Les Pieds Nickelés ont 100 ans
Nos célèbres escrocs ont cent ans cette année. Devenus un symbole de la débrouillardise, au point de passer dans le langage courant pour désigner des personnes manquant de sérieux, coupables d’amateurisme, voire de fumisterie, nos héros incarnent surtout l’esprit d’anarchie et de subversion.
Après une annonce effectuée en mai 1908 dans Le Petit Illustré, les Pieds Nickelés font leur apparition le 4 juin 1908 dans l’hebdomadaire des frères Offenstadt, L’Épatant. Au début, ils devaient s’appeler "les pieds sales" mais on trouva le nom dégradant et il fut remplacé par celui des "pieds nickelés" d’après une expression utilisée par Tristan Bernard pour désigner des personnes peu enclines à travailler. Pour vous y retrouver, sachez que Croquignol est le grand blond au monocle, Filochard le borgne et Ribouldingue, le barbu à la chevelure en pétard.
Créée par Louis Forton (1879-1934), qui meurt de cirrhose du foie en 1934, elle sera médiocrement reprise par Aristide Perré de 1934 à 1938, puis par Albert Georges Badert, de 1938 à 1940, date à laquelle bon nombre de publications Offenstadt s’arrêtent (les entreprises de ces éditeurs juifs sont "aryanisées"), en particulier celles de ces personnages cocardiers qui avaient tourné en ridicule le Kaizer et l’armée allemande lors de la Première Guerre mondiale. Elle reprend des couleurs en 1948 lorsque René Pellos, excellent caricaturiste et dessinateur sportif, reprend la série et l’anime de son trait vif et facétieux pendant près de 95 épisodes jusqu’au début des années 80, avant qu’elle ne décline ensuite sous le crayon de vagues successeurs.
Bande dessinée à tempérament anarchiste (elle illustra la couverture de L’Anthologie de la subversion carabinée de l’entarteur Noël Godin), son scénario repose sur un running-gag immuable. Les Pieds-Nickelés, c’est l’anti-Largo-Winch. Contrairement au “milliardaire en blue-jeans”, nos trois héros démarrent toujours leurs aventures sans un sou en poche. Le meilleur moyen de devenir rapidement riche repose souvent sur une
débrouille qui confine à l’escroquerie. Mais ces Robins-des-bois des villes ne sont pas trop habiles. Ils perdent en général en fin d’épisode le magot que leur malice leur a permis d’acquérir au cours de leur aventure. Les dialogues sont émaillés d’un argot truculent dont Michel Audiard et Maurice Tillieux se souviendront. Les histoires de Montaubert dans les années cinquante et soixante sont particulièrement brillantes.
On a longtemps crédité Les Pieds Nickelés d’avoir popularisé l’usage des bulles en France, souvent présentes dans les cases en dépit d’un texte courant sous l’image. Une adaptation cinématographique de leurs aventures avait été réalisée par le célèbre pionnier du dessin animé Émile Cohl qui en tira cinq films entre 1916 et 1918. Mark Abouker en fit une version live
en 1948, suivie d’une autre par Rellys, Baquet et Parédès. En 1964, c’est au tour de Jean-Claude Chambon de s’en saisir avec Charles Denner (Filochard), Michel Galabru (Ribouldingue) et Jean Rochefort (Croquignol) dans les rôles-titre. Dans Pierrot le fou, Anna Karina lit un album des célèbres escrocs. De nombreuses chansons ont été tirées de leurs exploits, de même qu’une opérette jouée en 1948 sur la scène de Bobino.
Les aventures des Pieds Nickelés de Pellos sont éditées en intégrale par Vents d’Ouest, tandis que les premiers récits de Forton l’ont été par Henri Veyrier. On signalera une monographie par Jean Tibéri, le numéro 35 du Collectionneur de Bandes dessinées, et surtout Les Pieds Nickelés de Louis Forton par le célèbre historien Jean Tulard de l’Institut. Parmi les curiosités, on notera la parodie de Juillard et Convard chez Dargaud.
Didier Pasamonik
http://www.actuabd.com
Les Pieds Nickelés : cent ans de rapine
Il y a un siècle,
Louis Forton donnait naissance
à un fameux trio de crapules.
