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Car Boy ou comment trouver sa voie dans une carrosserie

Gaëlle Farre
17 mars 2017
Interview avec Anne Loyer à l’occasion de la parution de son roman Car Boy chez Thierry Magnier en février 2017. Car Boy est un court et dense roman initiatique qui a pour décor une carrosserie et pour héros un adolescent blessé et perdu qui va trouver un nouveau souffle de vie.

 
 
(…) les yeux grands ouverts sur cette nuit trop longue, j’ai un étrange sentiment d’inachevé. Comme s’il me manquait encore des pièces pour tout comprendre. Le puzzle n’est pas terminé. J’en suis presque sûr… ça fait au moins une certitude. Assez pour m’endormir. Demain est un autre jour. Il paraît que c’est comme ça qu’on dit…
Extrait du chapitre 8 de Car Boy
 
Gaëlle Farre : Parlez-nous un peu de vous et de l’écrit – de vos lectures d’enfance mais aussi de votre rapport à l’écrit et de votre expérience de journaliste.
Anne Loyer : Mon désir d'écrire est né de la lecture. Les livres qui ont jalonné mon enfance ont été très nombreux. J'ai eu la chance d'avoir des étagères remplies très tôt par des parents lecteurs, j’avais une carte de bibliothèque, un abonnement à J'aime Lire dont je dévorais les histoires. J’écumais les romans des collections Bibliothèque Rose et Bibliothèque Verte, de nombreuses BD aussi avec une prédilection pour les Yoko Tsuno. Et les romans de la Comtesse de Ségur – dont je viens de relire pour la énième fois Après la pluie, le beau temps ! Ces romans, malgré leur morale et leurs bondieuseries, me procuraient un formidable bonheur de lire. C'est tellement daté aujourd'hui... et pourtant, c'est aussi indélébile qu'inamovible. Il y a eu ensuite Sa majesté des mouches (de William Golding), Mon bel oranger (de José Mauro de Vasconcelos), Le poney rouge (de John Steinbeck) et bien d’autres… et puis vers 10-11 ans, Zola, qui m'a fait basculer dans la littérature dite « adulte » avec un plaisir fou. 
 
Je ne voulais pas être spécifiquement écrivain. Bien sûr, j'avais un journal intime, j'écrivais des histoires, des poèmes et des débuts de roman... Mais pour moi, ce métier n'était pas accessible. Il était intouchable. Tellement révéré, porté par des gens tellement prestigieux et morts pour la plupart, que je ne pouvais l'imaginer possible. Mais j'aimais écrire, décrire, raconter... alors journaliste, c'était le métier de rêve ! J'étais une grande admiratrice de Kessel ! Aller sur le terrain, faire des reportages, rencontrer toutes sortes de gens, passer du social à la politique, du fait divers au tribunal, de la vie quotidienne au spectacle... tout me plaisait. Tout me passionnait. 
 
Et aujourd'hui, mes histoires doivent beaucoup à celles que j'ai croisées lors de ma précédente carrière. Elles m'offrent un terreau où je creuse et puise sans cesse pour alimenter mes récits. Le journalisme ne me manque pas, mais mes livres lui doivent beaucoup ! Et grâce à mes années d'expérience, je pense que j'ai acquis une certaine vitesse d'écriture, une capacité d'adaptation, qui me servent énormément dans mon métier d'auteur. 
 
 
Pouvez-vous nous parler de Car Boy ?
J'avais depuis longtemps envie d'écrire un roman qui se passerait dans un décor de casse. Ces lieux où gisent les véhicules désossés, cabossés et défigurés m'ont toujours fascinée. Tellement d'histoires sont entassées dans ces épaves. Vies brisées, parcours cassés, destins fracassés... Mon passage à la rubrique Faits divers des différents journaux où j'ai travaillé n'y est sûrement pas pour rien. Je suis allée plusieurs fois faire des photos dans des carrosseries, à la recherche de la voiture qui venait de se faire détruire, pour illustrer mon article et c'était à chaque fois bouleversant. Cette expérience m'a profondément marquée.
 
Aussi, un jour, je m'y suis mise. Cela se passe de la même manière à chaque fois. Une idée me hante, une envie en découle et j'écris. J'ai d'abord rédigé le premier chapitre de Car Boy... sans savoir où j'allais, ni quel serait mon héros. Ce morceau de texte n'a pas bougé... à part un mot. C'est le prélude à mon récit. Indispensable à la suite qui est venue au fil de la plume, sans que je ne sache vraiment où j'allais. Au départ, je n'avais que le décor. Et puis Raph’ est né avec son vécu, son passé, son présent. Son avenir restait en suspens. Tout était à inventer. Son père, sa mère, Mylène, Kathia... me sont ensuite apparus assez naturellement. J'ai écrit pendant deux mois environ. Entrecoupés de pauses et d'autres projets. Puis j'ai envoyé mon texte à Thierry Magnier. Je n'osais pas vraiment espérer une réponse favorable. Ce n'était pas la première fois que je tentais. Mais l'éditrice, Soazig Le Bail, a toujours répondu à chacun de mes envois, avec un mot pour expliquer son refus. Et ces réponses-là sont précieuses pour un auteur. Pour Car Boy, elle m'a appelée. Elle voulait m'en parler de vive voix. Elle souhaitait que je retravaille certains passages, vers la fin notamment, avant de se décider ! J'ai aussitôt repris mon roman. Ce qu'elle me demandait était tout à fait justifié. J'ai renvoyé mon texte amendé et elle m'a rappelé pour me dire que oui, elle le prenait. J'étais en voiture à ce moment-là ! Comme quoi ça ne s'invente pas. Je partais pour la Bretagne, qu'elle connaît bien, et nous avons fêté ça avec ma famille en trinquant au champagne sur la plage ! Pour moi, ce oui était un rêve qui se réalisait...
 
