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Minute papillon!: 12 livres jeunesse pour virevoleter dans l'univers des insectes

Petits êtres fascinants, les insectes représentent une source de connaissance passionnante sur la nature et son fonctionnement. C’est pourquoi, nous vous proposons de découvrir notre sélection d’ouvrages issus de la littérature jeunesse traitant d’un tas de bêtes à six pattes.

insectes
15 février 2024

1. Le fan club des petites bêtes, Elise Gravel, Alice Jeunesse, 2022
Documentaire, dès 6 ans

Depuis toute petite, l’autrice-illustratrice Elise Gravel est captivée par les petites bêtes, celles qui grouillent, pullulent, fourmillent tout autour de nous. Elle leur a d’ailleurs déjà consacré plusieurs albums poilants. Et là, cette Québécoise récidive avec un ouvrage à mi-chemin entre le documentaire et la fiction qui nous plonge dans le merveilleux univers des hyménoptères, coléoptères, gastéropodes, arachnides et autres invertébrés.

Saviez-vous par exemple qu’une sorte de tarentule originaire d’Amérique du Sud protège un minuscule crapaud parce que celui-ci se nourrit des bestioles qui menacent ses œufs? Ou que le bousier est l’insecte le plus fort du monde, lui qui est capable de pousser une boule de caca pesant mille fois son propre poids? Ou encore que le moustique est attiré par l’odeur des pieds qui puent?

En partageant sa passion pour le peuple de l’herbe et d’ailleurs, en faisant son apologie avec humour et talent, Elise Gravel incite lectrices et lecteurs de tous âges à se pencher afin d’observer de près ces petites bêtes qui, en plus d’être fascinantes, œuvrent sans relâche pour le bien-être de notre planète. Après avoir lu son livre, on hésite à user du tape-mouche ou de la raquette électrique anti-insectes, et c’est tant mieux! (EP)

2. La petite évasion, de Marzena Sowa et Dorothée de Monfreid, La Pastèque, 2022
Bande dessinée, dès 6 ans

Parce qu'elle a des difficultés à tisser une toile dans les règles de l'art, l'araignée de cette histoire est envoyée chez Monsieur scarabée, soi-disant spécialiste des apprentissages. En vérité, l'endroit où sa mère l'abandonne ressemble à une décharge gérée par un maître des lieux acariâtre, préoccupé uniquement par son aile trouée qui l'empêche de voler. Araignée n'est pas la seule dans cette galère: Moufe, Bouhouhourdon et Luciole connaissent le même sort. Ensemble, ils décident de s'évader…

Une bande dessinée tout en nuances sur la différence, la maltraitance et l’exclusion. Pour un défaut de prononciation, un sentiment de tristesse exacerbé ou un léger défaut de fabrication, arachnide et insectes sont mis au ban de leur société, parqués dans un endroit sordide et soumis aux ordres d’un chef tyrannique. Ces mini-héros dont personnes ne veut vont se découvrir une passion, celle du droit à la liberté et au bonheur. Un apprentissage qui démarre main dans la main et le sourire aux mandibules. Un récit humaniste sur les exclus de la vie, bourré d'humour et de bon sens. (EP)

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©Alice Jeunesse, ©Alice Jeunesse, ©La Pastèque

3. Une nuit au jardin, Anne Crausaz, MeMo, 2021
Album, dès 4 ans

Anne Crausaz décrit une folle nuit d’été au jardin, à travers un « nous » inclusif qui siéra aux petits comme aux grands. Attention c’est parti, l’aventure commence quand nous nous approchons d’une luciole... Nous allons assister à des rencontres, des activités parfois cocasses (la lucane soufflant le pollen), sautiller d’un insecte à l’autre avec notre lampe d’explorateur parfois allumée. La dessinatrice exprime des bribes d’informations sur la faune et la flore, mais nous laisse aussi simplement profiter de l’instant présent et des beautés de la nature. Puis le jour se lève dans la brume, le hérisson passe et nous nous sentons fatigués. Jusqu’à la prochaine nuit...

