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Gilles Rapaport

1 février 2003



Gilles Rapaport a publié des albums pour les tout petits, à l'Ecole des loisirs notamment, sur des textes de Didier Lévy. Depuis quelques années, il est aussi auteur : Grand-Père, un album sur la déportation, paru en 1999 chez Circonflexe, avait été salué par la presse, tant pour ses textes poignants que pour la force de ses illustrations. En parallèle, Gilles Rapaport est aussi peintre et dessinateur pour la presse économique. Entretien avec cet illustrateur aux multiples facettes.





Ricochet - Vous avez beaucoup travaillé dans la presse, comment êtes-vous venu à l'illustration jeunesse?

Gilles Rapaport - Effectivement, je travaille toujours pour la presse, et aussi pour les entreprises, dans la communication interne. Mais en même temps, j'ai toujours fait de l'illustration pour les livres jeunesse. Il est vrai que depuis les débuts de ma collaboration avec Didier Lévy il y a quatre ou cinq ans, j'en fais régulièrement et de façon plus intéressante pour moi, c'est assez récent. J'avais déjà illustré quelques livres avant, comme le Don Quichotte chez Albin Michel Jeunesse en 1993, mais je peux dire que depuis Le Bisou (Nathan) et Ernesto (L'Ecole des loisirs) en 1998, c'est devenu plus régulier.

Ricochet - Vous avez illustré beaucoup d'albums pour les tout-petits, à l'Ecole des loisirs, dans ces albums, votre dessin est à la fois très simple et très enfantin, est-ce pour vous mettre à la portée de vos jeunes lecteurs ?

Gilles Rapaport - A priori oui, mais en fait, j'ai cherché à simplifier un trait qui est mon trait, qui est vraiment ma façon de dessiner. Je pense à deux albums qui ont été faits dans cette idée, en essayant de me rapprocher des enfants tout en restant fidèle à l'esprit de mon travail : Bon Anniversaire Myrtille ! et Un Cœur qui bat. Mais dans l'ensemble, je recherche le trait le plus simple, sans perdre de vue ma propre façon de dessiner.




Ricochet - Visiblement, vous prenez plaisir à dessiner des animaux, y a-t-il une raison à cela ?

Gilles Rapaport - Je trouve ça beaucoup plus drôle, plus facile aussi, je trouve que ça porte moins à conséquence parce qu'il n'y a pas cette question d'identification entre le lecteur et le personnage, l'enfant n'a pas à se demander s'il ressemble ou non au personnage de l'histoire. Et puis pour les petits, c'est beaucoup plus facile d'inventer une histoire avec des animaux parce qu'ils ont chacun leurs traits : le renard qui est rusé, l'éléphant qui est d'emblée un animal gentil… Je trouve que ça ouvre beaucoup de possibilités.

Ricochet - Depuis vos premières publications, vous êtes resté fidèle à l'auteur Didier Lévy. Comment l'avez-vous rencontré, et qu'est-ce qui vous séduit tant chez cet auteur ?

Gilles Rapaport - Ce que j'aime chez lui, tout simplement, c'est que ses textes sont très drôles ! Nous nous connaissons depuis la maternelle et depuis quelques années nous nous sommes retrouvés et nous avons beaucoup travaillé ensemble jusqu'en 2001 avec Proumzy, qui a marqué la fin de notre collaboration. La conception d'un livre se faisait vraiment à deux, on ne présentait le livre que quand on était d'accord tous les deux, c'était un véritable travail commun. Souvent il arrivait avec un texte déjà écrit, qu'on présentait tel quel, il nous est arrivé aussi de parler autour d'un thème qui nous intéressait ou d'une idée qui nous paraissait bonne. Mais les meilleurs textes, je pense qu'ils les a faits tout seul.




Ricochet - Par exemple, pour Allez, un bisou !, comment est née l'idée du chat coupé en deux parce qu'il s'était fait insulter ?

