Gérard Dubois
Entretien Graphique
Entretien Graphique
Né en France, Gérard Dubois a étudié les arts graphiques au L.E.I. Rue Madame et à l’École Supérieure Estienne, à Paris. Diplômé en juin 1989, il traverse l’Atlantique en octobre et travaille pendant 14 mois comme conseiller en design graphique dans diverses revues et journaux des maritimes, dans le cadre des accords de coopération du Ministère français des Affaires Étrangères. En 1991, il s’installe à Montréal en tant qu’illustrateur, entre autre pour The New York Times, The Wall Street Journal, Time, GQ, Rolling Stone, The New Yorker, Le Monde, The Guardian, L’Actualité, Newsweek, Nike, Polygram, Saputo, Le Seuil, Candlewick Press, Fides, … Depuis plus de dix ans, son travail a reçu nombre de distinctions parmi les plus prestigieuses en Amérique du Nord, Communication Arts, Folio, SPD, Print, American Illustration, National magazine Awards, ainsi que trois médailles dont une d’or de la Society of Illustrators à New York; il a par ailleurs été l’objet d’articles dans Communication Arts, Print, L’Actualité, Grafika, d’un reportage sur TV5 international ainsi que d’une interview sur Radio Canada.
Ses travaux ont été exposés à Chicago, Los Angeles, New York, Paris, Montréal, Toronto.
La création est-elle pour vous un voyage, un refuge ou une nécessité ?
À vrai dire je ne me suis jamais posé la question en ces termes.
Je crois plus simplement que c’est une évidence, (ce qui rejoint un peu votre question suivante). J’ai toujours dessiné, aussi loin que je me souvienne, par plaisir, par jeu, par besoin et par passion.
Qu'est-ce qui a agi comme un révélateur pour vous lancer dans l'illustration? Etait-ce une évidence?
Encore une fois l’évidence était le dessin, mais la carrière, le métier d’illustrateur, je n’en savais rien, je ne savais même pas que cela existait. Quand j’étais enfant, je disais seulement que plus tard je voulais dessiner.
Par la suite, je n’ai fait qu’une succession de choix me permettant de me rapprocher du dessin.
Vous avez été formé à l'Ecole Estienne. Quel(s) souvenirs ou anecdotes gardez-vous de cette formation ?
J’ai surtout le souvenir du café de la place d’Italie où nous discutions des heures durant entre élèves, à parler illustrations, graphisme et BD.
Ce fût très formateur pour moi, presque autant que les cours en eux-mêmes, que je séchais beaucoup je dois l’avouer. Je garde un meilleur souvenir de ma première école, anciennement appelée Rue Madame, dans St Germain. Celle-là m’a vraiment ouvert les yeux, m’a dégrossi si je puis dire.
Arrêtons-nous sur votre ouvrage "Henri au jardin d'enfants", publié aux éditions du Seuil. D'où est née cette histoire et cette envie de travailler sur la typographie ?
Pour reprendre les choses dans l’ordre, il faut revenir huit ans en arrière, période à laquelle me vient une idée de livre dont je fais le chemin de fer dans la foulée.
L’idée de départ était la même, Henri crève l’image et se retrouve à l’arrière de celle-ci, dans l’espace du livre.
Ensuite je jouais avec l’objet livre, Henri escaladait les pages de gardes, trouait le papier, se prenait les pieds dans la colle de la reliure, enfin, essayait tout un tas de choses pour sortir de l’espace dans lequel il était confiné.
Je vous épargne les différentes versions, sur lesquelles je travaille en dilettante, après tout je n’ai jamais écrit un livre, et je ne suis pas très sûr de moi et de mon idée. Il se passe donc plusieurs années, et sans les encouragements de mon ami Martin Matje, je pense que j’aurais abandonné le projet.
Enfin en 2007, alors que je finissais un livre sur Darwin avec le Seuil, je parle de mon idée à Françoise Matteu. On se rencontre à Montréal, et elle me dit être intéressée par Henri, mais qu’il pourrait être encore retravaillé, qu’il lui manque encore un petit quelque chose.
