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Date

Agnès de Lestrade

29 mai 2007

Agnès de Lestrade aime écrire pour faire frissonner, rêver, grandir. Pour se protéger du monde en inventant le sien. Quand elle n’écrit pas, ne lit pas, ne rêve pas et ne boit pas du thé, elle invente des jeux de société pour faire rire, des chansons pour faire pleurer et elle a même trouvé le temps de fabriquer deux beaux enfants pour tester le tout sur eux. Son premier livre, « La petite fille qui ne voulait plus cracher » est paru en 2003 à l’école des loisirs. Depuis, elle a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages, des romans et des albums chez plusieurs éditeurs  : Nathan, Milan, Le Rouergue, la joie de lire, Hatier, Tourbillon, L’atelier du poisson soluble, Motus, les éditions du Rocher... Sans plus attendre découvrons les réponses de cette auteure exhaltée, instinctive et solitaire qui aime se couper du monde et trouver refuge dans son monde intérieur


- A quel "héros"/ personnage de fiction vous identifierez-vous volontiers ?

Au professeur Tournesol. Notamment parce que je passe beaucoup de temps avec des boules Quies dans les oreilles…et que ça me donne souvent un air déconnecté. (Ma fille dit souvent « maman est dans son monde » et elle a raison) Le bruit m’agresse et j’adore m’isoler, me retrouver à l’intérieur de moi-même. Parfois, sur les salons, en fin de journée, je mets mes bouchons. L’autre jour, une petite fille m’a demandé pourquoi j’avais de la patafixe dans les oreilles, j’ai beaucoup ri.

- Quelle utopie seriez-vous prêt(e) à défendre ?

Le respect de la dignité humaine. C’est bien une utopie, non ?

- A part être écrivain ou illustrateur, que rêveriez-vous d'être ?

Mon rêve suprême serait de faire des films. Parfois, j’ai l’impression d’écrire parce que je ne filme pas. Ceci dit, j’ai commencé une série de petits films délirants et perso.





- Où écrivez-vous ? Quel est le lieu qui vous inspire le plus ?

Partout, grâce à mes magiques boules Quies. Mais plus particulièrement dans mon lit (très inspirante la position allongée, détendue. Au collège, mon fils a dit qu’il était fier de sa maman parce qu’elle travaillait dans son lit…personne n’a pensé que j’étais écrivain bien entendu !) et dans le train. C’est comme si mon imagination se mettait en marche en même temps que le train. Il y a un côté « entre parenthèses » qui me donne des ailes.

- Quel est le sentiment qui vous habite le plus souvent ?

L’extrême besoin de solitude. Je préfère souvent être seule que bien accompagnée. Si j’ai eu mon compte de solitude, je suis heureuse avec les autres. Mais c’est la condition. Mon entourage me connaît et me respecte comme je suis. C’est une grande chance. Un autre sentiment qui m’habite très souvent aussi, c’est la joie. Une sorte d’exaltation intérieure.





- Quel (s) genre(s) de livre(s) vous tombe(nt) des mains ?

Les biographies historiques

- Que redoutiez-vous enfant ?

D’être abandonnée, de perdre mes parents de nouveau. Quand j’avais un an et demi, ma mère est tombée très malade. Mon grand-père est venu me chercher pour m’emmener chez lui (à 800 km de chez moi) et je n’ai pas revu ni entendu mes parents pendant les deux mois qui ont suivi. A cette époque- là, on ne mettait pas de mots sur les évènements. Et je suis restée dans l’ignorance de ce qui se passait. C’est à cette période de ma vie, je pense, que mon imaginaire s’est développé.

- Vous arrive-t-il de côtoyer des êtres imaginaires ?

Oh oui. Ceux qui habitent ma lecture du moment, et qui me manquent bien souvent quand le livre est fini. Et ceux que je crée pour mes propres histoires. Je me souviens particulièrement de Nino (« J’habite sous les étoiles »Milan cadet+) qui m’a beaucoup manqué quand j’ai fini d’écrire.





- Que feriez-vous ou diriez-vous à un ogre s'il vous arrivait d'en croiser un ?

- J’ai faim et toi ? (J’adore manger !)

- Qu'avez-vous conservé de l'enfance ?

Le sentiment que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Et la spontanéité aussi, je crois.

