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Figure du héros européen au travers du prix Pier Paolo Vergerio

Janine Despinette
1 janvier 1990

Evoquer les profils iconographiques des personnages rencontrés dans les livres soumis aux jurys du Prix Pier Paolo Vergerio au cours de presque un demi-siècle et en faire une analyse typologique et esthétique, même brève, pourrait renouveler l'intérêt pour la lecture de ces oeuvres.

En tant que personnage littéraire dans la littérature juvénile, l'enfant est presque toujours chargé d'incarner aux yeux des lecteurs les valeurs de l'enfance qui apparaissent encore comme symboliques.

Autant qu'un discours sur l'enfant lui-même, les nouveaux genres littéraires créés ces dernières décennies en notre domaine de recherche, font plus encore apparaître des discours sur la relation de l'enfant au monde, mettant au centre des histoires, parfois sur un pied d'égalité, personnages réels et personnages imaginaires. Et cela est particulièrement perceptible si on accorde attention à la représentation iconographique des personnages, développée dans ce que nous avons pris l'habitude d'appeler la littérature en couleurs.

Présentés en exposition, les ouvrages lauréats du Prix Pier Paolo Vergerio nous permettraient même d'esquisser une petite Histoire de l'illustration européenne.

Nous intéresse ici la typologie des caractères qui ayant pris forme par le talent d'un illustrateur ont laissé; trace dans notre mémoire autant que l'histoire dont ils étaient les protagonistes. Voici donc une liste de ces différents caractères.


La figure de l'enfant

Sont ici présents les enfants dans leur nature enfantine face à la société; dans laquelle l'écrivain les fait vivre, héros d'histoires dont la mise en scène sera réaliste ou fabuleusement imaginaire.

  • 1962 - Les enfants de la terre, Collection Albums du Père Castor (France)
  • 1976 - Thomas et l'infini, Michel Déon/Etienne Delessert, Gallimard (France)
  • 1976 - Momo, Michael Ende (Allemagne)
  • 1976 - Lwy (Lions), Stanny (Pologne)
  • 1976 - La petite fille et la pluie, Milena Lukechova/Jan Kudlacek (Tchequie)
  • 1976 - Tje stollen mirrot (Le miroir volé;), Lidia Postma (Hollande)
  • 1987 - L'album d'Adèle, Claude Ponti (France)
  • 1987 - Farvel Rune (Adieu Valentin), Marit Kaldhol/Wenche Oyen (Norvège)
  • 1987 - Monkie, Dieter Schubert (Hollande)
  • 1992 - De prinses van de moestrum, A. et M. Heymans (Suède)
    1992 - Else Marit et ses spet Papas, Pija Lindenbaum (Suède)
  • 1992 - La force du Berge, Azouz Begag/Catherine Louis (Suisse)
  • 1998 - Bertas boote, Vibke Oeser (Allemagne)



    L'enfant face à la société; et aux problèmes de société;

  • 1966 - Herr Minkepatt un seine freunde, Jozef Wilkon (Pologne)
  • 1980 - Sagan om den Lilla Farron (Le petit homme...), Barbro Lindgren/Eva Eriksson (Suède)
  • 1980 - Histoire sans fin, Michael Ende (Allemagne)
  • 1980 - El locco, Alberto Manzi (Italie)
  • 1987 - Herras Kunningas (Le petit roi), Raija Siekkinen/Hannu Taina (Finlande)
  • 1987 - Eis Klopft bei wenja inder nacht. Reinhard Michl/Tilde Mich (Allemagne)
  • 1987 - Il treno di Bogota. R. Puimini / C.S.G. Vilori (Italie)
  • 1987 - Lo stralisco (la Verluisette). R. Puimini/ M. Mariniello (Italie)
  • 1989 - Anna di Porci. Pierro Ventura (Italie)
  • 1989 - Marie de la mer. Nadine Brun-Cosme/ Yann Nascimbene (France/Italie)
  • 1989 - Les aventures de Simplicius. Patrice Gaithier/Daniel Maja (France)
  • 1992 - Tonio (Tony la frousse) Josef Wilkon (Pologne)
  • 1992 - O meu avo (mon grand-père) Manuela Bacelar (Portugal)




    Ensuite, dans leur contexte poétique, allégorique et scéniquement esthétique :


    Les personnages mythiques, personnages historiques.

