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LES EDITIONS MEMO

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21 février 2012


Les Editions MeMo furent créées en 1993 par Christine Morault et Yves Mestrallet. D’où le nom MeMo. Ils ont commencé par publier deux livres par an, et en proposent maintenant de 25 à 30 par année.

Ils travaillent à Nantes, en toute petite équipe (ils sont six) et ont surmonté les difficultés pour établir une liste qui a une vraie identité dans la production de langue française.

Memo a un visage ouvert: ils aiment la poésie, le jeu, une esthétique spartiate, et prennent des risques! Ils savent aussi accorder leur chance à des nouveaux-venus de talent.

Et parfois redonnent vie à quelques classiques.

 

Ricochet donne la parole à Christine Morault.


Perdu, Alice Brière-Haquet et Olivier Philipponneau, 2011

 

LES EDITIONS MEMO


C’est dans une librairie que nous avons ressenti pour la première fois la force du bonheur d’éditer. Le premier livre des éditions MeMo, cet album rassemblant en 1993 de naïfs et curieux dessins pour des tissus destinés au XVIIIe siècle à la traite négrière était un bien étrange objet. Un an auparavant nous découvrions cette collection unique, conservée au musée d’histoire du Château de Nantes, témoignage exceptionnel d’un négoce, dont les efforts décoratifs disaient aussi bien que de longs discours le terrible projet commercial. Imprimé sur une presse typographique par des conducteurs qui nous ont tout appris, c’est à dire bien peu de choses à l’époque, il correspondait déjà à ce que nous éditons encore, des livres d’images. Et pour que ces images parlent, leur donner l’habit le plus juste. Travailler à ce que cet objet par son papier, sa main, sa proximité avec l’objet d’origine se mette à parler de l’histoire et des vies qui l’ont fait naître. Nous avions vécu pendant presque huit mois avec ce livre et quand cette première pile nous est apparue, à Yves et à moi, nous avons été touchés au cœur par l’incroyable parcours d’un livre, du désir qui se forme jusqu’à sa présence dans la librairie. Le livre était là et qui le voulait pouvait le prendre, le payer et s’en aller avec.





Indiennes de traite à Nantes, 1993




Presque dix-neuf ans plus tard, cette histoire est toujours aussi étonnante. Nous avons publié en 1994 le premier de nos livres pour les enfants, et les libraires, artisans de ce petit miracle, ceux qui font que ces livres rencontrent leurs lecteurs, nous semblent toujours être détenteurs d’un pouvoir un peu mystérieux… Nous leur confions en tremblant ces livres, nous savons que tout n’est pas parfait, certains arrivent trop tôt, d’autres trop tard, parfois les avis divergent sur la couverture – attention le libraire est un spécialiste de la couverture – les représentants sont les officiants des libraires, ils interprètent, lisent dans les soupirs et la satisfaction comme des oracles. Parfois, les représentants – ils sont formidables – ont dit que les libraires ont aimé, mais seul le réassort va parler. D’ailleurs l’éditeur croit toujours à son livre, mais le libraire est ce compétent observateur du badaud de librairie, grand ou petit, et son avis peut être terrible. Et les libraires de littérature jeunesse sont encore plus sévères et enthousiastes à la fois. Parce qu’ils ont des lecteurs qui n’ont que faire des classements et des avis louangeurs, ils aiment les livres ou ne les aiment pas, ou alors pas beaucoup, ce qui est presque pire. Le premier lecteur de l’éditeur jeunesse, c’est lui, le libraire, avec cette curieuse particularité que ce n’est pas souvent l’enfant qu’on conseille, mais un adulte, partagé entre ses souvenirs, ses propres goûts et sa soif de pédagogie. Difficile métier.





 Julien Magnani, Le Jouet, 2011




Comme les Cassandre du livre de papier sont nombreux de nos jours, nous voudrions dire à ces libraires qu’ils sont avec nous les artisans d’un luxe qui devient extraordinaire parce qu’à la portée de tous : passer une porte et entrer sans rendez-vous pour chercher un dictionnaire et repartir avec le roman d’un auteur qui va changer votre vie et dont vous ne connaissiez même pas le nom juste auparavant. Et que pour cela, de vraies personnes ont étendu le bras vers des livres choisis et achetés par eux, qu’ils ont vraiment lu et qu’ils vous ont donné l’envie de goûter. Nous avons pour projet de donner à lire aux enfants de beaux et bons livres d’autrefois comme d’aujourd’hui, et de prendre le temps de constituer ce qu’on nomme un catalogue. Le libraire, lui, prend le temps de garder vivants et présents des ouvrages de qualité pour donner un sens à ce qu’on nomme un fonds. Encore nombreux sont les gens du livre pour qui ce temps pris et donné est une respiration vitale, une résistance au vide effréné, mais aussi un gage de plaisir, de savoir, d’intelligence, de beauté.