- Selon vous, qu'est-ce qui fait vendre un livre ?

La visibilité, le marketing, les articles de journaux. Mais aussi le bouche à oreille.

- Quel qualificatif vous colle à la peau ?

Oh là là, c’est difficile de se qualifier soi-même. Alors, j’ai fait une petite enquête chez moi ; ils ont répondu « Joyeuse ». Moi, je dirai excessive et instinctive... pour le meilleur et pour le pire !

- Quelle est la meilleure phrase qu'un enfant vous ait dite ?

« Tu vas me manquer ! »

- Quelle est votre définition du bonheur ?

Je me sens bien quand ma respiration est ample, que je suis concentrée sur ce que je fais. Réunie.

- Si vous aviez la possibilité de recommencer, que changeriez-vous ?

Mais je recommence tous les jours ! C’est le grand pouvoir de l’imaginaire.

- Enfant, quel genre de lecteur étiez-vous ?

Je pouvais relire dix fois le même livre.

- Vis-à-vis de quoi vous sentez -vous impuissant ?

Tout. Je ne me sens puissante vis à vis de rien. Je sais que tout nous échappe même si on se raconte souvent le contraire. Ca ne m’empêche pas d’essayer. Et d’espérer.





- Quel est l'animal auquel vous ressemblez le plus ? Pourquoi ?

La marmotte. J’adore dormir. Je peux me coucher tôt et dormir tard le matin quand même. Et je supporte très mal le manque de sommeil. Ca m’atteint le moral direct ! Je n’ai jamais compris les gens qui disaient que dormir, c’était perdre son temps. Pour moi, c’est tout le contraire. Je sais que mes batteries sont là, dans le sommeil. Mes histoires aussi d’ailleurs.

- Quel est le mot que vous préférez dans la langue française ?

Explorer. La saveur de la vie, pour moi. Explorer mon propre imaginaire, explorer les livres, les films, les rencontres avec les autres. Je suis très joueuse. J’aime que la vie soit une surprise. Mais j’ai besoin de sécurité aussi.

- Que souhaiteriez-vous que l'on retienne de vous ?

Un de mes livres. Celui que vous voulez. Ils sont ma substantifique moelle. (Moiiiile)


Vos livres
- Quelle est votre dernière sortie pour la jeunesse ?

Le parapluie de madame Hô, illustré par Martine Perrin, chez Milan.

- Le(s) livre(s) dans votre production dont vous êtes particulièrement fier ou qui vous laisse(nt) un souvenir particulier

Tous ont leur raison d’être. Ils sont nés d’un sentiment très fort, d’une envie que j’avais en moi à ce moment-là. A ce titre, ils sont tous importants. Mais « le rêve de Léon », chez Tourbillon a une place à part.. Parce qu’il suscite beaucoup de discussion dans les classes (souvent les adultes le détestent et les enfants rient beaucoup. Un jour un enseignant m’a dit ouvertement le détester, mais que jamais un livre n’avait suscité autant de débat dans sa classe. Je lui ai dit merci.) Parce qu’il parle de la gravité de la vie, mais qu’il en rit aussi. Il est sur le fil du rasoir. Il a peu de mots. Et j’ai toujours le soucis d’en dire le moins possible pour laisser le maximum de liberté aux lecteurs. Je me demande toujours « comment dire sans dire ». Comment écrire avec des silences. Comme en musique. Parce que j’aime qu’on me laisse libre, aussi.

Je suis souvent frustrée parce que quand je reçois un de mes livres fini, je ne le ressens plus. Je le trouve beau, souvent magnifiquement illustré, je l’offre, j’en suis fière. Mais quand je le lis, c’est froid à l’intérieur de moi. L’adrénaline et ce que j’y ai mis sont derrière moi. Mais pour le rêve de Léon, l’émotion est intacte. Ce petit garçon continue à me toucher et à m’accompagner.




- Quel est le thème que vous aimez davantage traiter ?

Délibérément et consciemment, aucun. Par contre, on me renvoie souvent que j’aime parler de gens bancals, peu sûrs d’eux, qui doutent et qui cherchent. Et aussi des éléments de la nature (L’enfant qui mangeait les nuages, l’arbre à pluie, la marchande de vent, les légumes de monsieur Marcel, le géant de sable). Depuis six ans, je vis en pleine nature et c’est vrai qu’elle m’inspire, que je la contemple avec admiration. Je la respire et je la ressens. Je la goûte.