  • 1976 - Krabat (les douze corbeaux). Ottfreid Preussler/Herbert Hlozing (Allemagne)
  • 1978 - Frate Francesco e suoi Fioretti. Dino Battaglia (Italie)
  • 1987 - El caballo fantastico. A. Ruano (Espagne).
  • 1989 - Il canto misterioso. Max Bollinger/Jindra Capek (Allemagne)
  • 1989 - Le luthier de Venise. Claude Clément/Frédéric Clément (France)
  • 1992 - Le prince de l'Hiver. Jacques Cassabois/Frédéric Clément (France)
  • 1992 - Pierrot et les secrets de la nuit. Michel Tournier/Danièle Bour (France)
  • 1992 - Puss in boots (le chat botté). Stasys Eidrigevicius (Pologne)
  • 1992 - Forst var det moorkt (First it wad dark). Anna Hoglund (Suède)




    Puis, souvent présenté dans un contexte naturaliste mais également en personnage déguisé perçu alors comme substitut médiateur d'un message éducatif, les animaux familiers ou sauvages, les bêtes extraordinaires aux formes et aux comportements nés de l'imaginaire d'un artiste…


    L'animal - L'animal fabuleux - L'animal prétexte.

  • 1976 - Un hiver dans la vie de gros ours. J.C. Brisville/Danièle Bour ( France)
  • 1976 - Le lièvre et la tortue. A Boratinski (Pologne)
  • 1978 - Il mare dei delfini (la mère des dauphins). Michaele Sambin/T. Cipelletti (Italie)
  • 1985 - Die Perle (La perle). Helme Heine (Allemagne)
  • 1987 - Den fracka Kraakan. Ulf Nilsson/Eve Eriksson (Suède)
  • 1987 - El cabalo fantastico Alfonso Ruano (Espagne)
  • 1987 - Maco des grands bois Nicole Maymat/Claire Forgeot (France)
  • 1989 - Arthur le dauphin qui n'a pas vu Venise Malcom Maury/ André François (France)
  • 1989 - Der Grosse Bär und der Kleine Bär. K.Recheis/Josef Palecek (Allemagne)
  • 1992 - Katznausflug (les trois chatons intrépides). Jozef Wilkon (Pologne)
  • 1992 - Puss in boots (le chat botté). Stasys Eidrigevicius (Pologne)
  • 1992 - Il drago e il draghetto. G Petter/C.A. Michelini (Italie)




    Enfin les objets : les jouets, les meubles, les maisons… et des lieux sur lesquels l'imaginaire s'est focalisé assez pour en faire le personnage central d'un récit, conte ou fable.


    Les objets et les lieux personnages.


  • 1972 - Der Hut (le chapeau volant). Tomi Ungerer (Suisse)
  • 1978 - Les histoires farfelues de Papaski. Tomi Ungerer (Belgique)
  • 1989 - Album de famiglia. Jorge Listopard/Jose de Guinaraes (Protugal)
  • 1976 - Les marteaux piqueurs Jorg Steiner/Jorg Muller (Suisse)
  • 1987 - Un pont sur le temps Sophie Dressler (France)
  • 1987 - Venezia nascita di une citta. Stepan Zavrel
  • 1988 - le luthier de Venise. Claude Clément/Frédéric Clément (France)
  • 1989 - Venezia domani Stepan Zavrel (Italie)


    Le Prix Européen de littérature pour la jeunesse décerné pour la première fois lors d'un colloque consacré à la pédagogie de la lecture par le professeur G. Florès d'Arcais, et se tenant à Caorle en 1962, a d'entrée de jeu pris en compte et mis en valeur la représentation imagée et les rapports entre l'expression plastique et l'écriture puisque le premier bénéficiaire de ce prix fut le concepteur des albums du Père Castor, Paul Faucher (disciple du pédagogue tchèque Bakulé) qui, dans une série "Les Enfants de la terre" avait réussi à offrir à ses lecteurs une suite de rencontres avec des enfants ayant chacun une vraie individualité dont la prégnance dans notre mémoire était sans conteste due au talent de dessinateur réaliste des illustrateurs. L'information topologique et sociologique apparaissait dans l'illustration dans une couleur "locale" en contrepoint inséparable des textes.

