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Julia Billet : du bonheur de voir naître des textes

Nathalie Wyss
19 juin 2017

Julia Billet est l’auteure de nombreux livres pour la jeunesse. Elle vit en France, dans les Vosges, où elle est professeur d'art. Son dernier roman, La trouille, paru aux éditions Le Calicot, nous plonge dans les pensées d’un adolescent à la veille de sa sortie de prison. Malgré une thématique difficile, Julia Billet signe un très beau texte, lumineux et sensible. 

Nathalie Wyss : Pourquoi La trouille ? Comment est né ce texte ?
Julia Billet : J’ai fréquenté les prisons, en y faisant des ateliers d’écriture. J’y ai passé des moments très forts, j’y ai fait de belles rencontres, partagé des moments émouvants, parfois tristes mais aussi parfois très drôles. Pour moi, auteure, animatrice d’ateliers d’écriture, il est important d’entrer en prison, parce qu’on y apporte de l’air, de la lumière. Je ne comprends pas que dans un pays « avancé » comme le nôtre, on enferme encore et toujours des femmes, des hommes, des presque enfants et même des enfants. Les prisons pour moi sont des lieux où l’on déshumanise, où l’on maltraite l’humanité. L’idée de la prison me met en colère. On ne soigne pas, on n’aide pas à la prise de conscience, on n’éduque pas, on attise la colère de ceux qui auraient souvent plus besoin d’écoute et de soutien que d’humiliations. Au lieu de proposer la lumière, on met à l’ombre. Je trouve cela très étrange. Ce texte est né de rencontres que j’ai pu faire mais aussi d’une histoire qu’une amie m’a racontée. Elle est partie écrire en montagne avec des détenus proches de la libération et du personnel de la prison. Ils ont marché et écrit plusieurs jours durant. À son retour, mon amie était très fatiguée et en même temps apaisée. Les mots, le silence, la marche, la montagne leur avait fait partager un vrai moment de liberté.

Pour mieux appréhender sa sortie de prison, votre narrateur est invité, par l’établissement pénitencier dans lequel il est emprisonné, à un trek en montagne. La nature prend alors toute son importance dans votre récit. Êtes-vous une contemplative, une amoureuse de la nature ? 
J’aime le ciel, les arbres, la terre, les nuages, les fleurs, le vent, la pluie, le soleil (beaucoup !), la mer, la montagne, les parfums du vent, l’odeur du sel, les volcans, les forêts du monde… Je ne sais pas si je suis contemplative (sans doute pas, je suis trop souvent impatiente et j’ai souvent trop envie de me lancer dans de nouveaux projets) mais je me sens proche de la nature, j’ai besoin de vert, de bleu, de lumière de fin de jour ; je sais comme cette liberté d’être au monde est précieuse.

Votre narrateur nous entraîne dans ses réflexions sur son passage à l’âge adulte. Était-ce pour vous l’occasion de revenir à ce moment de votre vie ?
Question difficile… Peut-être, de façon inconsciente ? En fait, je pense que notre vie est faite de passages. Celui à l’âge adulte en est un, mais ce n’est ni le premier, ni le dernier. C’est ce que je dis parfois aux adolescents en souffrance. Notre vie se construit sur ces moments où nous remettons en cause bien des choses. Quand on entre en CP, au lycée, quand on est ado, quand on entre dans la vie « active », quand on change de travail, quand on devient parent, quand on est amoureux, quand on n’est plus amoureux, quand on perd un aimé, quand on se sent vieillir, quand on est malade… Notre vie est faite de ces moments où tout semble basculer. Et savoir qu’il y a quelque part un(e) ami(e), une montagne sur laquelle on peut s’appuyer, c’est nécessaire, toute notre vie.

Et vous, qu’est-ce qui vous donne la trouille ?
La haine, la violence, l’injustice, le racisme, le fascisme… les politiciens qui attisent ce qu’il y a de plus mauvais chez les humains, et les humains qui ne pensent pas, ne s’interrogent pas, et laissent toute la place à leur colère, à leur bêtise parfois. Et j’ai peur, toujours très peur de perdre ceux que j’aime.
 
