Comment donner le goût de lire aux enfants
Mercredi 12 janvier 2005
16h15-17h15
Animateur : Serge Goffard est le rédacteur en chef de la revue Argos publiée par le CRDP de l'Académie de Créteil, professeur de Lettres et docteur en Sciences du Langage.
Intervenants :
- Marie-Hélène Delval est auteur, traductrice et directrice littéraire chez Bayard Jeunesse. Elle fut rédactrice en chef des magazines Popi, Pomme d'api et Les Belles histoires. Elle s'est lancée dans le roman, en explorant les différentes facettes du fantastique et de la SF, les " mondes imaginaires " demeurant son domaine de prédilection. Elle est l'auteur des Chats, et récemment de Ciel jaune publié dans la collection pour adolescents Millézime de Bayard Jeunesse.
- Daniel Pennac est né, en 1944, au Maroc, à Casablanca, dans une famille de militaires. Il a passé son enfance au gré de garnisons en Afrique et en Asie du Sud-est, avant d'obtenir, à Nice, une maîtrise de lettres et d'opter pour l'enseignement. Ancien professeur de français, il est aussi connu pour ses romans pour adultes que pour enfants.
- Annie Portelette est professeur de lettres et secrétaire de rédaction du site CARMAL. Voir http://www.ac-creteil.fr/langages/contenu/prat_peda/prat_peda.htm
- Nadia Roman, 45 ans, vit à Nice. Elle devient institutrice après des études de lettres et travaille actuellement auprès d'enfants en difficulté.
Elle n'a pas toujours aimé lire et écrire ! : " Petite je n'en avais pas besoin, puisque je vivais à la campagne avec une famille de lecteurs, des copains bricoleurs, mon chien, et des arbres pour faire des cabanes, des branches pour faire des épées, des fruits dans le jardin. Et puis le lycée est arrivé ; il a fallu résister aux longues soirées d'internat… Tout a commencé avec Albert Camus, Jules Vallès et Georges Brassens. Moi qui faisais des fautes d'orthographe, jouais la grammaire aux dés et les thèmes latins au feeling, j'ai "appris" le français, puis perçu son fonctionnement… en fac, à 18 ans ! Beaucoup de lecture, un peu d'écriture, un rôle de lectrice aux toutes jeunes éditions du Ricochet. Puis la collection jeunesse, puis le Faunographe dont la conception passe par une bande d'enseignants dont je suis."
- Hélène Wadowski, venue de chez Nathan, est éditrice chez Père Castor - Flammarion, depuis 1996. Elle y a lancé depuis une collection de lecture, 'Les trois loups', des séries 'Mystère-policier' et 'Science-fiction-fantastique' et pour les bons lecteurs 'Mon île'.
Comment s'y prend on pour donner envie de lire aux enfants ?
Il y a des enfants pour lesquels on ne se pose jamais la question.
Quand un enfant n'a pas envie de lire il ne faut surtout pas en faire une montagne. On ne doit pas lui en parler constamment car la lecture ne doit pas être perçue comme une contrainte. Il faut au contraire adopter des stratégies plus subtiles comme par exemple laisser traîner sur la table quelques livres, quels qu'ils soient, dans l'espoir que l'enfant les lira.
Avant tout, il ne faut pas hiérarchiser les lectures car tout livre est bon à lire. Le plaisir de lire peut se faire à travers des supports différents. Et quand un enfant arrête subitement de lire, il faut savoir très vite s'adapter en allant vers d'autres types de livres.
Le professeur de français, lui, n'a pas la même façon d'aborder la lecture. Il a un rôle différent de celui des parents car il ne doit pas seulement donner envie de lire mais construire un lecteur.
Pour intéresser et mobiliser les élèves à la lecture, il faut leur donner un vrai statut de lecteur au sein de la classe. C'est-à-dire qu'il faut, par exemple, tenir compte de leur première interprétation face à un texte et ne jamais la refuser même si elle peut paraître délirante. C'est ensuite le rôle du professeur de s'adapter à la logique des enfants et par des détours d'arriver à l'objectif qu'il s'était assigné au départ.