    C'était en 1962, je le répète. Le reportage photographique ou de télévision n'avait pas encore banalisé ce type d'information. Ces albums sont encore réédités, les formats ont parfois évolué mais il est intéressant de notre que Assoua du Sénégal, Habib de Tunisie, Aquino du Mexique, Mandy du New Jersey ou Sinika de Finlande, face aux images dfes actualités télévisées, n'ont pas encore perdu, aujourd'hui, de leur pouvoir relationnel et affectif auprès des jeunes lecteurs en milieu scolaire, parce que leurs auteurs avaient su répondre au besoin qu'ont tous les enfants de se comparer à d'autres et à leur soif de comprendre pourquoi, ailleurs, ont vit autrement...

    Dans la littérature européenne contamporaine comme dans celle des générations précédetnes si on excepte les légendes dorées chrétiennes et l'imagerie populaire, l'enfant personnage est évidemment inscrit dans un courant littéraire d'abord éducatif. Comme l'a écrit dans l'avant-propos de Un monde autre l'enfance Marie José Chombart de Lauwe, "l'enfance est phénomène psychosociologique vécu et raconté. Les images de l'enfant ont pris une signification collective... Ce sont des adultes qui les créent en fonction de leurs représentations de l'enfant et de ses besoins...Idéalisé les personnages incarnent les conceptions des adultes des valeurs propres à la culture à laquelle l'enfant est initié...".
    Aussi pour moi dans cette courte étude, il n'est pas question d'établir des critères de comparaison esthétique entre l'atmosphère des illustrations de Momo de Michel Ende et d'Adèle de Claude Ponti, entre Les Lions de Hanna Januszewska illustré par Stanny et Le Miroir volé de Lidia Postma, mais d'essayer de comprendre l'apport de l'approche imagée de ces "personnages" par leur illustrateur.



    Momo (1976) est d'abord un personnage de roman et jamais Michael Ende n'a tracé le portrait en pied de la petite clocharde de la Cité des voleurs de Temps, mais par ses dessins à la plume, il a quand même créé l'ambiance dans laquelle elle accomplira son destin d'enfant salvatrice de la société et chacune des illustrations annonçant ou ponctuant un chapitre se révèle reflet du regard de enfant-fée témoignant de la misère urbaine contemporaine.



    Adèle (1987), dans son format de grand livre pour tout-petits, est peut-être le personnage le plus graphiquement construit par un auteur-illustrateur, parce qu'elle est, à la fois dans la réalité son moèdle vivant et sa projection sur la papier, la médiatrice de ses réflexions sur la quotidien de la petite-enfance. Dans cet album d'images qui a été d'abord pour Adèle, l'organisation du récit est bâtie à partir de sa place dans la page et on voit l'auteur mener la narration par enchaînement logique d'un suite de "signifiants plastiques" selon les termes de sémiologies (objets, jouets, insectes, etc..) qui prennent valeur "éducative" par leur rapprochement associatif fortement suggestif d'idées et de mots échangés (entre père et fille, c'est la cas d'Adèle)



    Par leur thème... les autres titres que j'ai choisi de prendre en exemple sont des histoires profondément intimistes mais les livres ont été conçus en belle complémentarité textes-images. Dans Lwy (1976), Stanny, peintre coloriste paysagiste, a osé projeter les fantasmes d'un petit garçon colérique vers les grandes herbes de la savanes pour l'amener - et ses lecteurs avec lui - à dominer ses pulsions en apprivoisant des lions, rugissant à tous les échos. Et ces Lions, partis de Pologne, rugissent aujourd'hui dans toutes les langues.



    Dans Le Miroir volé (1976), on peut voir comment Lidia Postma, auteur-illustratrice mais aussi professeur à l'Académie des Beaux-Arts en Hollande, exploite toutes les possibilités de provocation identitaire dans la création de son personnage central : un bambin attendrissant aux yeux des parents, dans sa détresse de perdre ses privilèges d'enfant unique, mais... héros par sa quête fabuleuse aux yeux des jeunes lecteurs se trouvant dans la même situation... puisque dans son Jardin secret il surmontait l'épreuve. On peut voir aussi comment l'enseignante sait laisser apercevoir à ceux qui savent regarder, l'importance des modèles intellectuels et artistiques servant de cadre dans l'avènement des conduites de la maturation psychologique chez tout individu.