Nous allons à ce même rythme un peu lent pour faire naître cet objet à la fois archaïque et intemporel qu’est le livre. Nous avons choisi d’imprimer la presque totalité de nos livres tout près de Nantes pour ne pas le lâcher de l’épaisseur d’une page, ce livre. De sa naissance à sa livraison chez le distributeur, harmonia mundi, qui l’emporte commencer sa vie dans chaque librairie et qui lui aussi prend le temps d’une relation proche et durable. Nous œuvrons comme un atelier, collectivement,  dans le même lieu, travaillons des années avec les auteurs et les traducteurs, photogravons pendant des semaines, dessinons la maquette, recherchons une typographie, choisissons papiers et impression, parlons aux bibliothécaires et aux libraires dans le même lieu et tous ensemble pour que ce temps soit dédié au livre. Parfois, chez MeMo nous montrons l’écorché d’un livre relié aux visiteurs, comme on le fait en anatomie : les plats, le rembordage, le pliage, l’assemblage, la couture, il en faut des opérations et des transformations pour que le miracle de la pile du libraire advienne. Et qui est entré chez un façonnier sait combien un atelier de reliure, de grande ou petite taille, est un conservatoire vivant. Une chaine achemine des ouvrages encore à moitié nus, à petite vitesse, dans un grand bruit mécanique. Parfois de minuscules imperfections subsistent. Mais c’est un objet qui a déjà vécu une vraie vie d’objet qui naît à chaque fois. Un conducteur offset s’est penché avec nous au petit matin sur le calage d’un tirage. Parfois, malgré des jours ou des semaines de travail pour reproduire un livre contemporain, peint à l’aquarelle, ou un rare ouvrage qu’il a fallu séparer en de multiples tons directs, le résultat n’est pas celui espéré. Mais il s’impose ensuite parce que ce livre, comme toutes les entreprises humaines, une fois lancé le dé, tenté de conjurer l’impossible, poursuit sa route, plié, cousu, devient le meilleur destrier possible de l’œuvre qu’il porte, l’essentiel, car il n’est que cela mais au mieux possible, toujours. Ce luxe, c’est le temps lent de l’édition. Auquel répond le temps dans la librairie, pris pour accueillir, sonder les demandes, parcourir sans cesse des tables et des étagères et voir un jour partir ces livres qu’on a invité à entrer.





LA FABRICATION D’UN LIVRE

 
Rendre l’image intelligible

 

Si l’image parle tant, c’est qu’elle le fait dans un autre langage que celui du texte, qu’elle révèle autant de l’histoire de ceux et celles qui l’ont créée que de la circulation des idées et des arts. Le premier livre de MeMo, édité en 1993, reproduisait un simple album de motifs d’indiennes du XVIIIe siècle, destinées à la traite négrière, qui disaient à leur manière, par leur naïf souci d’exotisme, l’étrangeté de l’autre, justifiant son exploitation.

 

250 ans plus tard, pour reproduire ces images dans un album, nous avions fait le choix de l’impression typographique, au moyen de plaques de zinc, une par couleur, pour redonner par le biais de la pression sur le papier et le dépôt d’un ton direct, un peu de l’aspect du tissu imprimé. Nous avions, avant les facilités offertes par l’informatique, passé beaucoup de temps à éliminer par grattage la reproduction du papier d’origine, pour ne pas reproduire un livre ancien mais, au contraire restituer un peu de l’éclat originel du tissu.

 

Le plaisir que procure le document original nous a fixé cet objectif : chercher par tous les moyens à transmettre cette émotion, du document à l’impression. Nous avons souvent constaté l’impact de l’intensité d’une couleur sur les enfants, même ou surtout très jeunes, mais les adultes y sont tout aussi sensibles. Cette atteinte directe, cet éblouissement est pour nous une sorte d’accident heureux, de confrontation soudaine avec une sensation forte, qui porte l’image mais aussi le texte à un meilleur niveau de perception des croisements d’esthétiques et de regards. ..

