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« À 16 ans, je suis tombé amoureux de Sophie Scholl »

Dominique Petre
8 juin 2016



L’écrivain Jean-Claude Mourlevat a toujours eu des rapports privilégiés avec l’Allemagne ; il s’en est expliqué lors d’un récent passage à Francfort.

 

Invité par quatre écoles* et par l’Institut français, Jean-Claude Mourlevat a rencontré plus de 300 élèves en trois jours à Francfort-sur-le-Main. Passant du français à l’allemand sans difficulté et de classes de primaire au lycée avec la même souplesse, l’écrivain a parlé de son métier mais aussi de son amour pour l’Allemagne. « Si je devais un jour quitter la France pour aller vivre à l’étranger, c’est ici que je viendrais », a-t-il ainsi explique. Avant d’ajouter en souriant : « le reste de ma famille ne serait probablement pas d’accord ». Professeur d’allemand de formation, il a été « un enseignant heureux » et garde notamment d’excellents souvenirs de voyages scolaires à Berlin. Même s’il a quitté l’enseignement – d’abord pour le théâtre, avant de se consacrer à l’écriture –, Jean-Claude Mourlevat continue de dresser des passerelles entre les deux cultures, entre autres par ses traductions de quelques incontournables de la littérature de jeunesse allemande.





 

Des traductions de chefs-d’œuvre

C’est à lui que l’on doit les versions françaises des histoires de Jim Knopf de Michael Ende : Jim Bouton et Lucas : le chauffeur de locomotive et Jim Bouton et les terribles 13 (Bayard Jeunesse, 2004 et 2005). Jean-Claude Mourlevat a découvert ces chefs-d’œuvre pleins de fantaisie grâce à un ami allemand. Quand il se rend compte que ces histoires « qui rendent heureux » sont traduites dans de nombreux pays mais pas encore en France, il se démène – avec succès – pour convaincre un éditeur de se lancer. Jean-Claude Mourlevat est également le traducteur du récit initiatique Krabat d’Otfried Preußler, grand classique de la littérature jeunesse allemande. Comme de nombreux lecteurs, Jean-Claude Mourlevat s’est laissé envoûter par cette histoire fantastique, romantique et assez noire ; « en plus l’intrigue se déroule dans un moulin, or il se trouve que mon papa était meunier ».

L’écrivain adore traduire, de préférence de l’allemand et des classiques. « Traduire est  très reposant par rapport à l’écriture », explique-t-il. « Tout est là. On n'a rien à inventer. Cela n'empêche pas de dormir. » Quand Gallimard lui demande une nouvelle mais fidèle traduction de Hänsel et Gretel des frères Grimm, Jean-Claude Mourlevat décide ainsi de se baser sur une version de 1819 qui lui paraît « parfaite ». Sa version, sortie en 2009 et illustrée par Lorenzo Mattotti, est un album aussi remarquable que remarqué qui fait partie des titres recommandés par le ministère de l’éducation nationale français.





 

 

Ému par le courage de Sophie Scholl

De la traduction d’œuvres allemandes à l’écriture d’un roman historique qui se déroule en Allemagne, il n’y a qu’un pas… que Jean-Claude Mourlevat hésite d’abord à franchir. Pour rappel, un groupe d’étudiants allemands fonde au début des années 1940 un mouvement de résistance au nazisme qu’ils appellent « La rose blanche ». Sophie Scholl et son frère Hans en font partie ; ils sont tous les deux arrêtés et exécutés après avoir lancé des tracts de protestation dans la cour de l’Université de Munich. « À l’école, mon professeur d’allemand nous avait fait lire un extrait du livre écrit par Inge Scholl, la sœur de Sophie, intitulé Die weiße Rose. Dans ce passage, Sophie se trouve dans le train entre Munich et Stuttgart avec une valise pleine de tracts antinazis. J’avais à peu près son âge quand j’ai lu ce texte, j’ai trouvé son courage impressionnant et j’ai été ému. » Dans une autre classe, Jean-Claude Mourlevat n’hésite pas à affirmer qu’à 16 ans, il est « tombé amoureux » de Sophie Scholl.





