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Entretien avec Jean-Louis Fabre, Directeur Général de l’Ecole des Loisirs

Le parent essentiellement protecteur est un peu réducteur.

Paul Dupouey
5 octobre 2008

A l’occasion de la rencontre avec les libraires organisée en juin par l’Ecole de Loisirs, nous avons posé quelques questions à Jean-Louis Fabre, l’un des deux directeurs généraux de cette célèbre institution.

- Pour cette rencontre périodique avec les libraires, vous avez fait cette année le choix de ne pas présenter la politique éditoriale, mais de laisser s’exprimer assez librement trois auteurs : Agnès Desarte, Christian Oster et Geneviève Brissac également éditrice ?

Plutôt que de mettre en avant telle ou telle nouveauté, cette formule permet aux auteurs de s’exprimer, de présenter la façon dont ils travaillent, de parler du fond plus que de la forme, de parler de leur vie, de partager avec les participants.



- Pouvez-vous néanmoins présenter à Ricochet les grandes lignes de votre politique éditoriale ?

En fait, ces lignes éditoriales évoluent peu dans la mesure où les éditeurs qui travaillent à l’Ecole des Loisirs travaillent dans la durée et avancent dans le temps sans se préoccuper ni des phénomènes de mode ni des nouveautés telles qu’on en entend parler habituellement.



- L’Ecole des loisirs qui compte beaucoup dans le livre de jeunesse français est-elle donc totalement stable depuis 20 ans où y a -t-il des évolutions particulières ?

Le concept de Ecole des loisirs vit avec une grande stabilité.

Depuis les années 80, la politique éditoriale n’a pas varié. Elle consiste à laisser la parole aux auteurs, à leur laisser la possibilité d’exprimer ce qu’ils ont au fond d’eux-mêmes et non pas à leur imposer ou réclamer ou susciter telle ou telle mise en forme d’une mode.



- Un auteur, néanmoins on le choisit. Il y a donc une intervention déterminante de la maison d’édition.

A l’Ecole des Loisirs, les auteurs nous choisissent autant que nous les choisissons. Nous recevons comme tous les éditeurs beaucoup de manuscrits mais cette forme de pas en avant vers l’éditeur est aussi important que celui que nous faisons, nous, vers l’auteur. Une partie de chemin se fait donc en commun et fait que la rencontre aboutit à quelque chose de réussi.

Nous pensons que nous ne sommes là que pour susciter la création et c’est aux créateurs de nous apporter leur nouveauté, leur sang neuf, leur façon différente de voir les choses, et ceci pour l’illustration comme pour le roman.

La stabilité vient de personnages comme Arthur Hubschmid, directeur éditorial depuis 1970. Il n’impose rien, il suscite des vocations d’éditeurs autour de lui et chaque éditeur a sa propre ligne éditoriale : Geneviève Brisac pour le roman instille une véritable ligne auprès des auteurs et avec eux. Les auteurs eux-mêmes sont différents, certains étant là depuis vingt ans. Mais chaque année apporte son lot de nouveaux auteurs avec leur fraîcheur et leur nouveauté. Ce n’est pas l’éditeur mais les auteurs qui en arrivant à l’Ecole des loisirs apportent ce sang nouveau.



- C’est donc la nouveauté dans la stabilité. Depuis les années 80, cela fait une génération complète. Il y a eu d’innombrables évènements et phénomènes. Il y a forcément eu des mutations. L’Ecole des Loisirs les a-t-elle accompagnées ?

Nous nous intéressons évidemment à ce qui risque de modifier la forme que prendra le livre demain avec l’encre et le papier électronique et d’autres paramètres qui ne sont que des supports et qui n’affectent pas le fond de notre métier. (Mais sur le fond, celui-ci ne change pas vraiment).



- Comment définissez-vous votre métier de dirigeant de maison d’édition ?

