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Gabrielle Vincent, et les 40 ans de ses enfants Ernest et Célestine

Après Elisabeth Ivanovsky[1], abordée en 2007, une opportunité se présente à nouveau avec Gabrielle Vincent de faire une incursion dans le patrimoine de la littérature de jeunesse belge. Notons que cette grande artiste avait déjà fait l’objet d’un dossier spécial rédigé[2] par Michel Defourny en 1994 pour la revue Lectures.

Gabrielle Vincent, et les 40 ans de ses enfants Ernest et Célestine
Isabelle Decuyper*
24 mars 2022

Cette interview a initialement été publiée dans la revue belge Lectures.Cultures (n°27, mars-avril 2022). Nous reproduisons ici le texte de l'interview avec l'aimable autorisation de son auteure, Isabelle Decuyper, et de Lectures.Cultures.


Les enfants de papier de Gabrielle Vincent sont nés en 1981. Ils ont 40 ans. À cette occasion, ils ont invité chacun·e à venir fêter leur anniversaire avec eux en ouvrant grandes les portes de la maison du bonheur par le biais d’une superbe exposition à la Chapelle de Boondael, lieu majestueux et cosy, sise dans la commune d’Ixelles où l’autrice a vécu durant 40 ans. Bienvenue chez Ernest et Célestine! Visite guidée dans la vie de leur autrice et dans son œuvre, en compagnie de sa petite-nièce Émeline Attout et de son filleul Benoît Attout.

Gabrielle Vincent
Gabrielle Vincent (© Fondation d'utilité publique Monique Martin)

Petite bio[3]: Il était une fois Monique Martin / Gabrielle Vincent
Née à Bruxelles en 1928, Monique Martin y passe toute sa vie jusqu’à sa mort, le 24 septembre 2000. Un père employé de banque qui joue du violon, une mère pianiste à ses heures… Monique et ses sœurs grandissent dans une maison amie des arts. Si ses trois sœurs sont plus adeptes de musique, Monique, quant à elle, n’a jamais cessé de dessiner. Après la guerre, Monique Martin s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles et en sort avec le premier prix en 1951. Ses expositions suscitent un enthousiasme soutenu du public bruxellois, qui apprécie tout autant le trait de ses grandes séries au fusain, à l’aquarelle ou à l’huile que ses sujets puisés dans l’actualité, la vie quotidienne ou les voyages.

Au début des années 1980, Monique Martin franchit vraiment le pas, quitte le confort de la peinture et des galeries bruxelloises pour passer du côté des illustrateurs. Elle se choisit un pseudonyme. Monique Martin devient alors Gabrielle Vincent et relève un défi de taille: faire vivre des personnages au long cours. En 1981, c’est la naissance d’Ernest et Célestine avec Ernest et Célestine ont perdu Siméon. S’ensuivront 25 albums publiés aux éditions Duculot, puis Casterman, le dernier, Les questions de Célestine, datant de 2000.

Monique Martin / Gabrielle Vincent est considérée comme la meilleure illustratrice belge et à l’avant-garde du métier d’illustrateur de livres pour enfants. La série Ernest et Célestine, et d’autres œuvres mondialement connues comme La Petite Marionnette et Un Jour, Un Chien, lui ont valu de nombreuses récompenses (meilleur livre de jeunesse au Salon du Livre de Montreuil, Prix Sankei Children’s books Publications Prize du Japon…)[4]. En tant qu’artiste-peintre, elle exploite le noir et blanc jusque dans les années 1960 (encre, fusain, crayon…). Plus tard, elle utilise la couleur et explore de nouvelles techniques comme l’aquarelle, le pastel et la couleur à l’huile.
Pour découvrir plus en détail l’autrice-illustratrice et son œuvre, le lecteur consultera le dossier réalisé par Monique Malfait-Dohet pour la revue Libbylit[5].

Ernest et Célestine ont perdu Siméon
Couverture et pages intérieures de «Ernest et Célestine ont perdu Siméon» (©Casterman)

Une fondation Monique Martin[6]
Benoît Attout, son filleul et ayant droit, est à l’origine d’une fondation destinée à faire reconnaître Monique Martin en tant qu’artiste-peintre. Les objectifs poursuivis sont: conserver et faire connaître le patrimoine artistique (peinture et illustration); promouvoir l’art et la culture en Belgique et ailleurs; transmettre les valeurs défendues par l’artiste dans le monde. «Nous voulons diffuser le plus largement possible les valeurs développées dans les albums d’Ernest et Célestine: l’Amour, la tolérance, le respect, l’écologie, le recyclage, la justice, l’humilité…»

Bienvenue chez Ernest et Célestine
Ernest, c’est le gros ours et Célestine la petite souris. Avec cette amitié le ton était donné. L’autrice évoque d’emblée la différence, par le biais des deux personnages à la cohabitation au départ improbable. Dans le premier album, Ernest et Célestine ont perdu Siméon, l’autrice met en scène le doudou, un thème universel, un souvenir qui résonne en chacun de nous, la perte, l’oubli de l’objet sacré.

Un bel album collector[7]pour fêter l’anniversaire d’Ernest et Célestine[8]
Ernest et Célestine, ou comment l’amitié entre un grand ours et une petite souris a commencé. Ce livre, édité spécialement pour cet anniversaire, remonte aux origines de ce chef-d’œuvre de la littérature jeunesse en réunissant le premier (Ernest et Célestine ont perdu Siméon) et le dernier album (Les questions de Célestine) créé par Gabrielle Vincent. Un dossier exclusif s’ajoute à ces histoires, pour découvrir qui était Gabrielle Vincent / Monique Martin, ses premiers dessins préparatoires, et un hommage inédit à Daniel Pennac avec qui elle a entretenu une longue et belle amitié épistolaire.