Le XXe siècle avait 8 ans, l'âge des filouteries. Jusque-là, Savant Cosinus et autres Sapeur Camembert avaient déridé les familles, qui découvraient alors l'humour bon enfant des premières bandes dessinées.
L'arrivée des Pieds Nickelés, dans le numéro 9 de L'Epatant, fut donc une révolution. Pour la première fois, trois crapules ravissaient la vedette aux "gentils" héros. Créés par Louis Forton, Croquignol, Ribouldingue et Filochard constituaient un trio de voleurs peu soucieux des règles de la morale.
Une BD anticonformiste
Mort d'une cirrhose en 1934, Louis Forton fut lad puis jockey avant de se tourner vers la BD. On raconte qu'il passait plus de temps au champ de courses qu'à sa table à dessin. C'est peut-être dans la foule des parieurs qu'il croisa les modèles de ses personnages: le premier affublé d'un nez interminable (Croquignol), le deuxième d'un collier de barbe (Ribouldingue) et le troisième
d'un bandeau sur l'oeil droit (Filochard). "Des anarchistes qui ne sont jamais sanglants", constate Jean Tulard, honorable membre de l'Académie des sciences morales et politiques, qui vient de publier Les Pieds Nickelés de Louis Forton (Armand Colin).
A défaut d'occire leurs prochains, les Pieds Nickelés les dépouillaient volontiers. Leurs cibles favorites étaient alors les bourgeois, les paysans et les forces de l'ordre. En 1913, on fit comprendre à Forton que ses héros auraient tout intérêt à développer leur fibre patriotique. Nos gaillards se retrouvèrent donc dans les Balkans puis sur le front où ils firent subir les
pires avanies aux "boches".
La suite de leurs aventures devait les mener tout autour de la terre. Après la disparition de leur créateur, les Pieds Nickelés passent entre différentes mains avant d'atterrir dans celles du Savoyard René Pellos (1900-1998). Nous sommes en 1948. Caricaturiste de talent, spécialisé dans les portraits de sportifs - il collaborera longtemps à La Tribune de Genève - Pellos s'attache à "différencier" les trois amis.
Croquignol s'allonge, Filochard se tasse, Ribouldingue s'arrondit. Cette métamorphose s'accompagne d'un remodelage des caractères: de vraies crapules, les Pieds Nickelés deviennent d'ingénieux escrocs. Jean Tulard déplore même qu'ils soient parfois "animés de bonnes intentions". N'empêche : de la Lune au J.O. et de la Guyane à Hollywood, le trio ne cesse de tourner la loi en dérision et de ridiculiser les gogos.
Jusqu'en 1981, Pellos produira une bonne centaine d'albums qui feront notamment la joie de Boris Vian, Jean-Paul Sartre, Pierre Tchernia ou encore Isabelle Huppert, tous grands fans. Il y eut ensuite quelques tentatives de reprises peu probantes puis plus rien depuis 1988. La peur du voleur, sans doute...
Lionel Chiuch (La Tribune de Genève)
http://www.tdg.ch
Les Pieds Nickelés : bande dessinée créée par Louis Forton Les Pieds Nickelés font leur première apparition le 4 juin 1908 dans l'hebdomadaire L'Epatant publié par les frères
Offenstadt.
Inventés par Louis Forton, ils devaient à l'origine s'appeler "Les Pieds Sales" mais l'expression utilisée par Tristan Bernard fut retenue pour désigner des personnes paresseuses. Trois personnages virent ainsi le jour : Croquignol, un grand blond avec un monocle, Filochard, un petit brun, assez râblais et borgne et enfin Ribouldingue, un barbu aux cheveux désordonnés (au début, ils étaient tous de la même taille mais ont changé sous la houlette de Pellos). Les Pieds Nickelés ont également popularisé l'utilisation des bulles dans les bandes dessinées et très vite, leurs aventures vont être portées à l'écran par le pionnier du dessin animé Emile Cohl entre 1916 et 1918 (d'autres films en ont été tirés dont l'adaptation de Jean-Claude Chambon en 1964 avec Charles Denner dans le rôle de Filochard, Michel Galabru dans Ribouldingue et Jean Rochefort dans Croquignol).