Avec ses pages intégralement noires et ses effets de gris, l’album développe une vision entièrement nouvelle du jardin des vacances. Rythme des activités, formes nocturnes des brindilles et des fraises, règne sans partage de petits êtres qu’on ne voit pas autrement: tout est insolite à l’oeil de l’humain diurne. Et parce qu’elle maîtrise à la perfection la palette graphique tendance naturaliste, Anne Crausaz n’a besoin d’aucun artifice documentaire (petite loupe pour voir en-dessous, encarts explicatifs…). Talentueuse et expérimentée, elle invite, suggère, promène le touriste-lecteur dès 4-5 ans, et nous la suivons béatement. (SP)

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©MeMo

4. Insectorama: découvre et observe le monde fascinant des insectes, Lisa Voisard, Helvetiq, 2023
Documentaire, dès 8 ans

Savez-vous que l’abeille danse en huit pour indiquer à ses consœurs qu’elle a trouvé de la nourriture? Que malgré sa réputation de porter chance, la coccinelle à sept points est en réalité une terrible prédatrice? Ou encore que la migration annuelle de certaines espèces d’insectes se déroule sur deux, trois, voire six générations? En parcourant les pages d’Insectorama: découvre et observe le monde fascinant des insectes, vous trouverez ces informations et bien d’autres éclaircissements sur le monde de ces minuscules mais passionnants petits êtres, les insectes!

Au début de l’ouvrage, l’autrice-illustratrice Lisa Voisard définit ce qu’est un insecte: régimes, habitats, nombre d’ailes et de pattes (six!...  Eh non, l’araignée n’en est pas un!). Une première partie dresse les portraits de ces petites bêtes, certaines rencontrées quotidiennement et d’autres plus discrètes, comme le phasme gaulois à l’allure de brindille, ou la menthe religieuse qui ne se montre qu’en été… Une deuxième partie propose des conseils à l’enfant apprenti entomologiste pour lui permettre d’observer ces petites vies dans leurs habitats naturels. La dernière partie se focalise sur leurs modes de vie variés: la reproduction, la ponte, la métamorphose, la communication entre congénères, la migration, etc.

Un grand soin est apporté à expliquer le rôle primordial des insectes dans l’écosystème (ils représentent tout de même 85% de la biodiversité animale!) et la nécessité de les protéger. Souvent considérés comme nuisibles voire dangereux, l’autrice relève qu’ils sont surtout mal connus. Grâce à ce documentaire où fourmillent des informations utiles et de chouettes illustrations, les jeunes lecteur·ice·s feront plus ample connaissance avec les coléoptères, lépidoptères, hyménoptères et autres diptères. Un documentaire qui fait mouche! (MD)

5. Roméo, moustique sympathique, Luc Blanvillain et Marie Novion, Poulpe Fictions, 2017
Roman, dès 10 ans

Camille, une grand-mère vivant en compagnie de son chat Bernard, se lie d'amitié avec Roméo, un moustique qui l'adopte aussitôt. Perché sur le sonotone de Camille, Roméo suit avec elle des séries sentimentales à la télé puis en streaming sur ordinateur. Leur soirée se termine par la lecture à haute voix de romans romantiques faite par Camille. Elle reçoit de temps à autre les visites de la factrice, de sa fille Corinne, de sa petite fille Clélia et de Joseph, son soupirant. Roméo doit composer avec Bernard qui ne pense qu’à le gober à la moindre occasion. Il doit également se préserver de la horde de moustiques femelles qui le prennent en grippe pour avoir trahi son espèce. Enfin, un danger de taille à prendre en compte: à la moindre désobéissance à l'égard de Camille, les animaux domestiques se voient menacés d'expulsion chez le père Giroflée, le taxidermiste du coin qui se délecte d’empailler tout ce qui lui tombe sous la main.

L'auteur nous dresse un portrait singulier d'un moustique qui nous captive dès le début du récit. Les moustiques ont leur canon de beauté. Pour garantir un certain succès auprès des femelles, il est aisé d'avoir des pattes élancées, des ailes nervurées, un abdomen frémissant, des beaux yeux à facettes et un vol vigoureux. Des attributs dont la nature a gratifié notre héros. Il a en plus des dispositions au polyglottisme. Il comprend la langue des chiens, parle couramment celle des grenouilles, araignées, mouches, chats et se débrouille en humain. Il s'amuse à créer des néologismes, le mot « moustiquophobie » figure entre autres dans la liste de ses inventions.

Parfois, Roméo est confronté à des choix existentiels lorsqu’il s’agit de donner une orientation à sa vie. Il veut être « indépendant et cultivé ». Roméo sait lire. Nous avons affaire à un diptère instruit, doté d'une qualité d'observation extraordinaire. Il avoue sans ambages aimer paresser. Contrairement aux « moustiquettes » qui « sacrifient héroïquement leur existence à la perpétuation de l'espèce ». En assumant avec lucidité son oisiveté et son état de moustique domestiqué, il se fait doublement détester par ses congénères.