    Pija Lindenbaum également auteur-illustratrice, ayant plus construit son récit en images entre réalisme et culture de l'absurde humoristique attirera, elle, l'attention sur les risques de déséquilibre du comportament chez un enfant lorsque l'imagination prend soudain un place prépondérante dans l'esprit et qu'existe un manque d'affection parentale. Dans leurs propositions minuscules par rapport à sa propre taille Les Sept papas de Else Marit (1992) se définissaient facilement comme projection mentale parce que chaque geste était motivé" pour que le contenu narratif de l'image soit bien le reflet implicite du récit, permettant ainsi le rire libérateur de l'angoisse devant une situation trop bien connue de trop d'enfants à notre époque.




    Enfants en manque d'affection parentale... Annemie et Margiet Heymans dans La Princesse du Jardin (1992) alerteront l'attention du public et des éducateurs dans une forme plus romantique encore. L'ambiance de leurs images allusives était certes, dès la couverture, "onirique" et tout le récit se déroule dans la logique d'une rêve, mais la teneur du texte est avant tout une interrogation sur la dépendance de l'enfant envers l'adulte et sur la manière de vivre le deuil lorsqu'on devient orphelin trop tôt. Dans l'alternance des dessins au crayon et des aquarelles l'ouvrage démontrera que tout pouvait être expliqué à des enfants à condition de trouver la manière pour le faire et que l'essentiel était la volonté de dialoguer.... entre générations.




    Par contre, avec Bertas Boote (qui a été publié en France par Casterman sous la titre Les Voiliers de Valérie), lauréate du Prix en 1998, Wibke Oeser va affirmer que pour sa génération la solitude n'est pas synonyme d'abandon mais d'indépendance. Bien campée sur ses jambes, face au ressac des marées, Berta lance ses bateaux : les filles d'aujourd'hui ont conquis le droit d'être marin à part entière...



    Le jeune enfant et la violence...le jeune enfant et la maladie...le jeune enfant face à la mort... sont devenus des thèmes fréquemment traités dans la littérature contemporaine. On constatera que, souvent, les artistes illustrateurs par leur interprétation plastique des métaphores d'un récit auront contribué à sublimer les constat d'échec des écrivains sans pour autant céder à l'idéalisation sentimentale des auteurs du XIX° siècle.



    Pour Thomas et l'Infini (1979), Etienne Delessert par le jeu subtil d'images reflets des relations entre un enfant malade et des personnages imaginaires surgis des fantasmes que provoque la fièvre, assurait un écho imagé lumineux et poétique aux interrogations de Michel Déon sur les dimensions cosmiques d'une vie personnelle et sur la mort possible dès l'enfance. Pour Etienne Delessert, peintre, l'univers humain ne semble pas concevable sans présence animale, il donne à celle-ci un sens symbolique perceptible à tous les jeunes lecteurs d'aujourd'hui férus d'écologie. L'ensoleillement de la palette et l'humour dans le dessin des formes dont dériver ainsi les angoisses que pourraient provoquer le texte.



    Dans un livre pour enfants, le décor dans lequel évoluent les personnages est actuellement toujours à prendre en considération parce que reflet ou modèle d'une image sociale proposée. Dans Farvel Rune (1989), l'écrivain norvégien Marit Kaldhol témoigne des bouleversements que provoque chez une petite fille la mort accidentelle et soudaine de son ami de jeux. L'atmosphère expressionniste des aquarelles de Venche Oyen par sa puissance émotionelle prégnante transforme le récit hyperréaliste en message à dimension symbolique et implicitement chrétienne. Un simple album pour enfants témoigne là, en quelques images pourtant intimes, de la tradition immémoriale de vie d'un peuple.



