Drôles de bêtes (L’Arche de Noé) écrit et dessiné par André Hellé, Editions Tolmer, Paris,1911
Les éditions MeMo rééditent le chef d’œuvre d’André Hellé, « L’Arche de Noé », paru il y a très exactement 100 ans.
Les éditions MeMo rééditent le chef d’œuvre d’André Hellé, « L’Arche de Noé », paru il y a très exactement 100 ans.
Cette réédition à l’identique est un véritable exploit éditorial, qui permet de rendre à nouveau accessible ce livre merveilleux mais si rare (il manque même à la Bibliothèque nationale de France).
D’autres publications salueront ce centenaire, en particulier une étude fouillée de Béatrice Michielsen dans la Revue des livres pour enfants de janvier, et, dès cet automne, un numéro spécial Hellé de la revue Griffon, avec des contributions étonnantes de grands illustrateurs contemporains. En attendant la grande exposition du Musée du jouet à Poissy, prévue pour la fin 2012…
Les éditions MeMo et l’Association des amis d’André Hellé nous ont aimablement autorisés à publier en avant-première la postface de la réédition de « Drôles de bêtes ».
Publié il y a exactement 100 ans, Drôles de bêtes est un chef d’œuvre français, dû à la rencontre de deux créateurs d’exception : André Hellé et Alfred Tolmer.
André Laclôtre, dit Hellé (1871-1945), est à la fois illustrateur de presse, remarquable créateur de jouets en bois et de mobilier pour chambres d’enfants, décorateur, peintre, auteur parfois et surtout illustrateur de livres pour la jeunesse. Dès 1904, son mode de représentation, proche de la vision enfantine, donne à ses personnages l’aspect de jouets à l’allure fruste qu’il utilisera jusque dans ses caricatures politiques. Après plus de vingt années de recherches graphiques, il atteint avec Drôles de bêtes, le sommet de son art. Reconnu par Apollinaire et Carco comme « l’un des précurseurs du cubisme », il propose ici une œuvre résolument nouvelle qui annonce le souci de lisibilité des mouvements modernistes russes. Une éminente bibliothécaire pourra ainsi témoigner: « André Hellé c'était tout neuf. Avec lui le mouvement moderne de peinture est entré dans l'illustration du livre pour enfants… » (1).
L’ouvrage paraît en 1911 en même temps que sa réalisation en bois - une Arche de Noé et ses 24 animaux découpés - tous deux commercialisés par les Grands Magasins du Printemps. Ils témoignent d’une esthétique novatrice, alliant, grâce à la simplification des formes, l’avant-garde des arts plastiques à l’esprit d’enfance que son créateur a su préserver - ou retrouver - par-delà les années. Pour Hellé, l’album sera à la fois l’aboutissement et le point de départ d’une carrière au service de l’enfance, riche de plus d’une soixantaine de livres durant la première moitié du vingtième siècle.
L’éditeur Alfred Tolmer (1876-1957) vient, quant à lui, de renouer avec la tradition paternelle en créant sa propre entreprise d’imprimerie. La « Maison Tolmer » atteint alors sous sa direction, une notoriété internationale qu’elle conservera durant soixante ans de création graphique. Spécialisée dans la publicité, elle représente partout dans le monde, l’exemple du « bon goût et du luxe français ». Elle donnera naissance à des milliers de plaquettes, affiches, cartonnages, boîtes, agendas, papiers à lettre publicitaires… fruits du savoir ancestral de l’imprimerie (typographie, taille douce, xylographie, pochoirs, dorure…) et des techniques nouvelles (héliogravure, sérigraphie, quadrichromie, offset…).
Pendant une trentaine d’années, Alfred Tolmer se fera épisodiquement éditeur pour enfants et expérimentera de nouveaux concepts de livres en faisant appel aux collaborateurs prestigieux dont il a toujours su s’entourer. Il publie ainsi trente petits chefs d’œuvre signés André Hellé, Edy Legrand, Jack Roberts, Françoise Seignobosc, Raymond Peynet, Serge Wischnevsky, etc.
Drôles de Bêtes est le premier de la série et reste le plus spectaculaire, le plus exemplaire des ouvrages qu’il destina aux enfants ; exceptionnel par sa taille (42 x 31 cm), sa remarquable qualité d’impression, son texte calligraphié de la main de l’artiste, son choix étonnant de papier gris-perle, sa mise en page aérée et surtout ses vingt planches lithographiées et rehaussées au pochoir dans les ateliers de l’imprimeur.
Sous une couverture différente, l’album paraît simultanément en co-édition avec les Grands Magasins du Printemps, sous le titre de l’Arche de Noé. On imagine volontiers que c’est Pierre Laguionie, directeur du magasin et admirateur d’André Hellé, qui souhaita cette exclusivité pour créer l’événement dans son catalogue de Noël 1911 : sous le signe de l’arche, il y propose le livre, le mobilier de chambre d’enfant ainsi que les jouets de bois créés par l’artiste. On connaît une troisième et dernière couverture à l’ouvrage –rebaptisé Grosses bêtes et petites bêtes - imprimée ultérieurement sur un étrange carton ondulé (2). Dans les trois cas, les animaux stylisés par André Hellé s’inspirent, tout en le renouvelant, du style naïf et rigide des jouets populaires allemands qui peuplèrent son enfance (3). C’est la première couverture - la plus aboutie graphiquement - qui s’imposa pour le présent fac-similé. Comme dans la frise de papier peint qui décorait la chambre de l’Arche, des animaux célibataires défilent sous la houlette d’un Noé de bois tourné, à l’abri d’un arbre de Nuremberg.
Drôle de bêtes marque l’émergence de l’album d’artiste. Totalement révolutionnaire à l’époque de Benjamin Rabier, Vimar, Caran d’Ache, Job et Carlègle, il nous apparaît aujourd’hui encore d’une incroyable modernité et d’un charme qui n’a rien de suranné. Le voici à présent soigneusement restitué par les éditions MeMo dans son format géant, doté d’’images contrecollées comme dans la version originale. Une réédition hors normes pour un ouvrage exceptionnel !
Notes
1) Claire Huchet Bishop, « Le livre français pour enfants » in The French Review, May 1936, p. 489-494. Elle fut l’une des fondatrices de L’Heure Joyeuse, première bibliothèque française spécialement conçue pour les enfants et inaugurée à Paris en 1924.
2) Précisons qu’une version américaine - Big beasts and little beasts - paraît en 1924 chez Stokes dans un format oblong. En 1925, André Hellé reprend le titre de L’Arche de Noé pour les éditions Garnier et réalise une nouvelle mouture de style Art Déco, dans un format traditionnel, qui ne bénéficiera pas, hélas, des qualités éditoriales de Tolmer (cette version, amputée de six pages, a été rééditée en 1999 par les éditions Circonflexe).
3) L’industrie du jouet allemand domine alors le marché français et Hellé s’inspire naturellement de ces jouets naïfs de bois tourné, dits « de Nuremberg ». Véritable « designer » avant la lettre, il en adoucit la raideur primitive et invente des volumes simplifiés, facilement reconnaissables et plus adaptés à la petite enfance.
Sites internet
Toutes les illustrations sont d'André Hellé