De temps à autre, Roméo est en proie à des difficultés psychologiques. Il lui arrive d'avoir mauvaise conscience, donc de regretter l’aventure exaltante et palpitante de la vie sauvage au détriment du confort un peu fade de la vie humaine. Mais la prise de conscience de sa raison d’être, celle qui consiste à veiller sur Camille et Clélia, le sauve de la dépression.

Enfin, Roméo est accaparé par des préoccupations métaphysiques, il rêve de se réincarner en « puissante créature dont le nom seul sème l’effroi: lion, serpent ou bactérie ».

La quête de l’âme sœur est au cœur des préoccupations de nombre des personnages. Camille attend toujours le retour de son amour de jeunesse, un marin qui s'est volatilisé un jour de tempête à l'annonce de sa grossesse et de la disparition duquel elle ne s'est jamais remise. Elle se gargarise de séries amoureuses à longueur de journée en compagnie de Roméo et Bernard, ses deux amours du moment. Par ailleurs, toute demande en mariage reste lettre morte. La factrice est impatiente de rencontrer le milliardaire de ses rêves. Nous assistons au coup de foudre entre Clélia, la petite fille de Camille, et Isidore, le petit-fils de son soupirant. Même Roméo, au prénom prédestiné et qui croit au grand amour, rêve de trouver l'âme sœur.Tout porte à croire que les proches de Camille sont titillés par la flèche de Cupidon.

« Nous autres les moustiques souffrons d’un manque cruel de considération de la part des humains », constate Roméo. Luc Blanvillain a réussi à réhabiliter les moustiques à nos yeux, en faisant de Roméo le narrateur et héros éponyme de ce roman, en nous livrant son récit parsemé d'humour et relevé par les illustrations aux traits ironiques de Marie Novion. (EEJ)

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©Helvetiq, ©Helvetiq, ©Poulpe Fictions

6. Bestioles. Le pou, Isabelle Collombat et Julie Colombet, Hélium, 2022
Bande dessinée, dès 6 ans

Oh qu’il est vilain, il est laid comme un pou, le pou! Et ce n’est pas le documentaire qui lui est consacré par Isabelle Collombat et Julie Colombet qui nous fera changer d’avis.

D’abord, il est énorme et, visiblement, il nous attend. Sur le rabat de la couverture, aucun doute n’est permis, il n’appartient pas à une espèce conservée, car c’est un « parasite » humain. Le dialogue entre le narrateur et l’insecte se construit au fil d’une bande-dessinée où alternent des bulles, donnant la parole à l’animal, et des cartouches avec les commentaires du narrateur « savant » qui instillent les informations.

Au fil des pages nous apprenons tout de son mode de vie, son habitat, sa nourriture, son mode de contamination et de reproduction. Nous lisons entre les lignes que sa pérennité est assurée, car les produits, remèdes de grand-mère ou insecticides agressifs, semblent peu opérants face à l’appétit de l’animal, qui dit sans vergogne: « qu’est-ce que j’adore ça, le sang! ».

Face à un tel ennemi, les chérubins des petites écoles bien propres, protégés par leurs moelleuses écharpes sont des proies faciles et voir le pou benoîtement lové entre les mailles signe l’échec des humains.

Avec beaucoup d’humour et dans un style oral, cet album appartient à la collection « Bestioles », originellement écrite pour la radio avec le concours du Museum d’Histoire Naturelle. Cette formule particulière associe plusieurs supports et l’illustration de Julie Colombet – humanisation du pou, grossissement au milieu des petites cases – accentue l’humour féroce de l’insecte en lutte contre des humains, qui ne pensent qu’à l’exterminer… Une collection de documentaires susceptible d’amuser, d’intriguer les enfants qui peuvent au choix écouter, regarder, lire cet album drôle et néanmoins très sérieux. (DB)

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©Hélium

7. Abeilles, Piotr Socha, La Martinière jeunesse, 2016
Documentaire, dès 9 ans

L'abeille est petite, mais le livre est gigantesque. Les illustrations aussi, qui relèguent tout en bas de chaque double-page des commentaires filant en petits caractères. Il n'y a pas de sommaire, mais des informations fascinantes – les abeilles le sont – qui s'enchaînent. Parfois redondantes, les explications finissent par se compléter et offrir un panorama complet de la vie de ces insectes: origines très anciennes (avant les dinosaures), fonctionnement social et biologique, importance de la pollinisation, relations avec l'homme (apiculture entre autres, mais aussi piqûres!), etc. J'ai sans doute regretté que l'actuel déclin des abeilles ne soit évoqué qu'à la fin, et une seule fois. Mais les réflexions abondantes et les images colorées, très personnelles dans leur approche à la fois nette et fantaisiste, font de cet album un documentaire sympathiquement instructif. Saviez-vous que Saint Ambroise était le patron des apiculteurs? (SP)

