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Éva Offredo: moins de livres, mais encore plus beaux

Son ouvrage Yahho Japon! raconte le Japon de manière originale et réinvente le genre documentaire. Rencontre avec une amoureuse de l’objet livre.

Offredo
Dominique Petre
25 janvier 2024

Yahho Japon! ou plutôt sa traduction allemande Japan Yahho! a bénéficié, fin 2023, d’une double présentation à Francfort-sur-le-Main. En octobre, à l’occasion de la Foire du livre, le portrait d’une des huit femmes de l’album, Shikiri la lutteuse de sumo, a été exposé… dans la vitrine d’un supermarché! Un mois plus tard, dans le cadre de l’exposition de littérature jeunesse «LeseEule» ou «Chouette qui lit», Éva Offredo venait en personne présenter l’histoire d’une autre protagoniste de son documentaire, Tsuyu la meunière et maîtresse soba, et participer à des rencontres scolaires.[1]

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Exposé dans la vitrine d’un supermarché et présenté lors d’une rencontre en bibliothèque: «Yahho Japon!» ​​​​​​d’Éva Offredo à Francfort-sur-le-Main. (©Institut français Frankfurt, ©Maison Georges, ©Institut français Frankfurt)

Contenu inattendu et graphisme contemporain
Yahho Japon! est-il une BD? Un carnet de voyage couplé avec un imagier? On a du mal à classer ce livre au contenu inattendu et au graphisme résolument contemporain. Sans doute cela explique-t-il en partie son charme: en surprenant, l’objet éveille forcément l’intérêt.

Cet album n’est pas le premier qu’Éva Offredo consacre au Japon. Particulièrement impressionnée par plusieurs voyages au pays du soleil levant, elle avait déjà conçu Matcha en 2015, un album décrit par l’éditeur La Joie de Lire comme un «chemin de mots vers le Japon». L’histoire de la grenouille aux trois maris (successifs) est effectivement ponctuée de vocables japonais, de «a» comme azuki ([haricot rouge]) à «z» comme zen; il se termine même par un petit lexique. Les éditrices de la lyonnaise Maison Georges, Anne-Bénédicte Schwebel et Anne Bensoussan avaient été séduites par l’histoire de la batracienne verte comme le thé. Elles avaient alors choisi de confier à l’autrice-illustratrice  la «grande histoire» du numéro spécial Japon de leur magazine Georges. Mais cette grande histoire, Les kamis de mon kimono, n’a pas réussi à étancher la soif du Japon raconté par Éva Offredo des éditrices, au contraire. Elles lui ont alors demandé de concevoir un album, qui est devenu Yahho Japon!. «Maison Georges m’a donné carte blanche et seulement deux contraintes: le thème du Japon et le renouvellement du genre documentaire», se souvient Éva Offredo. Elle poursuit: «Pour la forme comme pour le contenu, il existait déjà tellement de bons et beaux livres sur le Japon qu’il m’a fallu trouver la brèche».

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«Matcha», «Les kamis de mon kimono» et une forêt bricolée lors d’un atelier avec Éva Offredo par un élève de la Textorschule de Francfort. (©La Joie de Lire, ©Maison Georges, ©Institut français Frankfurt)

Huit femmes japonaises avec de bien curieux métiers
La brèche, ce sont huit femmes qui, aux quatre coins de l’archipel japonais, exercent des métiers peu communs. Chawan la restauratrice répare des objets cassés selon le principe Kintsugi, en sublimant les fêlures avec de l’or, Uchimizu la bryologue étudie les mousses pour leurs nombreuses vertus, Wan Wan la peintre cervoliste confectionne et décore des cerf-volants, etc. Yahho Japon! permet de faire connaissance avec huit femmes japonaises et de partager leur quotidien très éloigné du nôtre, bref de voyager.

