Aller au contenu principal

Rechercher un article ou une interview

Date

Jack Chaboud

1 octobre 2001




Jack Chaboud, auteur et homme orchestre lance une nouvelle collection chez Magnard Jeunesse, Les P'tits Intrépides. L'occasion pour Ricochet de le rencontrer.



Ricochet : Jack Chaboud, vos livres sont souvent empreints d'imaginaire, de merveilleux et de fantastique, vous êtes vous consacré d'emblée à l'écriture pour les enfants ?

Jack Chaboud : Non, j’ai commencé par écrire des nouvelles fantastiques pour des revues, puis j’ai entrepris l’écriture d’un roman adulte ; mais j’étais aussi tenté par un chemin serpentant entre le merveilleux traditionnel et le non sens anglo-saxon et ça a donné « Sourire et le bouffon » chez Ipomée, une histoire sous influence Carrollienne.

Ricochet : Ecrire pour la jeunesse, est-ce toujours une vraie aventure ?

Jack Chaboud : Oui, c’est toujours une aventure. J’ai encore bien des histoires à écrire, je les crois intéressantes, voire innovantes. Elles m’attendent, elles se rappellent à moi parfois, mais je les repousse impitoyablement. L’heure n’est pas venue !

Je pense mon avenir d’auteur à égalité entre les mondes littéraires jeunesse et adulte.

Ricochet : Jack Chaboud, auteur, directeur de collection, ardent militant de la Charte des Auteurs et des Illustrateurs, sans oublier le journalisme et la communication, vous êtes un peu un homme orchestre dans la littérature de jeunesse ? Est-ce toujours simple de concilier toutes ces activités ?

Jack Chaboud : Non, c’est une réelle souffrance de n’avoir pas assez de temps pour écrire. En ce qui concerne le militantisme chartiste, je ne me représente pas au CA, j’ai donné six ans, je passe un peu la main ; mais je conserve la rédaction en chef du journal. En fait, je considère que compte tenu de ma situation, je suis au service des auteurs et illustrateurs de jeunesse, avec deux objectifs : la défense de jeunes créateurs souvent isolés et vulnérables et la reconnaissance d’une véritable littérature pour la jeunesse. Depuis deux ans, j’ai abandonné tous travaux de communication et presse. Mon redéploiement, ce sont les cinq collections de chez Magnard, avec une surprise éditoriale en mai prochain et l’écriture dans les domaines jeunesse et adulte.

Ricochet : Et l'écriture dans tout cela...? Pensez vous que le cumul de toutes ces activités à changer votre rapport à l'écriture pour la jeunesse ?

Jack Chaboud : Oui, je me suis dégagé autant que j’ai pu des influences qui ont pesé sur mon écriture au début, de même que j’ai appris à respecter les jeunes lecteurs en n’écrivant par « au dessus d’eux » pour des adultes complaisants ou en recherche d’une zone d’écriture pour « jeunes vieux ». Mais mes activités diverses ont ralenti mon travail d’auteur et j’ai l’impression que j’ai tout à démontrer de ce que j’affirme aujourd’hui.

Ricochet : Après plusieurs collections chez Magnard, vous lancez "Les P'tits Intrépides" chez le même éditeur, pourquoi cette nouvelle collection ?

Jack Chaboud : Il y a trois ans j’avais proposé à Isabelle Magnard de prolonger par les thèmes de l’aventure les collections que j‘avais créées. Je ne fais pas de « coups éditoriaux », je ne suis pas les modes. Ainsi, le fantastique n’est pas mort dans l’édition de jeunesse avec l’effacement de l’avatar dégradé d’un genre qu’était « Chair de poule » : le fantastique est une des forces vives de la littérature. De même, l’aventure est un des souffles de la création, qu’elle soit exotique, humanitaire, écologique, historique, drolatique. L’aventure, c’est la vie lorsqu’elle abandonne la psychologie des profondeurs ou de la surface, la détresse sociale et morale, l’amour à mort et à mère : tous genres qui ne relèvent pas de mes préoccupations d’auteur et éditeur en jeunesse.


Ricochet : L'aventure, la découverte et l'écologie semble les maîtres mots de cette nouvelle collection, comment aborder vous ces thèmes, à la fois traditionnels et nouveaux en littérature de jeunesse ?

Jack Chaboud : Bon, j’ai déjà un peu répondu à cette question. En fait, vous savez, moi qui vient d’un univers beaucoup plus puissant que l’édition en terme de marketing (l’industrie pétrolière), je ne donne pas de charte, contrainte ou autres sillages aux auteurs, ils viennent avec leur talent et ce dont ils sont porteurs ; il n’est donc pas étonnant que surgissent des thèmes éternels (pirates, trésors …), des thèmes actuels (sports, environnement, souffrances des peuples de la terre …).

Ricochet : Je reviens un instant sur le thème de l'écologie, qui semble être partout présent, dans la collection "Les P'tits intrépides", est-ce une volonté de votre part d'aborder aujourd'hui la sauvegarde de l'environnement pour les plus jeunes ?

Jack Chaboud : Non, encore une fois, pas de militantisme et pourtant je suis très proche de Noël Mamère qui m’a promis un texte et a lancé une collection spécifique par ailleurs. Je crois que nous vivons tellement dans ce contexte qu’il ne peut pas ne pas fortement imprégner la notion de récit d’aventure. Tout l’univers du récit exotique est pollué par : le pétrole, la déforestation, le trafic d’ivoire, l’extermination des animaux sauvages …. En outre, si la catastrophe de l’Erika relève de l’écologie, Les derniers jours de Pompéi traite aussi d’un risque majeur.