Collector et Questions
Couverture de l’album collector, couverture et page interne des «Questions de Célestine» (©Casterman)

Une exposition pour fêter les 40 ans
L’idée était de pénétrer au sein de la maison où vivent les deux héros en mettant en évidence, à travers divers albums, les valeurs prônées par l’artiste: inclusion, partage, ouverture aux autres, recyclage… Une autrice d’une brûlante actualité…

La maison du bonheur
L’organisatrice de l’exposition explique que le choix des images s’est voulu le plus représentatif possible de cette ambiance dans les moments d’une journée vécue, allant du réveil au coucher. Le visiteur pénètre d’abord le matin chez Ernest et Célestine, participe à leur réveil et au petit déjeuner. Il vivra avec eux jusqu’à la fin de la journée, où c’est bassine et pyjama party… avec l’heure du coucher. Les éléments du décor sont ceux qui étaient présents dans la maison de l’artiste.

Pour ce duo, il s’agissait d’être toujours dans une atmosphère de fête. La musique les accompagnait tous les jours notamment avec le violon d’Ernest. La couture avec le patchwork et sa couseuse, le recyclage en ce qui concerne les meubles rendent bien l’esprit anti-consommation à tout prix. Chez Ernest et Célestine, c’est aussi prendre le temps d’organiser des fêtes, c’est-à-dire concocter des petits plats sur la cuisinière. Le tout dans un joyeux désordre évoqué précédemment par Myriam Mallié[9]. Ou plus récemment par Monique Malfait-Dohet[10]: «Désordre et rigueur. Cette opposition est surtout développée dans les Ernest et Célestine. Que ce soit à cause de la maladie ou d’un accident, de l’organisation de fêtes démesurées ou par paresse, la maison est le lieu d’un joyeux laisser-aller, la vaisselle et le rangement ne font pas partie des préoccupations majeures des personnages.»

Expo Ernest et Célestine
Exposition Ernest et Célestine, Chapelle de Boondael (©Isabelle Decuyper)

Bruxelles
Gabrielle Vincent a toujours vécu à Ixelles, Place du Châtelain. Elle fréquentait les Marolles… Le lecteur retrouvera dans son œuvre des monuments, des décors extérieurs de Bruxelles, comme dans Le petit ange à Bruxelles. L’artiste était toujours dans une logique de déconsommation. Comme dans cet album où Ernest et Célestine accueillent une vieille tante casse-pied et pour laquelle ils vont à la déchetterie récupérer matelas, tapis, lampe… sauf que le matelas a pris l’eau…

Jours de fête
Ernest et Célestine se préparent souvent à faire la fête. On les retrouve manipulant des bouts de tissus pour inventer divers scénarios. Célestine est une artiste. Elle prépare la fête puis accueille les invités sans aucune limite. Tout le monde est bienvenu, y compris pour fêter Noël, la fête préférée de l’héroïne. Son rêve est d’aller fêter Noël dans la forêt autour d’un sapin toujours bien vivant, qui n’aura pas été coupé pour l’occasion (cf. l’album Le sapin de Noël). C’est la maison du bonheur, une maison durable qui pense à la protection de la nature! Tous les moments sont des moments de rire, de fête même quand ceux-ci sont difficiles.

Ernest et Célestine. Le sapin de Noël
Couverture et pages intérieures de «Ernest et Célestine. Le sapin de Noël» (©Casterman)

En projet      


Infos:
www.fondation-monique-martin.be


[1] Dans Lectures, n° 149, janvier-février 2007, pp. 56-58, https://fr.calameo.com/read/00107037340e689d3eefe.
[2] Hommage à Gabrielle Vincent dans Lectures, n° 77, mars-avril 1994, dans un dossier spécial rédigé par Michel Defourny, pp. I-V et bibliographie, pp. VI-X, https://fr.calameo.com/ books/001070373c7318c7395a4
[3] Extrait du dossier de presse: «Ernest et Célestine 40 ans d’amitié: Voici comment tout a commencé», dossier de Fanny Husson-Ollagnier et Émeline Attout, Casterman, 2021, 20 p.
[4] Extrait du site https://www.fondation-monique- martin.be.
[5] Dossier «Gabrielle Vincent ou l’art de la suggestion: le parcours artistique d’une tendre insoumise», par Monique Malfait-Dohet, Libbylit, 137, juin-août 2019, pp. 5-15. À visualiser en ligne via https://fr.calameo.com/read/002606602016c0ee33dee
[6] https://ernest-et-celestine.com/a-propos/ fondation-monique-martin/
[7]https://www.youtube.com/ watch?v=gs0U41AN6yU
[8]https://www.casterman.com/Jeunesse/Catalogue/ernest-et-celestine/ernest-et-celestine
[9] Myriam Mallié, «Gabrielle Vincent: Ernest et Célestine. Éloge du désordre», Lectures, n° 55, mai-juin 1990, pp. 15-16.
[10] Extrait p. 6 du dossier «Gabrielle Vincent ou l’art de la suggestion: le parcours artistique d’une tendre insoumise», par Monique Malfait- Dohet, Libbylit, n° 137, juin-août 2019, pp. 5-15. À visualiser en ligne via https://fr.calameo.com/read/002606602016c0ee33dee.


*Isabelle Decuyper est attachée principale du Service général des Lettres et du Livre – Littérature de jeunesse, qui relève de l'Administration générale de la Culture du Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

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Illustration d'auteur

Gabrielle Vincent

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