Et c’est à ce moment-là, en cherchant une nouvelle narration, que me vient l’idée de jouer avec la typographie, comme élément d’un jeu graphique dans lequel le sens des mots et leur représentation prennent forme.
Je le faisais déjà depuis de nombreuses années avec mes travaux éditoriaux, simplement c’était avec des mots calligraphiés, peints ou encore découpés dans les journaux.
Par ailleurs, j’avais envie d’un projet de livre plus graphique, moins narratif, éloigné en quelque sorte des précédents livres que j’avais illustrés, et bien que les jeux typographiques ne soient pas à proprement parlé une nouveauté, traités de cette manière-là, et associés à mon travail, cela conférait aux illustrations un aspect plus contemporain.
Pour les éditions Nathan vous avez aussi illustré Les Misérables. Qu'est-ce qui vous a plu dans le texte de Victor Hugo ?
Les Misérables est mon premier album ; avant ça j’avais peu travaillé en édition et uniquement sur de plus petits livres.
Dans ce projet, le format, le sujet, l’éditeur, tout était en place pour faire mon bonheur, sauf le texte d’une certaine manière, en tout cas l’adaptation jeunesse du texte, beaucoup trop tronquée à mon sens.
Malgré tout, l’ambiance et le fait que ce livre soit destiné à des lecteurs plus âgés m’ont permis de réaliser des images comme j’avais l’habitude de les faire dans mon travail éditorial, c’est-à-dire pour l'essentiel, moins retenues.
Jusque-là en jeunesse, j’avais toujours le sentiment de devoir édulcorer mon style, mes teintes, et de ne pas toujours savoir si j’étais dans le ton voulu, alors qu’avec Les Misérables, je me sentais en phase avec l’ensemble ; l’utilisation de mes images pour ce livre me semblait cohérente.
Ce sentiment est primordial à mes yeux pour me sentir en confiance et nourrir quelque espoir de réaliser du bon travail.
Quel type de projets aimez-vous que l'on vous propose en édition jeunesse ?
J’aime toutes les sortes de livres, ou à tout le moins, j’y suis ouvert, je crois que tout dépend du ton qu’on leur donne.
Ensuite, c’est certain que je me sens naturellement plus à l’aise dans des textes un peu intemporels, plutôt classiques, un peu noirs, avec une dose de décalage dans la réalité représentée, et enfin pour des enfants pas trop jeunes. Je pense que c’est dans ce registre que mon travail s’inscrit le mieux, (voir réponse précédente).
J’adorerais faire un Chaperon Rouge par exemple, un peu réaliste et cru, ou encore un recueil façon Struwwelpeter, que j’adore.
Mais, il y a toujours des surprises, des associations inattendues, des contre-emplois, qui peuvent créer des bouquins étonnants.
Vous êtes à la fois peintre, dessinateur de presse et auteur de livres pour enfants? Comment s'articulent ces différents arts ? Participent-ils d'une même démarche ?
La démarche n’est pas tout à fait la même, mais pas loin.
Bien entendu il peut y avoir quelques contraintes d’ordre technique qui balisent le travail dans le cas d’une commande, des différences tant sur le traitement de la couleur que celui de la composition, de l’idée et parfois même du dessin, ou encore dans la gestion du temps ; bien souvent je dois réaliser mes images en une journée.
Mais, dans mon cas, la séparation entre mes différentes productions n’est pas immense.
Peut-être est-ce plus précisément l’état d’esprit qui diffère.
J’ai toujours réalisé des illustrations avec le style d’images que je faisais pour moi-même ; je ne me demandais pas à mes débuts si c’était de la peinture ou de l’illustration, je dessinais librement, sans me soucier des contraintes ou des courants graphiques ; il faut dire que je n’avais pas beaucoup de mérite, ma culture iconographique était quasi nulle.
Mon premier folio était constitué de grands dessins sur carton, en 3D, peints à l’acrylique, allant parfois jusqu’à un mètre de large, 5cm d’épaisseur, voire en plusieurs plans.
Je démarchais dans les agences ou les magazines avec ces mêmes travaux, que je présentais aussi dans les galeries.