À la mort de Louis Forton en 1934, la bande dessinée qui a un grand succès, est reprise par Aristide Perré durant quatre ans puis par Albert Georges Badert jusque 1940. En effet, les publications juives Offenstadt durent s'arrêter lors de la Seconde Guerre mondiale. La bande dessinée Les Pieds Nickelés revient en 1948 grâce à René Pellos, caricaturiste et dessinateur sportif.
Il va redonner vie à ces trois escrocs durant une centaine d'épisodes, en changeant un peu leur allure, jusqu'au début des années 1980 mais la série va décliner par la suite en étant reprise par des dessinateurs de moindre talent. Pour comprendre le succès des Pieds Nickelés, il
faut se replacer dans le contexte du début du siècle dernier lorsque les BD destinées aux enfants étaient bien pensantes et contrôlées. C'était l'apogée des Bécassine et autres Lizette aux histoires très moralistes dans lesquelles évoluaient des héros honnêtes et courageux. Ces trois voleurs ignares et ivrognes allaient bouleverser ces images d'Epinal. Sortis de prison, ils ne rêvaient que de larcins pour vivre une vie oisive. De plus, leur langage argotique n'était guère recommandable pour l'époque même si plus tard, certains scénaristes comme Michel Audiard s'en sont largement inspirés avec le succès que l'on connaît. Malgré les interdictions des parents, Les Pieds Nickelés eurent un immense succès, sans doute à cause de leur anarchisme et de leur irrévérence. Il est vrai que contrairement aux autres héros, les Pieds Nickelés, sans un sou en
poche, se débrouillaient pour devenir riches grâce à de nombreuses escroqueries.
Malhabiles, ils perdaient tout en général à la fin de l'histoire. Avec Les Pieds Nickelés, la bande dessinée en finissait avec les clichés de bon aloi, tant par le vocabulaire employé que par les situations décrites, leurs ennemis étant toujours les mêmes : les commissaires et inspecteurs de police, les gendarmes de base, les gardiens de prison, les petits et grands bourgeois, les nobles et évidemment les autres gangsters. Il faut dire aussi que leurs idées étaient très loufoques comme : organiser une quête "pour les pauvres contractuels qui, à force d'écrire des contraventions, ont des crampes à la main droite", organiser des voyages vers la lune, vendre le palais de l'Elysée, dévier le Tour de France, inventer le moteur à eau durant la crise du pétrole, se faire élire Ministres pour inventer de nouveaux impôts, dont un impôt sur les chauves, etc. Que ce soit Forton ou Pellos, les gags ne manquaient pas et l'irrévérence était à son comble. Faussaires, voleurs, pickpockets, combinards, Les Pieds Nickelés peuvent paraître démodés pour certains et pourtant, les thèmes abordés n'ont jamais été autant d'actualité et traités avec un tel aplomb. De plus, en vous plongeant dans les histoires des Pieds Nickelés, vous y apprendrez quantité de choses sur l'atmosphère au XXe siècle selon les époques, les personnages étant tour à tour des soldats de la Première Guerre mondiale, des bandits américains lors de la prohibition, des Ministres, des hippies en mai 68, des maître-chanteurs en immobilier, des trafiquants d'énergie durant la crise pétrolière, des espions lors de la guerre froide, etc. Cette façon de coller à l'actualité tout en étant complètement irrespectueux du pouvoir en place est des plus modernes, voire même beaucoup plus moderne et acide que les réalisations des dessinateurs d'aujourd'hui. De nos jours, "Pieds Nickelés" est un terme péjoratif et moqueur signifiant des personnes ingénieuses, débrouillardes, comploteuses, malhonnêtes et manquant de sérieux. Sachez que pour illustrer l'oeuvre de Louis Forton, l'historien Jean Tulard a sorti une monographie très intéressante sur l'artiste. Si vous n'avez jamais lu une BD des Pieds Nickelés, il est grand temps de vous y plonger pour savourer les histoires de ces trois voyous bien sympathiques au fond !
par Ktilou
http://www.web-libre.org
C’est en 1908 que Croquignol, Filochard et Ribouldingue, imaginés par Louis Forton, débutent leurs aventures loufoques dans L’Epatant. Archéologie dans un paysage où la bulle met du temps à s’imposer.