 

…Pour reproduire quatre livres de Vladimir Lebedev, en 2005, la quadrichromie (trois couleurs primaires et le noir qui recomposent toutes les couleurs du spectre) dénaturait complètement ces couleurs et nous avons choisi de sélectionner tous les éléments de chaque image, du bouton de culotte à la moindre strie d’une bûche, pour y appliquer des tons directs. L’impression a été réalisée en 18 couleurs. Cet effort hors-normes n’est pas une performance gratuite, le but recherché était de redonner à de petits enfants d’aujourd’hui la même fraîcheur de teintes, le même plaisir que celui qu’avaient éprouvé les petits enfants russes d’alors….

 

 

Nadiejda Teffi, Nathalie Parain, Baba Yaga, 2010

 

La mise en couleurs d’un album construit son sens

 

Pour chacun des trois abécédaires d’Anne Bertier, une technique différente a été employée :
Dessine-moi une lettre a été imprimé en quadrichromie, Construis-moi une lettre, d’un rouge profond a été imprimé en offset mais en ton direct. Rêve-moi une lettre a été imprimé en quadrichromie et plusieurs bleus. Anne nous a préparé plusieurs fonds de bleus différents que nous avons placés, puis sur lesquels sont venus s’ajouter les motifs, soit en réserve, soit en tracés de bleus plus denses. Pour les Chiffres en tête et les Chiffres à conter, nous avons imprimé en tons directs noirs et rouges. Pour le travail d’Anne, qui joue sur la perception de la forme, mais aussi des espaces entre les formes, l’intensité de la couleur est un élément essentiel. Dessine-moi et Rêve-moi une lettre sont des variations moins denses de bleus et de rouges, mais la couleur reste un sujet central du livre.





Anne Bertier, Blanches, 2009

 

 
La fabrication : maintenir en vie la chaîne graphique en France

 

On nous a souvent dit aimer dans nos livres ce sentiment d’avoir entre les mains quelque chose de « premier », d’avant la reproduction… Pour faire passer cette émotion, nous avons placé cet enjeu de la qualité de la reproduction au cœur de notre projet. Parce qu’il est capital pour nous que le tracé du crayon ou la surface peinte de l’œuvre apparaissent en pleine lumière, lavés d’un voile impalpable qui nous en éloigne et nous les rendent moins indispensables.

 

Pour y parvenir, les éditions MeMo travaillent avec des procédures particulières : séparation des couleurs en tons directs, recours à plusieurs noirs pour imprimer la gravure… Nous imprimons sur des papiers fabriqués spécialement, et la qualité du toucher qui va porter l’encre revêt la même importance que la qualité de la matière pour un tissu. Nous avons imprimé pour certains ouvrages jusqu’à 24 teintes différentes pour redonner à des ouvrages anciens le claquement des couleurs d’origine autant que pour porter le travail de jeunes artistes contemporains du livre pour enfants à un maximum d’impact visuel.



 


Nous avons parfois utilisé des méthodes d’impression et de façonnage plus rares, mais nous travaillons essentiellement avec des offsettistes régionaux, devenus de vrais partenaires. Nous portons tous nos efforts sur la numérisation et le travail sur la chromie : la photogravure est réalisée par nous depuis plusieurs années. Cela nous donne du temps et nous permet de travailler ensemble, comme des artisans, à la réalisation de nos livres.

 

Tout au long de cette chaîne, nous avons choisi de travailler avec de petites structures locales pour pouvoir suivre nous-mêmes toute la fabrication avec les professionnels du livre, aussi amoureux, à l’heure du numérique, de leur métier que les corporations de typographes dont ils sont les héritiers. Mais cette bibliothèque de savoir-faire brûle… Les entreprises ferment. La plupart des maisons d’éditions fabriquent à présent à l’étranger, et une grande partie de ce qui est vendu en France traverse les océans depuis le Sud-Est asiatique. Il ne s’agit pas pour nous de préférence nationale mais d’une résistance à un schéma économique qui uniformise les productions et donc les créations. Pour préserver la singularité de nos livres et la diversité de leurs expressions, c’est le maintien de cette chaîne graphique qui entre en jeu. Nous voulons croire que cette aventure artistique et humaine a de l’avenir…