Des années plus tard, lorsque l’éditeur Actes Sud junior l’invite à rédiger un texte pour la collection « Ceux qui ont dit non », Jean-Claude Mourlevat refuse. Il n’écrit que de la fiction : « ce que j’aime éperdument, c’est inventer des histoires ». Mais imprudemment, il ajoute que s’il devait écrire une biographie historique, il la consacrerait à Sophie Scholl. Apprenant cela, l’éditeur insiste : Sophie Scholl, non à la lâcheté est finalement publié en 2014. Ce poignant récit qui raconte l’histoire, mais surtout les derniers jours, de la jeune Allemande remporte en 2013 le prix Historia du livre jeunesse.

Sophie Scholl est le premier titre que Jean-Claude Mourlevat consacre à une personne ayant réellement existé, parce que son destin et son caractère l’ont profondément marqué. « Heureusement qu’à l’époque il n’y avait ni mail, ni Facebook ni WhatsApp », raconte-t-il à des élèves qui ont pour la plupart un smartphone en poche. « J’ai pu lire les lettres de Sophie et celles de son frère, c’est très impressionnant. » Le livre de l’écrivain français a même été traduit en allemand par l’éditeur Anaconda (Sophie Scholl, nein zur Feigheit, 2014).

En épilogue et comme le veut le destin, Jean-Claude Mourlevat, au détour de ses pérégrinations francfortoises – il se déplace à pied chaque fois que c’est possible –, tomba par hasard sur la rue des Geschwister Scholl, à deux pas du Lycée français…

 

 

Il adore raconter des histoires

Dans les classes, l’ancien pédagogue sait choisir le ton juste. Il répond aux questions, il lit des extraits de ses livres ou les narre, et l’on sent qu’il fait ce qu’il adore : raconter des histoires.

C’est son petit frère, qui en réclamait une chaque soir pour s’endormir, qui lui aurait permis de devenir un « raconteur » professionnel. Aux élèves, il explique aussi que certains de ses livres se vendent très bien comme L’Enfant océan (Pocket jeunesse) qui va atteindre le million d’exemplaires vendus et que d’autres ont moins de succès tel A comme voleur (Pocket jeunesse).






 

À la question de savoir lequel de ses titres il préfère, Jean-Claude Mourlevat avoue avoir un faible pour La ballade de Cornebique (Gallimard jeunesse) parce qu’il est plein de vie : « Ce livre devrait être remboursé par la sécurité sociale », explique-t-il en souriant. Autre livre humoristique, La troisième revanche de Robert Poutifard (Gallimard jeunesse) qui va probablement être adapté en film. Une histoire prédestinée pour des rencontres avec des groupes scolaires : Robert Poutifard est un instituteur à la retraite qui décide de se venger de ses trois pires élèves, entre-temps devenus adultes. Jean-Claude Mourlevat a écrit cette histoire pour ses propres enfants, grands amateurs de Roald Dahl : « il me fallait donc être à la fois cruel et drôle ». À Francfort, une classe (maîtresse comprise) a adoré le récit… sauf la fin. « Cela tombe bien, rétorque l’auteur, je suis en train de la réécrire pour le scénario du film. » En parlant de cinéma : Le combat d’hiver (Gallimard jeunesse), roman qui a gagné le prix Sorcières en 2008, est en train d’être mis en images.






 

Il faut se creuser la tête pour avoir des idées

Quand on lui demande d’où lui viennent ses idées, Jean-Claude Mourlevat cite Picasso qui aurait dit : « Si l’inspiration vient me voir, il faut qu’elle me trouve au travail.» « Il n’y a pas de secret, explique l’écrivain aux élèves, pour avoir des idées, je dois me creuser la tête. » Il affirme ainsi n’avoir « ni plan, ni scénario » : « écrire un livre, c’est répondre 10 000 fois à la même question : et maintenant ? ». Convaincu que « les histoires que l’on écrit disent qui nous sommes », Jean-Claude Mourlevat avoue être malheureux entre deux romans, quand il n’écrit pas. C’est cette passion pour l’écriture qu’il arrive à si bien transmettre à ses jeunes lecteurs francfortois, germanophones et francophones. Personne ne le met en doute sa parole quand il annonce : « être publié à 40 ans a bouleversé mon existence, c’est comme si j’avais marché à côté de ma vie jusque-là ».

 

 

*L’Ecole européenne de Francfort, la Bettina-Schule, la Carl-Schurz-Schule et le Lycée français Victor Hugo

 

 

08.06.16

Photos : Dominique Petre