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Le livre en analyse, d’Annie Rolland / illustré par Etienne Delessert, Thierry Magnier, août 2011

Mis en ligne le 13 décembre 2011
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Annie Rolland est psychologue clinicienne et docteur en psychologie clinique et pathologique.

Depuis plusieurs années, elle explore la littérature destinée à la jeunesse et ses résonances dans la vie et le développement des enfants et des adolescents. Elle porte donc sur cette littérature un regard particulier, aiguisé et ouvert, en plaçant ceux et celles auxquels elle est destinée au cœur même de son analyse. Elle s’appuie également sur ses observations et sur les entretiens qu’elle a menés avec les enfants et adolescents qu’elle a soignés.

A la demande d’Etienne Delessert, Annie Rolland tient,  depuis près de deux ans,  une chronique régulière sur le site Ricochet. C’est ce travail particulièrement intéressant qui est publié aujourd’hui dans cet ouvrage destiné aux prescripteurs.

Dans l’introduction, l’auteure s’explique sur le titre même de l’essai : « L’idée d’une littérature en analyse –entendue au sens de la psychanalyse- peut paraître saugrenue, voire inutile. […] La littérature n’a nul besoin qu’un ‘’psy ‘’ se penche sur son cas, elle n’est pas malade ! ».  […] Pour que cesse cette confusion, nous ne proposons pas de comprendre la littérature pour la jeunesse, mais nous tentons de montrer comment la littérature (et l’art en général) nous révèle sans cesse quelque chose de nous-mêmes et nous donne à penser par l’imaginaire qui filtre utilement  le réel si violent de nos existences. Notre propos procède d’une alliance entre la rêverie et la construction scientifique et n’a d’autre ambition que la curiosité à partager. Car si la littérature n’a pas besoin d’être analysée, nous pouvons en revanche être curieux de ce qui nous relie à elle. »

 

L’on retrouve dans cet essai douze chroniques qui interrogent différents champs et balaient les grandes thématiques de la littérature pour enfants et adolescents.

Le sommaire de l’essai est organisé de manière chronologique, débutant par les livres destinés aux plus jeunes, jusqu’aux romans s’adressant aux jeunes adultes.

 
 


 
 

Le premier chapitre s’intitule « Les nourritures imaginaires » 

Annie Rolland s’intéresse aux livres d’images et à la relation forte que les lecteurs ou futurs lecteurs entretiennent avec les images. L’image est le premier médium auquel nous sommes confrontés. Elle ouvre les premières portes des mondes racontés. Elle permet d’aborder la réflexion sur l’image du corps de l’enfant.

 

Chapitre 2 : « Yok Yok, ami du monde, ami du moi » 

Ou comment les personnages de fiction deviennent, pour un temps, des compagnons imaginaires, certes, mais essentiels. Ils ne prennent vie que par les enfants qui les lisent et les aiment. «  La lecture est seule créatrice car elle fabrique la rencontre entre deux créateurs de mondes. » Yok Yok est l’un des personnages important de l’œuvre d’Etienne Delessert.

 

Chapitre 3 : « Qu’est-ce que les Indiens des ‘’tipis’’ racontent aux enfants des maisons ? » 

Par le truchement des personnages de trois contes amérindiens, il s’agit d’interroger les mythes fondateurs comme la création du monde, qui disent aux enfants le sens de la vie, le rapport au (x) monde (s).

 

Chapitre 4 : «  La maison, corps et âme » 

Le très bel album de Patrick J. Lewis et Roberto Innocenti, « La Maison », publiée chez Gallimard jeunesse, raconte l’histoire d’une maison qui traverse plusieurs siècles, connaît des heures de gloire et d’abandon, et abrite des générations d’humains. Comment notre habitat nous habite ? Comment notre maison nous transmet une mémoire ? Comment elle nous parle de nous : « Dis-moi où tu habites, je te dirai qui tu es. » La maison symbolise l’être humain.

 

Chapitre 5 : « Peter Pan, le vieil enfant »

De nombreux ouvrages ont été écrits sur Peter Pan, le personnage énigmatique et triste créé par J.M. Barrie. Peter Pan ne veut pas grandir, Peter Pan est un vieil enfant dont la quête n’a pas de fin. Peter Pan joue, éternellement,  au Pays imaginaire. S’identifier à Peter Pan, c’est conjurer la peur de mourir.