Il ne faut pas non plus donner de textes qui vont de soi mais des textes résistants pour qu'il y ait un enjeu. On peut ensuite trouver des passerelles. Par exemple, pour des élèves en difficultés, les albums sont relativement simples à lire et ils ont l'attrait de l'image mais on peut y aborder tous les problèmes très complexes de la littérature.
Il est également important de parler des difficultés de lecture en classe car souvent les enfants peuvent s'aider les uns les autres en se donnant des petits trucs qu'il ne nous viendrait pas à l'esprit de donner car ils peuvent paraître évidents (par exemple toujours s'arrêter à un chapitre pour savoir où on en est et ne pas avoir à relire ce qu'il y avait avant).
Le professeur ne doit pas parler aux élèves de plaisir de lecture car celui varie selon leur goût. Il doit, au contraire, leur donner goût à une autre sorte de plaisir intellectuel, celui de découvrir comment fonctionne un texte. Si on leur fait découvrir ce plaisir, le reste des lectures personnelles, " privées " des enfants ne regarde pas le professeur de français.
Une autre stratégie pour donner envie de lire aux enfants consiste à leur faire la lecture pour leur donner envie d'en savoir plus et de découvrir d'autres histoires par eux-mêmes. Si ils n'y voient pas d'intérêt, on peut alors essayer de les intéresser à des écrits " fonctionnels " dont ils pourraient avoir besoin pour réaliser ou comprendre certaines choses comme par exemple des recettes de cuisines… Cette méthode est utile pour les enfants en grande difficulté ou en échec scolaire.
D'autres suggèrent de continuer de lire aux enfants même quand on a la sensation que l'école a pris le relais car l'école est seulement un univers de formation et d'apprentissage. C'est aux parents de donner à leurs enfants le plaisir de lire, de leur donner le désir de passer des signes aux sens. C'est toujours une joie pour l'enfant de déchiffrer les premiers signes. Après cette première étape, il faut former les élèves " au plaisir de comprendre les raisons du plaisir qu'ils ont eu à aimer lire ", c'est-à-dire le plaisir qu'ils ont eu à passer des signes aux sens ou parfois du sens aux signes.
Il faut prendre le temps de faire lire tout en prenant le temps de faire comprendre.
Un éditeur explique que pour donner envie de lire aux enfants, il faut les considérer dans leur diversité depuis leurs différents âges jusqu'à leurs différents niveaux de lecture pour pouvoir leur offrir une gamme de lectures diversifiées.
Il ne faut pas toujours appeler les choses par leur nom parce que cela peut rebuter un enfant. Par exemple nombre d'enfants affirment ne pas aimer les romans historiques alors que beaucoup des livres qu'ils lisent rentrent pourtant dans cette catégorie.
Mais avant tout, les histoires pour intéresser un enfant, doivent " être solubles dans la vie " c'est-à-dire qu'on doit pouvoir à chaque phrase lever les yeux sur le monde ou se pencher sur un souvenir et vérifier le texte. Les histoires sont des mensonges qui racontent la vérité. Elles parlent de notre vie, de nos questions, de nos peurs…
Pourquoi cette question de donner le goût de lire aux enfants se pose-t-elle ?
Pourquoi est ce si important de leur donner le goût de lire ?
Pourquoi tenons nous autant à les faire lire ?
Qu'est ce que cela leur apporte ?
Les différents intervenants ont donné plusieurs réponses à ces différentes questions dont :
¯ La lecture pose les vraies questions et propose des réponses
¯ On ne peut rien faire sans lire, on en a besoin dans la vie de tous les jours
¯ C'est un moyen de voyager gratuitement
¯ Une bonne lecture sauve de tout
Un professeur explique qu'avant d'aborder un groupement de textes sur le mythe de la création, il demande à ses élèves quelles sont pour eux, les grandes questions que les hommes se posent. Et il retrouve, en triant les réponses, toutes les grandes questions métaphysiques de l'humanité : D'où vient l'homme, qu'y-a-t-il après la mort, qu'est ce qui a donné le nom aux choses ?... Quand ensuite le professeur leur donne différents textes sur la création, tous les élèves sont mobilisés et cherchent les réponses à leurs questions.
La littérature n'est donc pas quelque chose d'inaccessible. Elle est une manière de parler des Hommes.