    Dans Lo Stralisco (1989) l'enfant est pour moi le personnage essentiel, central, puisque sa maladie incurable est le point de départ des interrogations d'éthique de vie que pose Roberto Piumini. On s'en souvient, pour cet enfant victime d'une étrange allergie et devant vivre dans un palais à l'atmosphère aseptisée, un peintre un peu magicien va faire apparaître sur les murs des paysages à la mesure des rêveries de l'enfant sur le monde extérieur qu'il ne pourra jamais connaître... dans lequel il ne pourrait respirer. Le thème est tragique.
    Cependant, à cause du rôle de ce peintre dans le déroulement de l'histoire, il apparaît bientôt que Roberto Piumini invite aussi ses lecteurs à prendre en considération tout ce que peut avoir de positif l'apport de la création artistique dans une vie, lui-même par la qualité de ses talents d'écrivain, a donné à son récit l'ampleur d'un conte mythique et dans une atmosphère hors du temps. Et en miroir, dans l'édition italienne, les illustrations de Cecco Mariniello sont imprégnées de la même mystérieuse magie poétique. La mise en pgae en est d'un rigoureux classicisme puisqu'elle rythme la lecture en hors-texte à chaque chapitre mais sans leur lumière (nous pouvons en juger dans la version française où elle ne sont pas) impossible d'étblir la distanciation émotive et alors la tragédie est presque insoutenable.



    Nous avons rencontrer tous ces enfants en héros d'une seule histoire en images ou dans un récit romancé.

    Ces personnages vivants, remuants, d'une belle présence pour la plupart, sont créés par de grands professionnels de l'illustration qui sont souvent pères, mères, ou grand-pères... donc des adultes voyant vivre des enfants et qui font d'eux des croquis sur le vif.
    En ne pouvant faire abstraction de la mediatisation visuelle ambiante ces illustrateurs ont la préoccupation de faire prendre conscience à leurs jeunes lecteurs, la nécessaire sociabilité de la vie contemporaine. Ils évoquent pour eux les heurs et les malheurs, les moments de tension et les moments heureux des rapports réciproques adultes-enfants à la maison, à l'école... dans les loisirs.

    La communication et l'incomunicabilité entre les générations sont traitées souvent par la caricature mais plutôt avec une certaine fantaisie qui peut aller jusqu'au surréalisme ou à l'hyper réalisme selon que l'artiste est dessinateur ou peintre. Souvent un glissement de sens dans le jeu des mots peut conduire celui-ci à oser des improvistations visuelles dont la logique sera poussée jusqu'à un absurde qui provoque le rire de distanciation si utile pour l'enfant lecteur, mais aussi chez l'adultre co-lecteur... Car le paradoxe est peut-être moins de voir des artistes qui disposent des commandes de l'imaginaire contemporain s'intéresser aux problèmes de l'Enfance et des enfants, que de les voir bouleverser un univers culturel adulte relativement clos sur lui-même, en réintroduisant avec des livres pour enfants, un plaisir de lecture partagée.



    Le personnage historique

    En évoquant l'iconographie du personnage historique, un rappel, pour moi essentiel, la mise en album de BD du Frate Francesco i suoi fioretti par Dino Battaglia en 1978, parce que 'la vie de François d'Assise est à l'intersection de l'héroïsme et de la sainteté", comme l'écrivait Charles Péguy et parce que l'œuvre graphique de Dino Battaglia est devenue référence pour beaucoup de dessinateurs-illustrateur en Europe. Dino Battaglia, dans cet album, démontre comment il savait à la fois se servir des données des historiens et placer dans ses "cases", en décors suffisamment d'éléments authentiques pour que ses reconstitutions imagées soient plausibles aux yeux des historiens et des lecteurs. Mais comme pour proposer à ces lecteurs un récit en "éléments emboitables" qui puisse fonctionner par le mélange mental du mouvement et des mots propre à la BD, il faut à un cartoonist réfléchir beaucoup sur le persoonage et l'œuvre qu'il traite. Il est évident que ce Frate Francesco nous éclaire sans doute sur la place de François d'Assise dans la société de son époque mais autant sur l'influence de son œuvre aujourd'hui encore.



    Le personnage mythologique

    Nous constaterons là que la référence à l'art antique demeure absolument la règle dans l'illustration des livres pour la jeunesse. L'anthologie en quinze volumes de la Mythologie grecque signée par Menélas et Yannis Stéphanides en est évidemment l'exemple le plus éclairant car à son tour elle a servi de point de repaire à bien d'autres ouvrages publiés hors de Grèce dans la cadre des éditions parascolaires de ces dernières années.