Raul Bopp, Sandra Machado, Cobra Norato, 2005

 

 
A tout âge, l’image…

 
Larmes, de Louise-Marie Cumont, est pour nous exemplaire de notre projet : l’éducation artistique du regard. C’est un livre pour les tout-petits et un livre d’artiste pour adultes. Sur le tissu de camouflage, des yeux brodés font apparaître des visages qui s’affrontent, des corps, des silhouettes dans l’ombre. Ce livre « parle » de guerre, mais sans mots, dans la nudité d’une révélation. Le lecteur va à la recherche de l’œuvre, et cet effort est lui-même créateur. C’est le conducteur offset qui l’a imprimé qui en a livré le plus juste sentiment en le comparant à la libre composition d’images auquel se livre celui qui contemple des nuages… Beaucoup pensaient impossible le passage du livre original, en tissu, au support papier. Pour parvenir à rendre suffisamment présent l’effet du tissu, nous avons séparé puis imprimé à part la trame du tissu et ses couleurs. Après un premier essai désastreux, nous avons enfin le sentiment d’être au plus près, autant qu’il est possible, du livre en tissu. Les livres en tissu de Louise-Marie Cumont, diffusés par les Trois Ourses, sont édités en tout petit nombre. La mise à disposition d’une œuvre comme Larmes n’est possible qu’au prix de cette transposition, et c’est là que nous nous sentons pleinement utiles, dans cette accession d’un plus grand nombre de lecteurs, enfants ou grands, à ce trésor d’images et de mots. Pour nous, un acte de partage et un véritable projet d’édition.





Louise-Marie Cumont, Les chaises, 2009

 


La transmission est là, entre papier et encres, pour laisser le lecteur ouvrir la porte d’un univers. Le premier langage du livre, c’est sa prise en main, le toucher d’un papier et l’adéquation à chaque fois d’un volume et de la mise en espace des textes et des images. Un vêtement juste qui ouvre à la découverte d’une pensée et d’une création. C’est le premier mot, muet, qu’adresse le livre. Cette petite musique sans bruit parle à tous, grands et petits. Et c’est alors que la préface d’Eluard au Cœur de Pic prend son sens : ce livre d’images a l’âge que vous voulez avoir…

 

 
Le papier

 

…Tous nos livres sont sur papier bouffant. Au début, nous faisions fabriquer notre papier par une papeterie de l’Isère qui a fermé la même année que notre façonnier et notre imprimeur. Ces trois faillites ont eu beaucoup d’importance pour nous : elles montrent à quel point la chaîne graphique est  menacée en France. Il y avait là une démarche particulière que de passer commande auprès d’une papeterie plutôt que de s’adresser à l’un des quelques groupes mondiaux producteurs de papier. Le bouffant qu’on utilisait à l’époque avait une couleur spécifique. On pense souvent que le bouffant est un papier luxueux, ce qui n’est pas le cas. C’est un papier tout à fait ordinaire, celui qu’on utilise pour les romans, mais en grammage plus épais. En outre, le bouffant est un papier qui a la grande politesse d’être léger, à la différence des papiers couchés, car il contient beaucoup d’air. Par contre, c’est un papier difficile à imprimer en quadrichromie. Je profite de cette petite explication technique pour insister particulièrement sur ce dernier point : la couleur est un autre enjeu important de notre vie d’éditeur. On a voué notre vie à la couleur, comme on l’a vouée aux images : la couleur est une jouissance immédiate de l’œil. On expérimente constamment en passant des jours et des semaines pour savoir si on doit imprimer le rouge sur le noir, ou inversement. C’est fastidieux autant que passionnant mais le but est de se rapprocher le plus possible de l’œuvre originale de l’illustrateur. Cette fidélité-là est importante. En tant qu’éditeur, on ne s’estime pas auteurs ou artistes, nous ne sommes qu’une « monture », ce qui n’est pas une minoration de notre métier mais simplement le désir de s’inscrire dans une tradition où des gens comme les lithographes proposaient aux artistes les meilleures solutions techniques possibles. 

 

DIRECTIONS

 
MéMoire

 

…Dans cette acception de patrimoine, il faut garder l’absolue modernité de certains livres, d’autres n’auront qu’un charme désuet. Ce qui a fait souvent de ces livres des recalés, c’est qu’ils étaient en fait décalés... Patavant et Patarrière a été écarté par les éditeurs anglais de l’époque au motif qu’une histoire de poulain coupé en deux choquerait les petits, il n’en est rien, et les adultes savent toujours aussi peu de ces peurs enfantines. Le Marché Gobelin et le Cobra Norato ont été des livres d’avant-garde en leur temps, ils le sont toujours car la fascination qu’ils exercent est intemporelle.