Éva Offredo aime voyager et explorer. Elle a passé les quatre premières années de sa vie en Afrique du Sud. La famille s’est ensuite installée en région parisienne puis à Toulouse, mais son père a, pour des raisons professionnelles, continué à parcourir le monde. «Je pense que cela m’a donné le goût de l’ailleurs», explique Éva Offredo, aujourd’hui installée à Limoges où elle enseigne le graphisme au Pôle supérieur de design – quand elle ne voyage pas.

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Le quotidien de Shikiri la lutteuse de sumo et le travail de Tsuyu, la maîtresse soba autour de la carte de l’archipel: trois exemples du travail de l’illustratrice Éva Offredo (©Maison Georges)

«L’idée qui sous-tend Yahho Japon! a germé des années avant sa parution», raconte Éva Offredo: «Mon fils – alors âgé de huit ans – me parlait de métiers classiques comme professeur ou policier. Cela m’a procuré une irresistible envie de faire connaître des vocations plus étonnantes. J’avais déjà l’ensableuse et l’artificière en tête», poursuit Éva Offredo, avant de s’exclamer: «Rien que les mots qui désignent leur métier sont beaux!».

Vous pouvez faire confiance à la méticuleuse faiseuse de livres Éva Offredo: les illustrations, la mise en pages et la typographie de l’album sont aussi séduisantes pour les yeux que les noms des professions ne l’étaient pour les oreilles.

Les enfants qu’Éva Offredo rencontre à Francfort désirent savoir si les femmes décrites dans Yahho Japon! existent «en vrai». «J’ai réalisé un documentaire narratif», répond l’autrice, «il raconte des choses vraies, mais ses personnages sont inventés».

Un yéti nommé Murdo
Autre rencontre scolaire, autre album: cette fois il est question de Murdo le yéti. Comment est-il né? «Il a été créé pour un projet qui n’a jamais vu le jour», explique Éva Offredo. «J’avais posté une illustration de ce personnage sur Instagram, et Alex Cousseau m’a dit qu’il l’aimait beaucoup. Je le lui ai alors offert et c’est devenu Murdo». Le premier album, Murdo: le livre des rêves impossibles, a été conçu «comme une boîte de chocolats, on en prend un de temps en temps, il n’y a pas de chronologie».

Dans le duo qu’elle forme avec Alex Cousseau, Éva Offredo n’est pas cantinée au rôle d’illustratrice: «on pense les projets ensemble puis on les propose à l’éditeur». Récemment invités par la bibliothèque de Genève pour l’événement «Fais-moi signe» sur le thème de la correspondance avec le deuxième livre Murdo: une enquête timbrée, Alex Cousseau et Éva Offredo ont discuté d’un éventuel troisième album en commun – «Mais ce ne sera pas un Murdo» précise-t-elle.

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Le yéti Murdo (qui à Francfort, aime les Bretzels) entre les deux pingouins Gilbert et Georges (©À pas de loups, ©Institut français Frankfurt, ©À pas de loups)

Un autre album illustré par Éva Offredo doit son existence aux réseaux sociaux: «Stéphanie Demasse-Pottier m’a contactée via Instagram et donné le texte de Deux pingouins». Elle a aimé l’humour, les prénoms des pingouins (Gilbert et Georges, comme le célèbre duo d’artistes). «Ils se ressemblent sans se ressembler, il y a beaucoup de double-pages miroirs, c’est un peu kitsch». Dans la classe, Éva Offredo apprend le jeu des pingouins, chou-fleur, aux enfants, avant de passer à un autre, celui des différences entre la valise de Georges et la valise de Gilbert. L’album aux couleurs pop est incroyablement ludique et comme le dit la maison d’édition À pas de loups, il donne envie de faire et défaire ses valises, rien que pour le plaisir de partir et de revenir.

