie des livres d'Art pour les enfants. Je n'avais jamais imaginé faire un livre d'Art pour les enfants, je trouvais cela énorme ! et je regardais ce genre de publications seulement à distance.

Un jour, j'ai reçu un mail un peu surréaliste de Poppy Grijalbo, des Ediciones Serres, où elle me disait qu'il y avait déjà un certain temps qu'elle pensait me proposer une "folie" (je cite texto, une "folie"). Après réflexion, j'ai accepté la proposition et cela a été… énorme ! Ce fut comme entrer dans un rêve étrange qui devenait, petit à petit, captivant, amusant et parfois un peu stressant, car la montre de la maison d'édition n'était pas molle comme celle de Dalí ! Il a fallu absolument respecter les délais pour la sortie de cet album, car c'était un hommage à Dali pour le centenaire de sa naissance, ce qui correspondait avec l'année 2004 : "Année de Salvador Dali".

Cela a été un travail totalement différent, car c'était des autres démarches à suivre, d'autres chemins à emprunter... mais vraiment passionnant. J'avais carte blanche et je me suis fixé le défi de mettre l'œuvre et la vie de Dalí à portée des enfants.

Cela a été toute une aventure, une vraie histoire d'amour entre Dalí et moi qui a commencé avec une première partie de découverte, de documentation et d'imprégnation de l'oeuvre et de la vie de Dalí.

Ensuite cela a continué par un choix d'oeuvres à présenter, puis par la création d'un texte et le tout a abouti à la mise en forme du projet complet.

Je voulais, avant tout, en faire un livre surréaliste, amusant… où le rêve et la réalité se mélangent sans honte comme dans l'univers dalinien.

J'ai trouvé le "personnage Dalí", le plus adéquat pour nous raconter sa vie et son œuvre et même fier de le faire je dirais, car égocentrique comme l'était Dali, qui mieux que lui, pour présenter son œuvre ?

L'autre défi, (étant donné que c'était la première fois que je réalisais un livre d'art pour enfants), était de mettre en évidence l'oeuvre de Dali, de la faire ressortir, de la mettre en avant plan.

Mon illustration devait être toujours au service de son œuvre et pas le contraire. J'ai voulu présenter l'ensemble de ses réalisations accompagnées et rehaussées de mes illustrations éventuelles et de collages. En définitive, son œuvre, ses tableaux, ses réalisations devaient avant tout, être l'illustration principale du livre. On peut dire que pour moi, c'est Dali, lui-même, qui a illustré son livre !



Ricochet : De nationalité espagnole, vous vivez en Belgique. Vous vous êtes formée en Espagne et en Belgique. Quels sont vos impressions et appréciations sur la littérature de jeunesse dans ces deux pays ?


Montse Gisbert :
En Espagne, le secteur de l'édition de jeunesse est assez solide avec une forte production très diversifiée. Mais il faut distinguer un ensemble de petits éditeurs très actifs et dynamiques. Ce sont ces petites maisons d'édition face aux grands géants de l'édition qui risquent le plus, qui parient sur les nouveautés et qui croient en de nouveaux créateurs. Des nouvelles générations d'auteurs et illustrateurs prennent place petit à petit.

Ce qui est bien en Espagne, c'est qu'il existe une grande diversité de prix et de récompenses qui servent à faire connaître et à promouvoir les auteurs et les illustrateurs. Des créations innovatrices et de qualité s'éditent en ce moment, mais il y a encore beaucoup trop de traductions… Il y a aussi un combat constant et des campagnes intensives d'incitation à la lecture et aussi contre "l'invisibilité" de la littérature jeunesse, malheureusement pas encore assez valorisée.

Par rapport à la Belgique, je pense surtout à des noms d'auteurs-illustrateurs comme Anne Brouillard, Kitty Crowther, Anne Herbauts… qui font la fierté de la littérature de jeunesse belge en ce moment et qui sont fort appréciés par la critique et le public à l'étranger.

Les événements autour du livre ne manquent pas, mais je trouve qu'il n'y pas beaucoup d'aides, de concours ou de récompenses pour encourager et faire connaître les auteurs et les illustrateurs.

Si l'on écoute les éditeurs belges, le marché est à la taille du pays et c'est plutôt chez le voisin, la France, que ça se passe… Actuellement, des petites (encore une fois) maisons d'édition sont présentes sur la scène belge et française avec des contributions très intéressantes et novatrices, chacune dans des lignes éditoriales totalement différentes.


Ricochet : Depuis 1993, vous êtes professeur d'illustration à l'Institut Saint-Luc à Bruxelles. Quels sont les conseils qu'habituellement vous donnez à vos élèves ou que vous donneriez à quelqu'un qui débute comme illustrateur ?


Montse Gisbert :
Qu'il faut avant tout s'amuser, se faire plaisir. Puis, communiquer, il faut sortir de sa coquille et partager. Exprimer une vision personnelle, transmettre une sensibilité, une personnalité. Donner son regard particulier du texte. Il faut aussi penser au public auquel on s'adresse et provoquer des complicités. Le message que l'on souhaite faire passer doit être clair mais d'une façon expressive, originale…

Il faut être observateur, avoir un regard sensible et critique, face aux styles, face aux tendances. Nourrir sans cesse son imagination. Visiter d'autres disciplines artistiques et savoir s'enrichir pour élargir sa palette créative. Il faut être critique avec son travail, se remettre en question.


Ricochet : Quels sont vos projets...?


Montse Gisbert :
Continuer à chercher des sourires, des émotions dans les yeux des lecteurs.

Et dans l'immédiat, plusieurs propositions d'illustration de textes de maisons d'édition belges et espagnoles. Quelques projets personnels comme un conte "à la fraise"…



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