La collection des Classiques étrangers pour tous est née du même constat, mais dans l’espace plutôt que dans le temps : dans chaque pays, pour chaque peuple ont compté quelques grands livres de littérature pour les enfants, qui sont universels car ce sont des chefs d’œuvre. On ne connaît souvent que les contes et légendes de ces pays. Le Petit bout manquant de Shel Silverstein ou les Histoires de Chien et Chat de Josef Capek, pour ne citer qu’eux, ont été lus par presque tous les enfants américains et tchèques et leur gravité drôle ne connaît pas de frontière...





Josef Capek, Histoire de Chien et de Chat, 2007

 

 
« L’âge que vous voulez avoir… »

 

…Tout d’abord, nous ne pensons pas que tous les livres soient indifféremment pour adultes ou enfants, mais que les images continuent à nous parler même lorsque nous avons grandi. On peut lire des livres comme Le Cœur de Pic ou les livres de Marchak et Lebedev en enfant ou en adulte, plaisir immédiat des couleurs et des mots, mais aussi mise en perspective dans une histoire de la littérature ou de l’art.







Les Petits Memômes ont pour projet de faire du travail graphique et narratif de certains auteurs contemporains de nouveaux classiques. Certains parlent à tous les âges, d’autres nous surprennent, le bestiaire de Janik Coat a plu aux adolescents et aux jeunes adultes, les livres d’Olivier Douzou sont maintenant lus à leurs enfants par de jeunes parents qui ont aimé Jojo la mâche. C’est dans les pages des livres pour enfants que l’art des images s’exprime pour nous avec le plus de liberté, mais la frontière n’est pas certaine et l’enfance de l’art nous appartient à tous.





Janik Coat, Popov et Samothrace, 2009

 

 
Collections?

 

… Ce qui nous déplaisait au départ dans l’idée de collection, c’était de créer une boîte avant de savoir qu’y mettre, mais au fil des années, des cousinages se sont créés et l’édition de certains livres a ouvert des territoires nouveaux. Dans une collection, chaque livre continue à être pour nous une création unique. L’impression en tons directs ou le recours à des techniques d’impression rares, peuvent voisiner avec des techniques contemporaines et des recherches pointues de reproduction des images : de livre en livre c’est un air de famille qui doit surgir et nous l’espérons, un esprit plutôt qu’une série. 
 
Les Trois Ourses

 

Les Trois Ourses avaient aimé Cent comptines et Patavant et Patarrière, un livre de deux auteurs anglais que nous avons réédité après bien des péripéties. Nous avons decidé de créer ensemble une collection. Avec elles, nous avons appris à donner un sens historique à nos rééditions du patrimoine. Nous sommes donc partis loin, à l’Est, puis repartis en Angleterre, avec Franciszka Themerson. Dans les années 20, en Russie, les livres de Lebedev ou Animaux a mimer de Tretiakov et Rodtchenko, constituent un acte premier qui donne au texte et à l’image un statut totalement nouveau. Entre les années 20 et les années 40, on a donc tout un cheminement qui commence avec les pionniers russes, qui passe par les Themerson, qui fondent Gaberbocchus Press, qui opère la synthèse avec l’illustration anglo-saxonne, influencée par Edward Lear, par exemple.





Pierre Roy, Cent comptines, 1994 




Elles nous ont aussi fait découvrir des auteurs comme Remy Charlip dont nous avons publié plusieurs livres : son premier, en 1956, Déguisons-nous ; Où est qui ? en 1957 ; Rien, sorte de satire amusée de la société de consommation, qui est aussi son dernier livre, Heureusement et récemment Mon chat personnel et privé, spécialement reservé à mon usage particulier. C’est un auteur immense, formidable, et ses livres n’ont pas pris une ride.