Cohérence de l’objet livre
Même si Éva Offredo reconnaît avoir eu de la chance d’être publiée dès sa sortie de l’École supérieure des arts décoratifs de Paris (avec L’ogre de Silensonge écrit par Véronique Massenot, une commande), il lui a fallu un peu de temps avant de trouver sa voie: «Je suis devenue professeure et j’ai dû apprendre à décoder les images pour pouvoir enseigner le graphisme». Dans sa carrière d’autrice, elle estime que «tout a changé» dès le moment où elle a osé poser des mots: «Quand tu écris le texte, tu maîtrises mieux le projet».

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Éva Offredo à l’École Européenne de Francfort et un dessin d’élève issu de l’atelier «pas si nouille» proposé par l’autrice-illustratrice (©Institut français Frankfurt)

Elle aime maîtriser le projet pour garantir la cohérence de l’objet livre. «Déjà Matcha était une monochromie en vert et avait une belle – et coûteuse – reliure… Je m’étais inspirée de la collection des Deux coqs d’or des années 50». Elle aime concevoir le fond et la forme de ses albums: «Je mets davantage de temps à choisir la couleur de mes monochromies qu’à les mettre», admet-elle en souriant, «je passe beaucoup de temps à choisir la typographie et, quand je peux, la technique d’impression». Dans son atelier à Limoges, elle peut imprimer des sérigraphies, et elle aime aussi beaucoup les risographies.

Son goût de la matière se perçoit quand elle déballe le matériel utilisé pour les ateliers dans les classes: du papier de soie au sopalin, les élèves sont invités à toucher à tout avant de commencer à créer. Les ateliers qu’elle a conçus en lien avec ses albums sont très appréciés par les élèves, qui dessinent une très très très longue nouille soba, conçoivent une carte de vœux-feu d’artifice ou habillent Murdo le yéti comme une poupée de papier.

Moins de livres, mais mieux
«Je suis dans une logique de faire moins de livres, mais mieux», explique l’autrice-illustratrice. «Chaque fois, il faut que ce soit une belle aventure humaine ou que cela débouche sur la production d'un bel objet, ou les deux. C’est ma réponse à la surproduction». Éva Offredo reste réaliste: «Mon mi-temps de professeure me permet de refuser des commandes qui m’enthousiasment moins. Il faut pouvoir prendre le temps de se ressourcer. Après Yahho Japon! j’ai reçu pas mal de propositions pour des albums sur le Japon et sa culture». Mais Éva Offredo a pu dire non et passer à autre chose, comme un ambitieux roman graphique: «L’histoire d’un cow-boy qui ne veut plus être un cow-boy, un défi pour moi qui ne sais pas dessiner des chevaux», chez Maison Georges.

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Des nouilles soba, une grue japonaise et un sac pour mettre le pique-nique, le talent graphique d’Éva Offredo met de bonne humeur (©Dominique Petre, ©Maison Georges, ©Maison Georges)

Son père avait l’habitude d‘écrire son nom de famille, «Offredo», en dessinant un vélo avec les lettres. Elle en a gardé un faible pour les mots se terminant par «o», comme le prouve son album Domino. «“O” c’est une lettre, mais aussi un chiffre, un mot: eau,…», explique Éva Offredo enthousiaste, «d’ailleurs je n’ai dessiné le personnage de Domino qu’avec des “o”».

Comment terminer l’article consacrée à celle qui, avec Yahho Japon!, a voulu dire merci à un pays qu’elle aimait «déjà avant d’y avoir mis les pieds» autrement que par un mot en «o»? Ou plutôt en «ô»: arigatô.


[1] En novembre 2023, Éva Offredo a été invitée par l’Institut français à Francfort-sur-le-Main. Elle a rencontré des élèves de trois écoles (la Textorschule, le Lycée français Victor Hugo et l’École Européenne) et a présenté son livre Yahho Japon! dans le cadre de la «LeseEule» de la ville de Francfort en collaboration avec la bibliothèque publique (Stadtbücherei Frankfurt) et l’association de parents d’élèves UPEA.

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Illustration d'auteur

Eva Offredo

française