Gilles Rapaport - On tournait autour de l'idée de la fracture, de ce qui pouvait marquer une séparation, on avait travaillé autour du mur, du fossé entre les deux personnages, de la blessure, et tout naturellement, on est arrivé à l'idée du chat qui était blessé, on voulait que cette fracture soit marquée physiquement, qu'on la voie. On peut faire ça justement avec des personnages d'animaux, on peut se permettre ce genre d'images.

Ricochet - Votre album Grand-père paru chez Circonflexe en 1999 est en partie autobiographique, aviez-vous depuis longtemps le désir de faire ce livre ?

Gilles Rapaport - Oui, depuis longtemps, je voulais faire un album sur la déportation, j'y pensais sans savoir comment le faire, jusqu'à ce que je voie un reportage sur un grand-père qui emmenait ses petits-enfants sur les lieux où il avait été déporté. Ce grand-père, qui était résistant, leur racontait de façon très simple, sans pathos, ce qu'il avait vécu, c'est ce qui m'a donné l'idée du texte. Ensuite, il y a mon histoire personnelle, avec mon grand-père, qui a rendu la chose plus facile parce que c'est quelqu'un que j'ai beaucoup aimé, avec qui j'ai beaucoup vécu, et naturellement, j'ai choisi ce biais pour faire l'album. Mais mon grand-père, lui, n'a pas été déporté, il était prisonnier de guerre, dans l'album la part autobiographique de ma propre famille s'arrête à son arrestation à Dunkerque.




Ricochet - Graphiquement, cet album n'avait rien à voir avec vos œuvres précédentes, vous avez choisi deux couleurs uniquement, le noir et le bleu, quel était le sens de ce choix ?

Gilles Rapaport - Je ne pouvais pas faire autrement, mettre de la couleur me paraissait assez improbable comme idée, voire pas évident du tout. Le noir et le bleu, c'est presque un choix par élimination, il n'y avait pas d'autre couleur que le bleu qui puisse faire penser aux camps. Le bleu, c'est aussi la tenue rayée des déportés et c'est ce qui sied le mieux à la nuit parce que c'est une couleur froide. Pour moi, c'est la seule couleur qui était faisable en bichrome. En fait, c'est un bleu un peu violet, pour lui donner un peu de chaleur quand même, pour atténuer un peu l'enfer.

Ricochet - Dans cet album, Grand-père, le dessin aussi a dû surprendre ceux qui connaissaient votre travail : le trait est plus flou, comme inachevé, plus dur aussi. On retrouve un peu ce style dans 10 petits Soldats, qui, sous les aspects d'une comptine, est aussi un livre sérieux, qui dénonce l'absurdité de la guerre…

Gilles Rapaport - En fait, j'ai toujours eu plusieurs écritures différentes, qui correspondent à plusieurs façons de dessiner. L'énergie qu'il peut y avoir dans un travail au pinceau est peut-être celle que je trouve la plus intéressante, ce n'est pas tant une quête de représentation, d'illustration, qu'une volonté de faire des images qui donnent à réfléchir ou qui puissent marquer par l'énergie et la violence qu'elles dégagent. De même que le bleu s'était imposé à moi pour représenter la déportation, le trait que j'ai choisi est l'un des rares qui pouvaient correspondre à ce que je voulais raconter. Avant de trouver cette forme, j'avais fait beaucoup d'essais en dessins, plus figuratifs, plus réalistes, ou plus abstraits, et finalement, c'étaient les images plus symboliques et plus brossées qui étaient les plus intéressantes, les plus énergiques. De toute façon, il fallait une approche très graphique pour ne pas tomber dans la représentation, parce que ça, je voulais l'éviter. Par ailleurs, Julien Josset, qui a fait la maquette, et Didier Lévy ont tous deux suivi mon travail et m'ont aiguillé dans la construction de l'album.