 

 

Serge Tretiakov, Alexandre Rodtchenko, Animaux à mimer, 2010





Remy Charlip, Heureusement, 2011

 

QUELQUES AUTEURS

  

… Quand on préparait Quatremers le Céleste, Lisa Bresner nous avait proposé un livre autour des idéogrammes qui associait à chaque signe une sorte de poésie ou de rébus. Nous lui avons demandé de consacrer un petit livre à chaque idéogramme. On a fait neuf livres sur plusieurs années qui sont d’une beauté et d’une poésie infinies. Au début, on m’a dit que c’était trop cher, que les gamins n’aimaient pas les livres en noir et blanc. Pourtant, quand on leur lit ces livres-là et qu’ils découvrent que le dessin peut avoir un sens, ils sont généralement subjugués. Cette notion de livres pour l’élite, trop fragiles, trop soignés, est une notion qui me semble fausse. Tous les enfants ont conscience de la beauté et du soin que l’on a pris pour faire un livre. C’est une entrée dans le savoir beaucoup moins abstraite pour eux. Ils ont un rapport immédiat et sensible au livre.

 

... Je pense que les enfants sont désireux de choses nouvelles, données comme un cadeau avec une intention particulière, avec soin. Il faut leur donner des ingrédients avec lesquels ils vont bâtir quelque chose. Quand Anne Bertier nous a montré son projet d’abécédaire, je me suis arrêtée sur la lettre x qui représentait deux Xylines de Boisduval. J’ai dit à Anne : « aucun enfant ne sait ce que c’est ! » Anne m’a répondu : « justement, seuls ceux qui auront lu ce livre sauront. » Cela va à l’inverse de ce que l’on essaye de simplifier pour les enfants : x ne va pas forcément avec xylophone… Grâce à la dimension du rêve, Anne Bertier  entraîne les enfants à sa suite…

 

… Une parenthèse : il y a des années, nous avons édité une revue de poésie qui s’appelait Quaderno avec un immense poète contemporain, Philippe Beck. À la suite de cette revue, on a aussi édité des livres de poésie. Mais on ne se sentait pas légitimes. C’est un métier sérieux, éditeur. Pour avoir un projet éditorial poétique digne de ce nom, il aurait fallu avoir plus de connaissances et plus d’envie d’acquérir cette connaissance. Il faut vivre avec la poésie, il faut avoir quelque chose à dire à la poésie. Nous, on aimait la poésie contemporaine mais nous n’avions pas de projet, de propos. Nous étions d’abord des éditeurs d’images. 


… Olivier Douzou avait complètement cessé ses activités au Rouergue puis lancé une autre maison d’édition, l’Ampoule, quand il nous a envoyé Mik, un projet auquel je n’ai pas du tout adhéré au premier abord (comme quoi, le mythe de l’éditeur omniscient…). L’intrigue me semblait trop mince. Ça lui a donné envie d’insister. En réalité, on ne savait pas ce qu’était un livre pour les tout-petits ; on ne savait pas faire. C’est Olivier qui nous a prouvé qu’une fiction graphique pour les tout-petits pouvait être construite sur un argument unique, court, signifiant, avec un écho très fort dans la vie d’un bébé, comme la perte d’un ballon. Ce livre a été choisi par la Seine-Saint-Denis pour être donné aux enfants des crèches. Depuis, Mik a beaucoup de livres compagnons…
Le Nez, autre album d’Olivier Douzou, a reçu le Baobab de l’album au Salon du livre de Montreuil… et nous étions très fiers pour Olivier ! Toujours à Montreuil, nous avons coédité avec le Salon pour un livre qui accompagnait l’exposition mise en espace par Olivier : Play, tout en ayant sa vie propre de livre. C’est devenu le premier ouvrage d’une collection particulière, « les livres d’auteur », sorte de carte blanche donnée à un auteur. Olivier en a fait une histoire personnelle des images qui l’ont marqué, un livre autour de la genèse de son univers à partir du jeu et des jouets. Ce livre a ensuite donné envie à Grégoire Solotareff de faire son Imagier à l’occasion de l’exposition que le Centre de l’illustration de Moulins lui a consacré. C’est la construction d’un artiste avec toutes les images qu’il a aimées, ses brouillons, ses photographies. C’est son monde d’images.





