Illustrateurs, bullez bien
Vous avez vu mille fois sur les écrans, dans les illustrations, un personnage parlant ou écoutant. Il est rarement placé en plein milieu de l’écran, s’il est présenté de profil.
Vous êtes-vous demandé pourquoi ?
C’est tout simplement une histoire de bulle.
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Envisageons l’être vivant.
Il regarde, il parle, il écoute, il fait des gestes, il avance.
La bulle active
Toutes ces manifestations se situent dans un espace essentiellement situé DEVANT lui.
C’est son espace actif, sa bulle active.
Cet espace est riche de toutes ses actions réelles ou potentielles, de réception et de production.
Comment alors ne pas le signifier en lui donnant, par un cadrage approprié, une place concrète devant le visage ou devant le personnage en pied, plus grande que celle qui est derrière lui ?
Ce cadrage représente les personnages de profil. Position qui généralement développe l’action de plusieurs personnages et fait du lecteur un spectateur extérieur à la scène. Comme au théâtre, et plus encore le mime qui seul, face au public, arrive à placer ses mains de profil dans cet espace actif pour être plus lisible.
La bande dessinée a très vite, dans cette bulle active, matérialisé la parole par, justement, une bulle.
En illustration, en photo, qui n’utilisent pas de bulles, de phylactères, ce sera donc au cadrage de permettre en quelque sorte au personnage d’avoir un espace pour, potentiellement, s’exprimer.
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Contre-pied
Mais comme il est toujours intéressant de prendre le contre-pied de toute idée qui se précise, observons ce que suggèrent des personnages dans un cadrage inverse, où l’espace arrière est plus grand.
On sent bien que quelque chose ne va pas.
Si l’on suppose une intention délibérée de la part de l’auteur de l’image, on devine des personnages en difficulté.
Des personnages qui vont vers des problèmes.
Ou, par opposition aux visages du début (1 et 2) qui sont des personnages qui sont prêts à parler et agir, ceux-ci seraient plutôt des personnages dont on parle, ... dans leur dos !
On le voit, beaucoup de négatif dans ce cadrage.
Entre ces deux approches, le cadrage plein centre, aura tendance à bien caler le sujet, voire à le fixer, le figer, à le neutraliser. C’est une intention assez difficile à réaliser, l’espace avant étant d’une qualité différente, voire «supérieure» à l’arrière.
On tâtonnera jusqu’à trouver le cadrage qui fixe, fige, neutralise le sujet.
C’est donc en toute conscience que l’on peut user du cadrage.
Une belle place devant le visage ou le corps, pour exprimer une impression positive et active.
Un espace arrière pour exprimer une impression négative. Au centre pour fixer.
Le cadrage est un langage complexe d’un grand pouvoir de suggestion, dont nous n’avons ici qu’une toute toute petite approche. Une image est toujours cadrée, même sans aucune intention de le faire. Elle est toujours donnée à voir d’un certain point de vue.
Un auteur d’image est toujours un cadreur... qui le sait, qui le sent ou qui l’ignore.
C Lapointe