- D'où est né votre premier livre/ illustration ?

D’un titre qui m’est venu, un matin au réveil. « La petite fille qui ne voulait plus cracher » (l’école des loisirs). Je n’avais que le titre dans la tête et rien d’autre. C’est souvent le cas pour mes histoires ; Elles commencent par un titre et je construis toute l’histoire en tirant le fil.





- Quel livre en littérature de jeunesse auriez-vous voulu écrire ou réaliser à la place d'un autre ?

« Le petit bout manquant rencontre le grand O » de Shel Siverstein, chez MeMo. Magnifique. Il y a toute la vie dedans. Total respect. Et puis « Moi j’attends » de Davide Cali et Serge Bloch, chez Sarbacane. Un petit bijou complet.

- Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?

Je viens de finir un texte pour album « La petite fileuse de brume » (encore la nature !) et je me lance dans un roman court pour ado. Je commence à construire aussi dans ma tête un récit pour la collection « confession d’auteur » à la Martinière, même si l’éditrice n’est pas du tout au courant…






- Où et comment vous voyez-vous dans 10 ans ?

Etant donné que j’ai l’impression (dans ma tête seulement, je vous rassure) d’avoir 25 ans, et bien, ça m’en fera 35.


Références
Littérature de jeunesse
- Un livre pour la jeunesse qui vous a marqué petit ?

Tanguy de Michel del Castillo. Et aussi l’affaire Caïus.

- Quels sont vos auteurs-illustrateurs de référence ou qui pour vous développent une approche intéressante ?

Davide Cali, Serge Boch et Shel Silverstein notamment.

- Quels sont vos livres "coups de cœur", les "incontournables" en littérature de jeunesse ?

Il y a un livre que je m’achète régulièrement et que j’offre et que je me rachète c’est « Les jours bêtes » de Delphine Perret à l’atelier du poisson soluble. Et au Rouergue, le livre qui m’a donné envie d’écrire des albums c’est « Toujours rien » de Christian Voltz.

Culture
- Un film, une photo/illustration qui vous touche ?

Plusieurs films : Ethan From, la liste de Shindler, les petites vieilles. Récemment « After the weeding » et « good bye Bofana ».

- Un musicien

Mano Solo et Pauline Croze.

- Un lieu où vous aimeriez vivre

Chez moi. C’est mon refuge, mon abri, ma tanière. Je peux fermer les volets pour ne pas voir le monde. Je peux les ouvrir grand et y vivre avec les gens que j’aime. Je peux voir le cerisier passer des fleurs blanches aux fruits verts. Sentir la pluie sur l’herbe, le soleil sur le fleuve. Oh oui, vivre chez moi.

Une phrase (une devise) qui vous guide ?

« Celui qui sait toujours où il va, ne va jamais nulle part » Javier Cercas

Actualité
- Vos dernières (bonnes) lectures ?

Oh là là, c’est tellement dur de choisir…Une merveille de mes deux dernières années c’est Naufrages d’Akira Yoshimura (actes sud). Je suis très fan aussi de Yoko Ogawa qui peut m’emmener où elle veut. Et de Paul Auster avec l’excellent « Monsieur Vertigo ». Sinon, il y a « Le jour avant le lendemain » de Jorn Riel. Pour l’amour de Massoud de Sediqa Massoud. (J’adore les récits de vie !), « Les cerfs-volants de Kaboul, grand roman poignant.« Il faut qu’on parle de Kevin », de Lionel Shriver, dur mais incroyable. « La maestra » de V.Khoury-Ghata…j’ai toute une valise de mes livres préférés…je me dis toujours que je vais les relire ; En attendant, je les prête ou je les regarde.





- Un site (sur les techniques graphiques, un auteur-illustrateur, une approche particulière du texte, de la littérature...) que vous souhaitez recommander ?
timtomlefilm.free.fr de l’excellent Romain Ségaud. A voir de toute urgence. (Et je ne dis pas ça parce que c’est mon cousin !)


Auteurs et illustrateurs en lien avec l'interview

Illustration d'auteur

Agnès de Lestrade

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