    D'ailleurs, référence ne signifie pas nécessairement stéréotypes archaïques et manque de personnalité dans l'interprétation des illustrateurs contemporains. Comme je l'indiquais il y a un moment, les nouveaux procédés d'impression permettent aux artistes hélléniques des montages scnéiques d'une modernité abolue dans la déréalisation et l'intemporalité nées de l'alliance subtile du classicisme des lignes et des jeux de lumière dans la couleur.
    Un héros de la mythologie, aujourd'hui comme hier, vit toujours dans un univers parallèle à celui des hommes.



    L'animal

    Depuis qu'il existe des Abécédaires illustrés, l'animal et les animaux sont personnages privilégiés par les dessinateurs et illustrateurs de livres pour enfants. Dans ses apsects réalistes, la vie de l'animal qu'ils découvrent dans les films documentaires de la télévision facinent la plupart des enfants et pas seulement les tout-petits. L'animal personnage des livres d'images dans son dessin est le rendu de son pelage ou de son plumage inspire d'une part une réaction de sensualité première et d'admiration, et d'autre part des sentiments de confiance et de crainte.

    Si l'anthropomorphisme et le déguisement interviennent, l'amusement domine parce qu'on est entré dans la sphère de la fabulation et l'imaginaire.


    A regarder les divers titres lauréats du Prix Européens, il me semble intéressant de souligner qu'est apparu au fil des années une constante représentation d'une fabulation spécifiquement d'expression moderne, autant dans le choix des thèmes que dans le traitement graphique de l'animal personnage et la théâtralisation de la mise en scène paysagée du récit.



    Les dauphins de Il Mare dei delfini de Michaele Sambin ou Le dauphin qui n'a pas vue Venise d'André François sont totalement création picturales et graphiques. Et pourtant, chacun peut en faire l'expérience dans l'un et l'autre cas, il y a transposition émotionnelle dans notre mémoire, c'est l'attitude amicale et protectrice des dauphins vivants envers les enfants et les hommes, dans le quotidien des jours, qui imposent en manière de plaisir de lecture.



    Le chat botté est le plus illustré des contes de Perrault. L'un des animaux-personnages le plus mis en scène, mais en littérature en couleurs comme au théâtre une nouvelle interprétation peut toujours renouveler l'approche d'un conte. Stasys Endregevicius, artiste polonais de la fin de ce siècle, l' fait en s'intéressant à tous les non-dit, mais sous-entendus politiques, du Chat botté, adaptables encore dans le contexte social contemporain. L'utilisation de la figure animale lui est familière et l'archaïsme de sa peinture, patiente recherche stylistique, contribue ici par son intensité symbolique à réintroduire le message de Perrault dans le chant de la communication générale. Edregevicius est un affichiste de théâtre, un créateur de marionnettes et un cinéaste. Il nous rappelle qu'au départ Parrault n'écrivait pas pour les nurseries.



    Un autre polonais, Jozef Wilkon, s'interesse également aux chats personnages, mais lui en principe les regarde évoluer dans leurs jeux de Chatons intrépides… alors qu'il peut être aussi féroce qu'Edregevicius dans ses ouvrages pour adultes, avec ses Chatons en escapade, il ajuste son regard sur la nature à la mesure du sens de possession magique du réel des très jeunes lecteurs et leur donne des images qui sont encouragements à grandir.



    Ni l'ours de Danièle Bour dans un Hiver dans la vie de gros ours, ni celui de Jozef Palecek dans Der grosse Bär und der kleine Bär ne sont du style " jouets en peluche ". Ils ont la puissance physique des plantigrades qui vivnet encore dans les montagnes. Ils personnifient à la fois la force et le calme de la nature dans sa sérénité, mais, tout comme le castor et ses amis qu'Helme Heine met en scène dans La Perle, ils sont acteurs de fables et les auteurs de ces fables nous conduisent, en images, à nous interroger sur le devenir de l'homme, qui dans le contexte d'une certaine forme de vie urbanisée à outrance, est en train de perdre le sens des vertus qu'il apprenait auparavant au contact de ces animaux : courage et authenticité par exemple.