"Les aminches ont régulièrement une éponge dans le gosier et savent se déguiser en courant d’air; souvent sans un fifrelin, ils cherchent un joint afin d’amasser des fafiots et lorsqu’ils sentent qu’il y a des punaises dans le beurre, ils tricotent des pinceaux." Traduction : perpétuellement assoiffés, les Pieds Nickelés sont des as de la fuite; fauchés, ils recourent à toutes les combines pour toucher du blé et lorsqu’ils sentent le piège, ils détalent à grande vitesse.
Feignants très actifs
Le roublard Filochard (celui qui court vite) porte un carré noir sur l’œil droit. Le nez de Croquignol, filiforme croque-mitaine, ridiculise celui de Pinocchio débitant les pires craques. Quant à Ribouldingue (une partie de plaisir un peu crapuleuse), il porte barbe et cheveux en brosse hérissée. Les Pieds Nickelés – avoir les pieds nickelés, en argot, signifie faire preuve de mauvaise volonté, être paresseux – sont nés en 1908 dans L’Epatant, créés par Louis Forton. On les a dits anarchistes, on les a vus ministres, détrousseurs ils le sont à coup sûr, patriotes même, combinards infatigables et aussi régulièrement gagnés par la guigne. Ils réussissent à s’introduire chez un bourgeois de Paname pour se remplir les poches, mais un voleur les surprend, ils se cachent dans des malles et se retrouvent à la douane de la frontière belge. Ces rois du déguisement n’arrêtent pas d’aller en prison, de s’évader, de voyager aux quatre coins de la planète pour se retrouver raides comme des passe-lacets. Ça ne les empêche pas d’aimer boire et de se remplir la panse, sur le dos des aubergistes évidemment.
Si Les Pieds Nickelés ne sont plus guère lus de nos jours, l’expression reste connue de tous. C’est qu’ils ont traversé tout le XXe siècle avec succès et, après Forton, père également de Bibi Fricotin mort de cirrhose en 1934, ils ont été repris par plusieurs dessinateurs. Inutile de les citer, René Pellos mis à part qui, de 1948 à 1981, sur les scénarios de Montaubert, un juge à la retraite, leur assura un dynamisme renouvelé par la force de son trait élastique. Raides chez Forton, bondissant chez Pellos, nos trois maîtres de l’astuce vagabondent sur quelque 150 titres. Ils ont même été hippies, car le fonds de commerce de leurs créateurs est resté les faits marquants et divers de l’actualité. Avec des convictions : les voleurs se sont toujours opposés à la peine de mort et aiment les Noirs. Pellos, qui a collaboré dans ses jeunes années au Gugusse genevois, dotera, pour un temps, Filochard d’une force colossale dès qu’il piquera la mouche. Il donnera aussi toutes ses rondeurs à Ribouldingue.
Afin de commémorer ce centenaire, les éditions Vents d’Ouest se sont fendues d’un gros ouvrage, malheureusement entièrement en noir et blanc, regroupant du Forton et du Pellos. Le meilleur, bien sûr, mais l’introduction laisse à désirer et la présentation des épisodes oublie la chronologie. Reste un magot de gags à revisiter. "A nous les perlouzes, les diamantouzes et touze et touze!" (1)
Légendes et mode de lecture à complications
Jusqu’en 1950, Les Pieds Nickelés s’apparentent à une forme de récit illustré. Les bulles sont peu présentes et c’est en parcourant un long récitatif en pied du dessin que le lecteur découvre l’histoire. Au début, Forton prend garde à ce que le texte finisse avec un point sous chaque case, mais très vite cette règle est oubliée et le lecteur doit s’armer de discipline afin de ne pas oublier de regarder les images et lire les ballons éventuels car le texte file sans se soucier du passage d’une vignette à l’autre. René Pellos, quant à lui, adoptera finalement la forme de la bande dessinée que nous connaissons.
Pour des raisons de coût, les albums parus dans les années d’après-guerre (la deuxième) paraissent enchaînant une double page couleur à une double page en noir et blanc. Ce phénomène n’est pas propre aux Pieds Nickelés. Ce qui faisait fantasmer les enfants au crayon facile, qui coloriaient les pages en noir et blanc...
Michel Rime
(24 heures) - http://www.24heures.ch
(1) Vents d’Ouest dans les années 90 a édité (en couleur) l’intégrale des aventures dessinées par Pellos.
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