Comment êtes-vous venue à l’écriture ?
Sans doute par les livres, les histoires qu’on m’a lues enfant puis celles que j’ai lues toute seule, souvent pour échapper aux bruits du dehors (les disputes de mes parents) et aux insomnies (petite déjà, j’avais du mal à dormir). Les livres m’ont amenée à écrire, dans le silence. J’ai écrit très jeune, je peux même dire très petite. Pourtant, j’étais nulle en orthographe et j’ai eu plus qu’à mon tour des annotations rudes et rouges dans la marge de mes cahiers. Mais je devais déjà être un tantinet combative ; peut-être me disais-je alors : je fais peut-être des fautes mais ça ne m’empêchera pas d’écrire si je le veux ! Ecrire a vite été une nécessité pour moi. J’étais une enfant discrète, je crois, je ne parlais pas beaucoup et pourtant j’avais à dire et beaucoup à raconter. 

Vous donnez également des ateliers d’écriture. Que vous apportent-ils ?
J’aime voir naître des textes, sentir l’émerveillement de ceux qui croyaient ne pas pouvoir, ne pas savoir, ne pas être capable, et qui tout à coup, se rendent compte qu’ils ont tant à écrire. Je me sens un peu la sage-femme qui aide le bébé à entrer dans le monde. Ce sont de très beaux moments où la confiance, l’amitié, la bienveillance sont à leur place, de façon évidente. 

En vous lisant, on devine chez vous une grande sensibilité. D’où vient-elle, selon vous ?
Je suis touchée par votre question… D’où nous vient d’être sensible ? Il y a sans doute un tas de réponses possibles à cette question. Peut-être de savoir que la vie est fragile, que tout peut s’arrêter en un instant ? Peut-être parce que je doute bien souvent ? Peut-être parce que je suis poreuse à la souffrance des autres ? Peut-être parce que j’écris ? Sans doute parce que j’aime la vie, l’amour ?

Quelles sont vos plus grandes sources d’inspiration ?
Le monde qui m’entoure, les émotions fortes (la colère, l’indignation, le sentiment d’injustice…), les rencontres, les lectures… et l’envie d’écrire.

Dans quelles conditions écrivez-vous ? Avez-vous des rituels ?
J’aime mon atelier, mon grand bureau envahi de livres, papiers, objets fétiches (même si parfois, j’aspirerais à être plus ordonnée, à ne plus être au milieu d’un fouillis mais de pouvoir travailler avec un horizon plus dégagé). J’écris près de la fenêtre, au-dessus du jardin : j’ai besoin de lumière et de calme. Mais je peux aussi écrire ailleurs, quand je suis lancée sur un projet. Mon ordi me suit partout.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Et quels sont vos projets à venir ?
Un album avec une illustratrice de grand talent autour de l’exil et de la difficulté d’être dans un monde dont on ne connait ni la langue ni les codes. Trois petits albums pour les tout-petits, avec une autre jeune et talentueuse illustratrice, autour de la liberté, de l’égalité et de la fraternité (mais j’ai tenté de le faire de manière poétique). Un autre album, façon imagier, avec une autre illustratrice tout aussi douée, qui joue avec l’imaginaire de l’enfance (ce sont mes premières expériences pour les très jeunes enfants). J’ai aussi l’idée d’un recueil de nouvelles pour les plus grands et un roman « vieillesse » en cours. Et quelques autres projets en gestation… 

Un conseil d’écriture pour les écrivains en herbe ?
Il n’y en a qu’un : écrivez, écrivez, écrivez ! Jusqu’à ne plus maîtriser, jusqu’à ne plus décider de ce que vous voulez écrire, jusqu’à ce que les mots vous prennent par la main et vous emportent dans l’inconnu. 
 

19.06.2017