 
Le héros de Car Boy est un garçon. Vos héros adolescents sont tour à tour des filles et des garçons et vous semblez avoir autant de facilité à vous exprimer à travers l’un ou l’autre sexe. Est-ce bien le cas ?
Ce que vous me dites là me fait immensément plaisir. Car c'est toujours un défi de se mettre dans la peau d'un personnage, fille ou garçon, avec, effectivement, pour le second, la peur de rester à côté. Mais un écrivain ressemble un peu à un acteur. Il endosse un rôle avec des mots, qu'il ne dit pas mais couche sur le papier. Il se glisse dans la peau d'un autre, devient « lui », ressent ses émotions, vibre avec lui à ce qui traverse sa vie. Du coup, on s'oublie un peu. On devient l'autre... tout en restant à la barre. Ce qui est un exercice parfois très difficile mais toujours passionnant. C'est ce que j'aime. Devenir quelqu'un d'autre, le temps d'une écriture. M'oublier. Laisser faire celui ou celle que j'invente. Au final, les personnages, et ce, quel que soit leur sexe, sont avant tout un assemblage de sensations, d'émois et d'événements. L'intimité d'un adolescent est un bien que l'on a en soi, car on l'a tous été un jour. Et en allant chercher ce ressenti, parfois profondément enfoui, en le faisant ressurgir, tout en restant ouvert sur l'autre et sur sa différence, on parvient à construire une personnalité aussi particulière qu'universelle. 
 
 
La famille. Vos héros adolescents sont très souvent en rupture familiale ou dans des situations familiales difficiles. Est-ce conscient ? Quelle image de la famille souhaitez-vous donner ? 
Oui, c'est vrai. Et là encore, c'est le jeu d'acteur et l'invention qui ressortent. Ces ruptures familiales, ces vies cabossées sont très loin de la mienne. Je connais ma chance. Je sais que tout est fragile. Aussi je reste ouverte à ce qui se passe autour de moi, j'essaye d'être très attentive à la société qui m'entoure. Le journalisme, là encore, n'est pas loin. Je lis, me documente beaucoup. Il suffit d'ouvrir un journal ou la télévision pour se rendre compte qu'un monde où tout va bien est un leurre. L'adolescence est complexe et même quand il n'y a pas de « vrais » problèmes, il arrive que le mal-être pointe le bout de son nez. Si mes familles de papier sont souvent décomposées, je tends toujours à les recomposer, ou tout au moins à leur donner un sens, à offrir à mes personnages une porte de sortie, un espoir auquel se raccrocher. Tout n'est pas résolument noir. Il suffit parfois de pas grand-chose pour trouver une source de lumière…
 
 
Car Boy se passe dans une carrosserie. La Belle Rouge (Alice éditions) retrace un road trip. Ludivine enfourche une moto dans Comme une envie de voir la mer (Alice éditions)… Le voyage, l’échappée sont des thèmes qui reviennent souvent dans vos récits. Pouvez-vous nous en parler ?
Là encore, c'est vrai. J'aime voyager, bouger, visiter, me déplacer. Cela vient de mon enfance, j'imagine, où l'on partait en voyage pendant les grandes vacances, toujours en voiture. Nous sommes allés jusqu'à Istanbul une fois... Ces pérégrinations m'ont marquée et il me semble qu'en partant, on peut trouver des solutions, apaiser ses problèmes, faire de nouvelles rencontres éclairantes, vivre de folles aventures. Pour moi, avoir le permis a été une joie incroyable, LA liberté. Ne plus dépendre de personne pour se déplacer, partir n'importe quand, n'importe où, au beau milieu de la nuit si je veux... Du coup, mes romans ados portent cette trace en eux. Ce désir de fuite pour mieux se trouver. D'ailleurs, celui que je suis en train d'écrire en ce moment parle encore de cela, d’une échappée vers l’ailleurs, mais en auto-stop cette fois ! 
 
 
 
© Anne Loyer
L’appétence d’Anne pour le voyage et l’évasion
s’exprime dans ses voyages, ses photos et en famille !
 
 
Des conseils de lecture à nous donner ? Pouvez-vous livrer 2 à 3 lectures qui vous ont marquée récemment et que vous nous conseilleriez ?
Je viens de finir la BD Zaï Zaï Zaï Zaï de Fabcaro (Six pieds sous terre) et j'ai adoré son humour décalé, sa vision corrosive de la société ! 
 
Récemment, j'ai dévoré Les règles d'usage de Joyce Maynard (Philippe Rey). Une auteure dont j'apprécie énormément la plume et les thèmes. Le parcours initiatique de cette petite fille touchée de plein fouet par l'attentat du 11 septembre 2001 est bouleversant de justesse. Un livre beau et émouvant. 

Écoutez nos défaites de Laurent Gaudé (Actes Sud) m'a transportée par la poésie et la beauté de ses mots. Il sait faire résonner comme personne le sens de ses écrits avec une puissance aussi fulgurante que déchirante. 

Enfin, je viens de commencer Mille femmes blanches de Jim Fergus (Pocket) dont j'ai beaucoup entendu parler. Et je suis déjà sous le charme de cette histoire incroyable... 
 
17.03.2017