« J’accorde à Peter Pan une attention bienveillante depuis longtemps car il tente d’entraîner avec lui au Pays imaginaire la cohorte des enfants perdus et effrayés afin de les sauver. Ils parlent tous de leur mère avec amour et adoration. Ils parlent d’une mère imaginaire qu’ils inventent jour après jour, une mère abyssale qui les a figés dans une éternelle enfance. S’il est communément admis que tous les parents aiment leurs enfants, soulignons que le ‘’sentiment océanique’’ a des charmes devenus un beau jour sortilèges si l’on n’y prend pas garde à temps. J’ai écrit ces lignes comme une invitation à relire l’histoire du vieil enfant Peter Pan. Je pense qu’il peut nous aider à déjouer les pièges de nos illusions et à comprendre que le jeu des enfants n’est pas une bagatelle mais une affaire sérieuse … L’imaginaire de notre enfance structure la réalité de notre avenir. »

 

Chapitre 6 : « L’adolecteur et le censeur »

Les livres destinés aux adolescents font parfois l’objet de querelles et de débats très forts parmi les médiateurs. Ces ouvrages, qui mettent en scène des personnages adolescents confrontés à des situations très noires, sont jugés par certains comme néfastes, violents,  et donc censurés.

Annie Rolland donne, dans ce chapitre, un éclairage particulièrement intéressant et ouvre la voie à une réflexion constructive et utile pour tous les prescripteurs que nous sommes. Elle montre que les adolescents qui lisent ces livres, souvent passionnément, ne s’y trompent pas. Ils ne confondent pas réalisme et réalité. Ces livres, qui font peur à certains adultes, leur permettent aussi  de se construire et d’appréhender le monde dans lequel ils vivent.

 

Chapitre 7 : « Le corps et le cœur des filles »

Est abordée ici la question essentielle de la sexualité des femmes, le rapport que les filles entretiennent avec leur corps et le regard que les sociétés portent sur ce corps. Si la littérature foisonne de romans d’amour, ce n’est que récemment qu’elle aborde la  sexualité adolescente. Les romans de Melvin Burgess ou de Gudule ont ouvert la voie et provoqué par là même quelques polémiques.

Rappelons-nous « L’amour en chaussettes », de Gudule, publié en 1999 chez Thierry Magnier. Il raconte, par la voix d’une jeune fille de 14 ans, sa première fois avec le garçon qu’elle aime, Arthur.

« Les lecteurs adultes reprochent à l’auteur la crudité de la scène d’amour finale. A y regarder de près, elle est surtout empreinte de la naïveté propre au jeune âge des protagonistes, tendresse et curiosité mêlées. Elle relate aussi le bonheur d’un essai transformé. L’acte sexuel constitue un enjeu adolescent dont les plus hardis se vantent et qui obsède les plus timides. »

 

Chapitre 8 : « Un ange amoureux révolté est passé. »

Il est question dans ce chapitre d’un tabou encore plus fort que celui de la sexualité, la vie amoureuse et sexuelle des handicapés, qu’ils soient adolescents ou adultes. Annie Rolland y parle, entre autres, du très beau livre de Cathy Ytak, « Rien que ta peau », publié en 2008 chez Actes Sud junior.
« La question de l’éveil à l’amour dans une dimension qui articule le désir charnel et la relation amoureuse.  Le titre donne déjà le ton par la référence tactile à l’organe du toucher, cette interface sensible entre le monde et nous. L’écriture délicate de l’auteur donne une place dominante à la sensualité, aux représentations mentales des sensations physiques propres à l’éveil amoureux. Le texte court allie à la densité du style. La force des images, la dominante poétique du jeu des couleurs de la vie, du temps, des vêtements, de la nature donne au corps une place primordiale.

Seulement, voilà, la beauté de l’histoire tient au fait que Ludivine n’est pas ‘’comme les autres’’. Elle est ‘’lente’’, euphémisme pour dire la différence. Est-elle idiote ? débile ? handicapée mentale ? déficiente intellectuelle ? Le lecteur apprend qu’elle prend le car pour se rendre quotidiennement dans un ‘’institut’’ et qu’elle vit avec ses parents.
 »

 

Chapitre 9 : « Le noyau de vérité de la folle pensée. »

Où l’on parle ici de la folie qui frappe les adolescents, un sujet qui place le lecteur dans une position inconfortable, faite de doutes,  et qu’il est difficile de dire avec des mots. « Le temps des lézards est venu »  de Charlie Price, publié chez Thierry Magnier en 2009, est le point d’ancrage du chapitre.

 

Chapitre 10 : « A la vie, à la mort »

L’auteure s’appuie ici sur le roman de Guillaume Guéraud, « Je mourrai pas gibier », publié au Rouergue en 2006, et sur son adaptation en bande dessinée dessinée par Alfred, chez Delcourt en 2009, pour parler de la violence meurtrière. Un texte remarqué dès sa parution, que certains prescripteurs ont immédiatement censuré tant ils le trouvaient violents. Elle rappelle encore une fois que « la réalité sociale est différente de la fiction romanesque. » Les livres ont ce pouvoir extraordinaire parfois de donner des mots à ceux qui n’en ont pas. Mettre en mots, c’est aussi éviter de passer aux actes.

 

Chapitre 11 : « Des romans qui nous glacent le cœur »

Les Nordiques, qui créent une littérature pour la jeunesse très ancrée dans la réalité, loin des clichés édulcorés de l’enfance, parlent fréquemment d’adolescents confrontés à la manipulation et aux failles du monde adulte.