Fondamentalement il consiste à se mettre à la disposition des auteurs, à leur offrir des moyens, une tribune pour s’exprimer. Et cette ouverture vers le quotidien est beaucoup plus facilement acquise en ouvrant la porte à des gens différents plutôt qu’en suscitant des orientations auprès de personnes qui travailleraient chez nous depuis des années. Il est beaucoup plus logique pour un éditeur d’ouvrir ses portes pour faire un appel d’air à des gens nouveaux qui vont parler du monde. Ce n’est pas à nous de le faire.



- La finalité de l’édition pour enfants peut elle être la même qu’il y a trente ans ?

Pourtant, en trente ans, les choses ont profondément évolué, sur un point notamment : l’éducation elle-même. Non seulement il y a le relativisme ambiant mais on se rend compte qu’il y a aujourd’hui une certaine absence des parents. La transmission culturelle se fait moins. Les interventions normatives se réduisent.

Vous constaterez que nous ne moralisons pas, que nous ne donnons pas de solution. Nous donnons seulement des expériences de vie. A chacun d’y trouver son compte et surtout de se rassurer en voyant que l’auteur s’interroge lui aussi.

Nous faisons confiance à l’enfant, à sa capacité à absorber le quotidien, à vivre avec toutes les difficultés que cela représente même si ces difficultés sont certainement plus grandes et prégnantes qu’il y a trente ans.

Ce qui n’est d’ailleurs pas absolument sûr. Chaque époque a son lot de peurs et d’interrogations.

L’enfant est en mesure, de tout temps, d’absorber son environnement. Autrefois l’enfant était sécurisé par des codes qui étaient certainement beaucoup plus forts lorsqu’il était directement guidé par ses parents ou à l’école. L’ensemble des acteurs est certainement beaucoup moins présent aujourd’hui. Cela n‘empêche pas l’enfant pour autant d’essayer de comprendre, d’agir.



- Pensez-vous vraiment qu’il en ait aujourd’hui les moyens, qu’on les lui donne ?

L’éducation n’est pas seulement la transmission d’un savoir, mais celle de valeurs.

Nous contribuons à cette transmissions de valeurs : l’écoute, le respect, le respect de la différence, l’attention aux autres.

Ce sont des valeurs intérieures. Je le répète, nous ne faisons pas de l’action. Nous donnons la possibilité de parler, de se rassurer en constatant que ce que l’on pense, ce que l’on voit, d’autres en font aussi l’expérience et que l’on ne doit pas avoir peur de rompre son isolement. Nous aidons l’enfant à rompre ce sentiment d’isolement qu’il peut éventuellement ressentir devant les faits dont il est le témoin et en pouvant croire qu’il est le seul à le ressentir. Nous donnons la possibilité d’un échange entre l’adulte et l’enfant, dès la plus petite enfance avec les albums et plus tard avec les romans. Nous faisons en sorte que l’enfant puisse se dire « je ne suis pas seul, je ne suis pas seul à avoir cette peur, à ressentir ce sentiment, à vouloir agir ». Mais nous ne donnons pas nous-mêmes les pistes d’action. De plus nous proposons de prolonger la communauté qui se crée autour d’un livre avec cette autre forme de communauté qui peut s’instaurer sur un site internet. Nous travaillons beaucoup dans ce sens.



- Justement, quelle est votre position dans la polémique qui a agité le milieu de l’édition de jeunesse l’année dernière sur les romans d’adolescents où l’on serait fréquemment confronté à la mort, à l’angoisse etc. ?

C’est important en effet dans nos collections de romans.

Beaucoup de parents qui avaient eu une pleine et entière confiance dans l’Ecole des Loisirs, à partir des albums, découvrent dans nos romans que nous nous mêlons d’histoires, de contextes qu’ils estiment très éloignés de la vie courante des adolescents. Nous estimons que les parents ont tort de croire que les adolescents sont éloignés de ces interrogations, qu’ils vivent à l’abri dans une bulle, qu’ils sont sauvegardés de tout. Au contraire, ils sont en première ligne. Avec beaucoup moins de possibilité de réagir que les adultes. Il leur faut prendre confiance dans ce nécessaire apprentissage qu’on ne leur évitera pas. Le parent essentiellement protecteur est un peu réducteur.

Ill. : Grégoire Solotareff