Les sujets m’étaient personnels, et aucunement adaptés ou destinés au marché de l’illustration tel qu’il se pratiquait alors.
Depuis, j’ai la même démarche, j’essaie de faire évoluer mon travail de commande à l’unisson de mon travail personnel. Je ne sais pas faire autrement, je crois ; c’est difficile d’aller ailleurs que là où votre instinct vous pousse.
Malgré tout, j’avoue qu’il m’est maintenant plus difficile après vingt ans de carrière, de me départir des tics techniques de l’illustrateur lorsque je m’essaie à un travail personnel.
Pour y parvenir, il me faudrait quelques mois de décrassage.
Pourriez-vous décrire les contours de votre approche ou votre patte ? Etes-vous "Magrittien" ?
Non, je ne suis pas Magrittien. J’aime bien son univers, cependant il n’a jamais été une influence pour moi, simplement il est vrai que lorsqu’on travaille avec des illustrations à saveur conceptuelle, il est difficile de ne pas penser à Magritte. Mais si vous regardez ma manière de composer ou de peindre mes images, vous ne verrez que peu de rapport avec Magritte. Je me sens plus proche de Topor.
Ma patte ? Difficile à dire.
Mon dessin naturel est souple, beaucoup plus en tout cas que mes illustrations ne le laissent penser. En même temps, j’aime le travail des matières, l’aspect rugueux des matériaux, les fresques, les sculptures d’Ousmane Sow ou de Berlinde de Bruyckere, les vieux collages soviétiques du début du 20e siècle ou de Darger, et bien entendu l’aspect crayeux de certaines toiles de Balthus, Chardin ou encore Freud, de même que la construction rigoureuses de leur peintures.
J’aime l’intemporalité dans les images. Les photos de Tichy par exemple n’ont pas d’âge, elles vont à l’essentiel et à mon sens touchent à l’universalité.
Tout ceci pour dire que si j’ai une patte, même petite, j’en suis sans doute davantage redevable à ces artistes ou courants, qu’à Magritte.
Que doit contenir une image narrative réussie ?
Quelque chose en plus. Quoi très précisément, je ne saurais le dire, mais assurément : une chimie imprévisible entre une composition et le sujet ; une réalisation à l’avenant ; un soupçon de surprise ; une idée juste ; une touche d’esbroufe ; de la fraîcheur avec un petit rien de familier, de déjà-vu ; ne pas tout dire… et enfin un petit rien qu’on ne maîtrise pas mais qui fait toute la différence entre une image et une bonne image.
Quelles sont les différences significatives en matière d'édition et de dessin de presse entre les Etats-Unis, le Canada et la France ?
Pour être tout à fait honnête, je trouve qu’elles tendent à disparaître.
Il y a 10 ou 15 ans, c’était encore très différent, surtout en presse.
Il y avait en Amérique du Nord une approche très anglo-saxonne, avec une mise en page et titre très travaillés, avec une illustration elle aussi très élaborée, voire proche de la peinture dans certains cas.
Par ailleurs les images étaient très souvent conceptuelles, je ne veux pas dire froides ou arides, mais plutôt construites autour d’une idée forte, alors qu’en France, l’illustration était encore très décorative et narrative, souvent légère et simplement réalisée.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
En revanche, je ne saurais dire si la différence est aussi marquée en édition.
D’une manière générale, j’ai tout de même le sentiment qu’il y a une plus grande diversité de livres en France, et souvent davantage de créativité, de livres moins standardisés dans la forme ou le sujet.
Dans les différents styles d’illustrateurs aussi, il me semble que l’éventail français est d’une plus grande richesse.
Quels sont les illustrateurs, peintres et créateurs qui comptent pour vous ?
Ils sont beaucoup trop nombreux, en faire la liste risque d’être fastidieux et plus encore sa lecture.
Au-delà de ceux que j’admire, il y a ceux qui ont éclairé ma voie, à qui je me suis aussitôt senti lié par un fil, un lien émotionnel, du même ordre que celui qu’on ressent pour un groupe, une musique, ou bien encore la voix d’un écrivain.