    Maco, le sanglier des grands bois, dans le naturalisme esthétique des dessins gravés de Claire Forgeot, pourrait être perçu comme une bête mythique, mais chaque élément des images témoigne aussi de l'envoûtement que peut exercer aujourd'hui comme hier l'instinct de chasse sur un adolescent en milieu rural.



    L'enfant accède à la pensée symbolique par l'intermédiaire de l'imagination apprend-on en psychologie. Moises Ruano dans El caballo fantastico aurait-il pu le démontrer aussi bien sans la virtuose démonstration graphique d'Alfonso Ruano ?
    Un enfant rêve devant son cheval de bois, le dessinateur Alfonso Ruano aussi et le compagnon imaginaire de l'enfant devient un unicorne, El caballo fantastico, la monture rêvée pour des aventures mystérieuses parce que toujours symboliques dans leurs allers et retours entre expression onirique et précision réaliste.






    Les objets

    Tomi Ungerer a reçu la médaille Andersen au Congrès de l'IBBY en 1998, pour l'ensemble de son œuvre, mais il a avait été l'un des lauréats de la première heure du Prix Européen avec l'irrestible et ironique Der hut publié par l 'éditeur suisse Diogènes. Cette histoire de chapeau magique qui transforme la vie d'un mendiant le temps d'un coup de vent n'a de force d'impact sur le lecteur que par la puissance communicationnelle de ce génie de la caricature qu'est l'artiste alsacien. Presque tout son message passe par l'image, par la férocité du trait et l'éclat des couleurs en opposition. Mais sans le CHAPEAU, pas d'histoire...



    Les lieux

    Les jurys du Prix Paolo Vergerio travaillent dans le cadre des travaux de recherches de l'université de Padoue et ainsi, ils se retrouvent régulièrement, en Terres vénitiennes. Pour tous les européens et les autres aussi d'ailleurs, Venise est un lieu mythique, le Heu mythique par excellence, qui depuis des siècles attire les peintres, les dessinateurs et les illustrateurs.

    Il en est , parmi les lauréats du Prix Européens, qui nous entraînent à une dernière approche iconographique comparative cette fois.

    Piero Ventura et son Venezia nascita di une citta (1987), Stepan Zavrel et Venezia domani (1976), Frédéric Clément et Le luthier de Venise (1988).

    Le premier porte sur la perle de la lagune un regard d'architecte sociologue en même temps qu'un regard d'historien.

    Le second, venant de Prague, démontre à quel point les beautés de la ville des Doges peuvent envoûter un peintre de quelque pays et de quelque époque qu'il soit.

    Le troisième semble vouloir ne s'en servir que de décor, mais le plus infime détail est un hommage encore à sa beauté, avec un discret compliment au travail des artisans qui entretiennent cet aura de beauté et de mystère qui la font unique.

    Comme je le dis souvent, nous pouvons prendre conscience là, que l'album d'images, au premier abord mince de contenu littéraire, entraîne pourtant par sa dimension esthétique à découvrir une problématique de lecture plurielle qui peut engager le lecteur dans une voie d'appropriation sensible et ... culturelle originale.




    Pour conclure


    Nombreux sont les correspondants étrangers des instances du Prix fondé par le professeur Guiseppe Florès.d'Arcais, dans le cadre des travaux en réseau international de l'Institut de Pédagogie de l'Université de Padoue, qui pourraient témoigner de l'attention professionnelle portée à ce Prix dans le monde de l'Edition et se révélant à chaque session par l'envoi des oeuvres les plus marquantes des productions nationales de nos Pays européens,
    Ainsi s'est constitué un corpus bibliographique dont la signification et la fiabilité qualitative méritent une attention particulière de la part de ceux qui s'interrogent sur la place de la littérature dite pour la jeunesse dans le contexte évolutif de la création et de l'utilisation de cette littérature



    .
    Une étude systématique démontrerait que ce qu'espéraient
    le professeur Florès d'Arcais et les fondateurs du Prix
    s'est réalisé : la plupart des ouvrages lauréats sont devenus
    au fil de ces trente années notre patrimoine culturel contemporain
    commun en Europe. Par le jeu des traductions et des adaptations
    ces titres se retrouvent désormais comme des classiques dans
    les bibliothèques des nouvelles générations de lecteurs.


    Janine Despinette

    Padoue Décembre 1998