Ricochet : Vous avez souhaité, pour le lancement de cette nouvelle collection, intégré un comité de lecture d'enfants, qui vous ont aidé à choisir les manuscrit, comment cela s'est-il déroulé ?

Jack Chaboud : Autant vous avouer que je n’ai pas présidé à cette mise en place. Je vais découvrir ce petit comité et je pourrai en reparler dans quelques temps.

Ricochet : Choisissez-vous toujours les textes de vos collections en pensant aux jeunes lecteurs, ou y-a-t-il d'autres paramètres qui rentrent en compte ?

Jack Chaboud : En fait, je choisis dans ce qui m’est proposé, en pensant aux jeunes lecteurs. Pas de préalable moral, pédagogique. Cependant, il m’arrive de parler d’un sujet qui me tient à cœur, de lancer une idée et ça revient ou pas. Quelques exemples : je suis assez en alerte sur les problèmes de sectes, un jour j’ai demandé au psychiatre Jean-Marie Abgral s’il serait tenté par « l’aventure » d’un roman sur le sujet. Pas de commande, un risque d’écriture total, un écueil à éviter : la lourdeur de la démonstration. Au bout de trois ans Martin et le gourou est arrivé. Depuis son assassinat, j’ai souvent pensé au petit Iqbal Massi (le petit Pakistanais qui avait fondé un comité de défense des enfants esclaves) Au pays d’Iqbal de Jacques Venuleth est arrivé tout seul …


Ricochet : En tant que directeur de collection, découvrir un nouvel auteur est-ce toujours une satisfaction, un nouveau challenge pour le faire lire et l'imposer ?

Jack Chaboud : C’est un des moments forts de la vie d’éditeur que d’ouvrir la porte à un nouvel auteur (13 sur 60 depuis la création des collections), dont deux ont obtenu immédiatement une avalanche de prix (Eric Boisset et Eric Simard), ou au premier roman de scénaristes de BD (Rodolphe, Convard), d’auteurs d’albums enfants (Martine Delerm, Anne Quesemand), de journaliste jeunesse (Lisette Morival) … L’année prochaine sera riche en ce sens, une dizaine d’auteurs nouveaux sur quarante titres à paraître, parmi eux : le créateur du groupe Pow Wow, Alain Chennevières, le dessinateur de BD Jack Manini, le dessinateur-éditeur Yann Autret …
Je suis étonné que les circuits et arcanes du monde de l’écriture jeunesse ne se soit guère aperçu du talent de Martine Delerm, du monde propre à Eric Simard, de la beauté totale sur un sujet usé de Mademoiselle V de Jean-Baptiste Evette …

Ricochet : Votre expérence de l'industrie, vous a-t-elle aidé dans votre travail de directeur de collection, du texte à sa commercialisation ?

Jack Chaboud : Si j’ai quitté un jour l’industrie, c’était pour vivre l‘aventure de la création. Pendant un certain temps j’ai trop mélangé édition-création-communication-business. C’est fini. Chez Magnard, je suis un directeur littéraire et c’est tout (ou presque). Je pense que ma formation et ma personnalité, donc mon passé, m’assurent sans doute une cohérence, une force, un sens de l’organisation, une indépendance, utiles à mon activité. Le reste ne dépend pas d’une quelconque compétence, mais de la pratique d’une alchimie qui transmute les êtres et leurs créations.


Ricochet : Il semble que la littérature française pour la jeunesse actuellement, notamment dans le genre romanesque, soit très peu connue (ou reconnue) au-delà de nos frontières. Quel serait pour vous, en ce moment, les meilleurs moyens pour promouvoir cette production française ?

Jack Chaboud : La question ne relève pas de ma compétence. Je ne connais pas les circuits foires internationales, ventes de droit … Ce que je peux seulement avancer c’est que : là comme ailleurs les Français ne sont peut-être pas d’aussi bons managers que les anglo-saxons, qu’ils pratiquent mal l’anglais, que la littérature présentée (je ne parle pas des albums et autres livres pour enfants dont je ne connais rien) manque de souffle et d’universalité.

Ricochet : Où en est votre travail d'auteur ?

Jack Chaboud : Du côté jeunesse, panne totale du côté du roman, j’ai deux textes à achever ou restructurer depuis plus de trois ans. Deux livres devraient paraître l’année prochaine chez Grasset Jeunesse pour les premières lectures, un conte au Jasmin. Deux projets bouclés sont dans des cartons. Mais il faut dire que je sors d’une immersion de près de deux ans dans l’écriture d’un roman adulte qui paraîtra au Rocher en 2002.

Ricochet : Une dernière question, Jack Chaboud, dans ce monde de plus en plus inquiétant, que peut encore apporter la littérature de jeunesse aujourd'hui ?

Jack Chaboud : De l’évasion, et quand je dis ça il ne s’agit pas de fuite, de rêverie fumeuse, mais de salutaires voyages dans l’imaginaire qui vous donnent de l’esthétique, donc de l’éthique.

De la structuration, c’est-à-dire que la littérature de jeunesse apporte de la pensée et du symbole. De la transmission, par la continuité des grands thèmes. De la lucidité par rapport à l’image multimédiatique. La littérature de jeunesse a beaucoup mûri et elle apporte beaucoup à ceux qui la lisent. Le problème est d’accroître le nombre de ceux qui y ont accès.


Auteurs et illustrateurs en lien avec l'interview

Illustration d'auteur

Jack Chaboud

française