C’est ce à quoi s’intéresse ici Annie Rolland, à travers deux livres forts, puissants, venus du Nord et publiés chez Thierry Magnier. Le premier, « Faire le mort », est un roman suédois de Stefen Casta ; le second, « Caufield, sortie interdite », est signé par Harald Rosenlow Eeg, un écrivain norvégien.

Ces deux textes plongent le lecteur dans un malaise grandissant et n’ont pas une fin heureuse. Pourquoi ? Annie Rolland explique :

« Les effets de la lecture de ce roman même s’ils nous dérangent profondément et qu’ils bousculent notre vocation protectrice, doivent être interprétés comme un message symbolique d’une double séparation. D’une part, celle de l’enfant et de ses parents et d’autre part, celle de l’adolescent en situation de ‘’mue’’ psychique qui se débarrasse de sa peau d’enfant. [… ] Pour qu’un adulte naisse, un enfant doit mourir. »

 

Chapitre 12 : « La censure, fille de la honte et du secret »

Enfin, pour clore ce parcours, Annie Rolland aborde l’inceste et la pédophilie, deux fléaux que l’on aborde encore peu et qui sont donc « protégés » par la censure, le secret, la honte. Elle y analyse « Le Survivant », de Jeffry W. Johnston (Thierry Magnier, 2010) et y analyse aussi le conte de « Peau d’âne »

La conclusion de ce dernier chapitre est évidente  :

« Censurer les romans qui relatent des histoires aussi tragiques que les romans que nous avons cités est une erreur. En effet, si nous souhaitons protéger les enfants, acceptons de leur parler des égarements de la sexualité et de l’amour. Si nous les taisons et les tenons au secret, notre silence est un silence complice car nous censurons l’information au sujet d’une forme de transgression qui entre en conflit avec les exigences de notre surmoi. [… ]Laissons les adolescents lire les histoires qui les libèrent de la honte et des secrets. »

 

Voici donc un essai passionnant  qui se lit aisément. Il pose très clairement les enjeux de la littérature de jeunesse et permet aussi aux prescripteurs de réfléchir sur leurs propres limites, sur leur rôle de passeurs et leurs relations avec les enfants et les adolescents qu’ils conseillent ou accompagnent. Il leur donne aussi des arguments pour résister à leurs éventuelles décisions de censurer tel ou tel livre pour « mieux » protéger leurs lecteurs, pour les mettre à l’abri des noirceurs de notre monde. Quelle est en effet la meilleure façon de protéger et de faire grandir ?

 

Le livre est ponctué des illustrations délicates et sensibles, en noir et blanc, d’Etienne Delessert.

Chaque chapitre est doté d’une bibliographie importante : romans, ouvrages d’analyse, et des références de films qui font écho aux sujets abordés.

 

Annie Rolland a également publié un autre livre d’analyse passionnant chez Thierry Magnier : « Qui a peur de la littérature ado ? »

 


 

 

Voici enfin la liste des ouvrages publiés dans des collections « Jeunesse »,  cités et analysés par Annie Rolland :

 
Lady, ma vie de chienne, de Melvin Burgess. – Gallimard jeunesse, 2002

Junk, de Melvin Burgess. – Gallimard jeunesse, 2002

Une idée fixe, de Melvin Burgess. – Gallimard jeunesse, 2004

Faire le mort, de Stefan Casta. – Thierry Magnier, 2004 (Roman)

Yok Yok, d’Etienne Delessert. – Gallimard jeunesse, 2011

                Une noix – L’escargot – Les bons et les mauvais – Le chat qui parle trop – Les monstres.

 
Je reviens de mourir, d’Antoine Dole. – Sarbacane, 2007 (eXprim’)

 
Caufield, sortie interdite, de Harald Rosenlow Egg. – Thierry Magnier, 2009

 
Je mourrai pas gibier, de Guillaume Géraud. – Le Rouergue, 2006 (doAdo)

Je mourrai pas gibier, de Guillaume Géraud et Alfred. – Delcourt, 2009

 
L’amour en chaussettes, de Gudule. – Thierry Magnier, 1999 (Roman)

Monstres malades, d’Emmanuelle Houdart. -  Thierry Magnier, 2005

La maison, de Patrick J. Lewis et Roberto Innocenti. – Gallimard jeunesse, 2010

Le survivant, de Jeffry W. Johston. – Thierry Magnier, 2010 (Roman)

 
Le temps des lézards est venu, de Charlie Price. – Thierry Magnier, 2009 (Roman)

Max et les maxi monstres, de Maurice Sendak. – L’école des loisirs, 1967

 
Loulou, de Grégoire Solotareff. – L’école des loisirs, 1989

 
Rien que ta peau, de Cathy Ytak. – Actes Sud junior, 2008 (D’une seule voix)

Etienne Delessert