C'est un album qui me tient beaucoup à cœur, et bien sûr, je me demande toujours comment j'aurais pu l'illustrer autrement, parce que je sais que c'est un obstacle pour le jeune public, que les enfants ou adolescents qui ont le livre entre les mains peuvent avoir du mal avec l'illustration, mais vraiment, je ne vois pas comment j'aurais pu faire autrement.




Ricochet - Vous avez également signé les textes de ces deux albums, chez Circonflexe, est-ce une expérience que vous souhaitez renouveler avec d'autres sujets, sérieux ou plus légers ?

Gilles Rapaport - Oui, j'ai en tête plusieurs textes. Je crois que je peux raconter des choses sérieuses en leur donnant un peu de sens, et j'ai envie d'en profiter parce que j'ai le dessin qui va avec, je dois pouvoir réussir à raconter des choses qui me tiennent à cœur et qui peuvent avoir du sens pour un lecteur, la guerre est un exemple. Raconter et dessiner, c'est une réelle envie pour moi, quelque chose de profond. Continuer à écrire des textes légers aussi, bien sûr, même si étant illustrateur à la base, j'adore illustrer les textes des autres, ce qui me permet d'avoir une relation moins schizophrénique avec les mots, parce que je trouve que je suis plus léger quand je travaille sur les textes des autres.

Ricochet - Parallèlement à vos ouvrages pour la jeunesse, vous construisez une œuvre personnelle, des tableaux qui semblent plus tourmentés. Y a-t-il deux aspects opposés dans votre personnalité artistique ?

Gilles Rapaport - Non, je ne crois pas. Naturellement, mon travail personnel, c'est ce qu'on peut voir dans mes tableaux, tout ce que je fais en illustration, ça n'est qu'une adaptation ou une pacification de ce que j'ai envie de raconter. Mais je n'ai pas le sentiment de construire une œuvre, à la limite, ce que je fais en peinture, c'est presque anecdotique pour l'instant, je peins très peu, je n'ai pas beaucoup de temps pour ça. C'est un travail qui est beaucoup moins continu que les livres ou que ce que je peux faire ailleurs. J'aimerais y consacrer plus de temps, mais c'est loin d'être le cas. En fait, les choses se mettent en place tout doucement et il y a un moment où ça prendra forme. Pour l'instant, ce qui me plaît, c'est de voyager entre les différents modes d'illustration, que ce soit la peinture, le livre, la presse, ça ne me pose pas de problème, ce que j'aime, c'est dessiner, quelque soit le support, il n'y a pas de frustration, le plaisir est toujours égal, et puis ça me permet de me renouveler, ce que je fais en presse m'apporte beaucoup pour les livres et inversement, tout se répond, c'est comme un édifice qui se construit tout doucement, tout monte en même temps, et un jour, ça va donner des choses intéressantes !

Ricochet - Quels sont les illustrateurs que vous admirez aujourd'hui ?

Gilles Rapaport - Il y en a beaucoup, et je suis un peu subjectif, j'apprécie le travail des gens que je connais ou que j'ai eu l'occasion de rencontrer, c'est beaucoup plus facile. J'adore des gens comme Hervé Pinel, François Place, Alan Mets aussi me fascine. Il y a aussi Philippe Corentin, Le Saux, toute cette école qui date un peu maintenant mais qui reste étonnante. Et puis j'aime beaucoup Mario Ramos, autant pour le texte que pour les images, des Anglais comme Quentin Blake, Babette Cole… il y en a beaucoup.

Ricochet - Quels sont vos projets ?

Gilles Rapaport - Continuer à écrire et proposer des albums. Il y en a un auquel je tiens beaucoup, écrit par Julien Josset qui avait déjà travaillé sur Grand-Père et 10 Petits soldats, on devrait bientôt le présenter chez Circonflexe, et puis je travaille sur d'autres albums pour l'Ecole des loisirs. Je ne me presse pas trop, je fais ça tranquillement…



Vous trouverez les tableaux de Gilles Rapaport sur son site : http://www.gilles-rapaport.com

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