Le premier à m’avoir marqué, si je fais abstraction de la musique, c’est James Baldwin. Une vraie claque. Ce sont ses textes qui m’ont donné pour la première fois envie d’illustrer un livre; j’avais d’ailleurs commencé à travailler sur un projet personnel, avorté, bien entendu, à partir de Face à l’homme blanc, que je pensais proposer à un éditeur.
Balthus, évidemment. Je me souviens encore du jour où un directeur artistique m’a mentionné son nom en regardant mon travail ; c'est une habitude à prendre dans ce métier, ça ne rate jamais : « Tu sais, ton travail me fait penser à...».
Je regarde donc dans le dictionnaire Larousse, (c’était bien avant l’Internet), et tombe sur une reproduction minuscule des Beaux jours.
Ça me plait, beaucoup. À tel point que je me rends à la librairie du musée pour trouver une monographie. Rien, bien entendu, mais je suis tellement convaincu, que je commande le seul livre alors disponible sur lui, une édition Skira.
Quelques jours plus tard, livre en mains, c’est ma seconde grosse claque, et sans doute la plus importante à ce jour.
Les teintes, la matière, la rigueur des compositions, les sujets, l’enfance, le classicisme revisité, l’austérité des formes et du mouvement, la narration à la limite du motif...
Je ne peux pas expliquer.
En illustration, j’ai eu de nombreux coups de cœur, et continue à en avoir. Tous les ans ou presque je découvre des illustrateurs extrêmement doués.
Ça donne parfois le vertige.
En édition, j’adore le travail d’Edward Gorey, Arthur Geisert, Benoît Jacques, André François, Blexbolex, Le Pinocchio de Winshluss,...
Et voilà que je commence une liste, désolé.
Ressentez-vous et constatez-vous des évolutions marquantes en matière d’images depuis que vous avez commencé ?
L’évolution la plus évidente est, bien entendu, l’utilisation de l’ordinateur qui ouvre tant de nouvelles portes. C’est incroyable. C’est un outil formidable. On peut tout et dans tous les styles.
Dans mon cas, ça m’amuse de réaliser une illustration originale à partir de plusieurs images déjà existantes, et sans que cela se voit ; de contrôler mes couleurs à partir de mon propre scan ; ou encore de corriger telle ou telle imperfection, d’ajouter un détail ou plus fréquemment de modifier une partie de l’image à la demande du DA.
Et puis, il ne faut pas oublier que cela donne à l’illustrateur la possibilité de travailler de n’importe où, pour n’importe quel client du globe, et ce dans le même délai que s’il était la porte à côté.
L’animation est de plus en plus présente, et ça ne fait que commencer.
Avec des supports numériques comme l’IPad, je suis convaincu que la demande en petits films va exploser ; plutôt qu’une image figée, hop ! une animation.
Et ce n’est pas fini.
L’autre évolution inhérente à la précédente est la contraction du temps et des délais.
Quelle est votre technique de prédilection ?
L’acrylique sur papier.
Avez-vous besoin de vous imprégner d'une atmosphère lorsque vous créez ?
Non, pas vraiment, j’ai simplement besoin de musique, volume plutôt fort, sans rapport obligé avec le sujet que je traite. Du moment où je commence à travailler jusqu’à ce que je m’arrête : musique.
La radio me déconcentre. Donc je mets mes disques ou bien de la musique en streaming.
Où peut-on voir votre travail actuellement ?
En ce qui concerne les originaux, à la Galerie des Arts Graphiques, rue Dante dans le 5e, à Paris ; sinon sur mon site.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
À côté de mes travaux éditoriaux, qui constituent la majeure partie de mon travail, je commence les illustrations finales d’un livre jeunesse sur la vie de Marcel Marceau, qui sortira dans un premier temps aux Etats-Unis.
Il y a bien un ou deux autres projets de livres dans les tuyaux, mais davantage destinés aux adultes.
Propos recueillis par Charlotte Javaux, Juin 2010
Voir le site personnel de Gérard Dubois
http://www.gdubois.com
Voir la page de Gérard Dubois sur Ricochet
http://www.ricochet-jeunes.org/illustrateurs/recherche/721-gerard-dubois