Grégoire Solotareff, Solotareff imagier, 2008 

 


Anne Crausaz et Janik Coat utilisent la même technique de dessin vectorisé sur ordinateur. Mais quand on regarde bien leur travail, leur style ne se ressemble pas plus que celui de deux artistes qui utiliseraient le fusain, par exemple. Le beau travail de Janik Coat a tout de suite été remarqué, notamment par le Salon de Montreuil qui a choisi le bestiaire de Popov et Samothrace pour sa communication en 2005. Nous avons depuis fait trois livres avec elle, Je ne suis pas comme les autres et plus récemment un livre muet, La Surprise. Anne qui est Suisse, a travaillé en Pologne. Son dessin aurait pu être realisé autrefois à la gouache, sans rien changer à son inspiration. Elle a un souffle de raconteuse d’histoires, et s’inspire des cycles de la vie. Nous aimons travailler avec des auteurs illustrateurs, qui peuvent faire avancer texte et images en même temps, leurs projets nous semblent toujours avoir une plus belle épaisseur.





Anne Crausaz, j'ai grandi ici, 2008

 


… Je connaissais Kitty Crowther depuis longtemps et elle était d’accord pour qu’on travaille ensemble mais, disait-elle, « pour un projet très spécial ». Quand j’ai reçu par mail le texte d’Alex Cousseau, j’ai immédiatement pensé à elle. Il faut que l’intuition soit évidente. Une autre chose qui est absolument proscrite dans la plupart des maisons d’édition, c’est l’auteur qui arrive déjà « marié ». Chez MeMo, ça s’est produit plusieurs fois pour Marché Gobelin de Christina Rossetti et Anne-Laure Sacriste, par exemple, ou encore pour Seichito de Marie Alberto Jeanjacques et Karen Hottois… Les projets se bâtissent parfois très bien sans nous et nous offrent l’occasion de faire des livres qu’on n’aurait jamais pu imaginer.

 

… Je n’ai aucune envie de programmer la possible acceptation d’un livre par ses lecteurs. J’ai une pensée pour Josef Capek et ses Histoires de chien et chat. Quand j’ai ouvert ce livre, je ne comprenais pas un mot de tchèque mais j’ai trouvé ces images merveilleuses. Pourtant, jamais je n’aurais pu imaginer l’accueil réservé à ce livre. Ce conte est aussi formidable à entendre aujourd’hui que dans les années 30 –Trois de ces histoires avaient d’ailleurs été publiées dans les années 70 par le Père Castor mais avec d’autres images. Qui peut mesurer ce genre de choses ? C’est uniquement une question de texte, de goût personnel. C’est un plaisir égoïste ! Je l’ai édité uniquement pour avoir le plaisir de lire ce texte avec les images d’origine. On ne sait pas à l’avance ce qui va se passer et ce n’est pas là que se situe le critère du choix… Au bout de vingt ans, il se peut qu’on sache faire des livres, mais prévoir le tirage et savoir quels livres vont se vendre nous est toujours aussi difficile… Si une maison d’édition compte sur son service commercial, si elle lance une histoire de princesses écrite par une célébrité, si elle accompagne son livre de calendriers et autres produits dérivés, alors les enjeux sont différents. Mais, dans un pays comme la France qui a beaucoup de chance parce qu’il peut encore compter sur un réseau de librairies indépendantes, des bibliothèques avec un vrai service public de lecture publique, et des imprimeurs aux compétences graphiques solides, les petits éditeurs ont moyen d’exister en proposant des livres qui ne sont pas immédiatement consommables. C’est une chaîne. On est tous solidaires les uns des autres.

 

… Enfin je pense au Petit bout manquant de Shel Silverstein et à ce que j’ai vécu, un soir, dans une minuscule bibliothèque du Poitou-Charentes. Arrivent le maire et sa dame, le maire-adjoint et sa dame, et je leur raconte cette histoire du Petit bout manquant, histoire éternelle de l’incomplétude qui nous constitue tous… À la fin du livre, le maire-adjoint a les larmes aux yeux. Il est bouleversé de savoir qu’un tel livre existe et veut l’offrir à sa famille, à ses amis. C’est le miracle d’un livre d’images que de créer un pont entre un créateur, Shel Silverstein, auteur américain, dessinateur pour Play Boy, poète, parolier, et cet homme, quelques années plus tard, que cette histoire a vraiment touché. Le métier d’éditeur peut vous permettre de vivre ça, un soir.

 

Nous faisons un beau métier.





André Hellé, Drôles de bêtes, 2011


André François, Le Petit Brown, 2011

 


Les sources de cet entretien sont: un texte préparé pour les Librairies Sorcières et des extraits d'interviews par Geneviève Fransolet, Olivier Carrérot et Malika Person.