8. Une journée d'apicultrice, Arnaud Nebbache, Kilowatt, 2022
Album, dès 6 ans

Illustrateur, auteur et enseignant, Arnaud Nebbache a le goût de la pédagogie et ses albums sont souvent de belles occasions de découvertes. Après Une journée de bûcheron en 2018 (sélectionné au SLPJ de Montreuil), Une journée d’apicultrice n’échappe pas à la règle: ainsi, en plus d’une histoire (page de droite), le livre propose un imagier pour familiariser l’enfant avec le métier d’apicultrice (page de gauche). Et la partie documentaire sort des codes classiques car on n’apprend pas seulement à reconnaître les différentes abeilles, le matériel utilisé pour entretenir la ruche ou encore comment récolter le miel et quels sont les produits de la ruche, il y a aussi les positions du yoga quand l’apicultrice sort de sa roulotte et s’étire, les bruits de la montagne, les machines agricoles et les différentes façons de se calmer quand on est très énervé. En d’autres termes, la vie est un tout et pour comprendre l’histoire, il faut bien tout observer.

Cette journée commence donc avec le début de la saison: l’apicultrice a installé ses ruches sous le châtaignier en fleurs, mais surprise, aucune abeille ne sort, l’essaim a disparu. Notre apicultrice part alors en quête de son essaim, ce qui l’amène à descendre dans la plaine, près des grands champs où sont pulvérisés les produits tueurs d’abeilles. Heureusement, les enfants de la montagne l’aideront à sauver son essaim.

On retrouve dans les illustrations le style très personnel – aplats graphiques réalisés au pochoir et couleurs chaudes – d’Arnaud Nebbache. Le lecteur peut suivre l’apicultrice dans l’accomplissement de ses différents gestes: enfiler sa combinaison, sortir le cadre et utiliser l’enfumoir, capturer au filet la reine. Mais surtout, loin de l’image d’Épinal, le métier d’apicultrice est abordé avec vérité, notamment dans sa confrontation avec l’agriculture industrielle, ce qui n’est pas si fréquent dans ce type d’album. (AD)

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©La Martinière Jeunesse, ©La Martinière Jeunesse, ©Kilowatt

9. La coccinelle, Tatsu Nagata, Seuil Jeunesse, 2019
Documentaire, dès 3 ans

Scientifique reconnu, membre du Tokyo Scientific Institute, Tatsu Nagata a fait le pari de mettre à profit ses connaissances en sciences naturelles à travers une série de documentaires animaliers dédiée aux plus jeunes. Des petites bêtes comme l’escargot ou la fourmi jusqu’aux plus grosses comme le lion ou l’ours, il présente chaque espèce de manière ludique, sans oublier de se mettre en scène par la même occasion. Quelques cheveux épars sur la tête, des lunettes rondes et un nœud papillon, le double illustré de Tatsu Nagata semble avoir tout du gentil scientifique un peu loufoque. 

Dans ce nouvel album, c’est au tour de la coccinelle de nous livrer ses secrets. Outre les stades de son développement et sa durée de vie, on apprend notamment que la variation de sa couleur et des fameux points sur son dos dépend de l’espèce (et non de l’âge: l’idée est poétique mais tient du mythe).

Petite bête dont on associe l’apparition à un signe de chance, elle a plus d’un tour dans son sac pour affronter le danger, comme sa capacité à faire la morte. 

Une sympathique collection pédagogique, au graphisme efficace et drôle! (NT)

10. Phasma Story, Anne Baraou, Nancy Peña, Nathan, 2023
Bande dessinée, dès 8 ans

Corss, Epic, Sèch, Brindi, Vertt, Bât et le petit Nervur sont une bande de sept phasmes. Grands amis malgré des physiques très différents, ils se suivent dans la forêt. Lorsque le vent souffle et qu’on perd Nervur, tout le monde s’inquiète. Le jeune innocent échappe à une mante religieuse grâce à une libellule, avant de s’empêtrer dans une toile d’araignée. Une mue impromptue le sauve, avant qu’il ne décide de s’envoler subrepticement sur le dos de la libellule!

Mines expressives et humour dominent dans cette bande dessinée au dessin moderne et aux couleurs fortes. Les fonds de nature simplifiés font se concentrer l’attention sur les personnages et leurs micro-aventures. Un cahier documentaire final reprend tous les événements de la courte histoire pour en expliquer les tenants scientifiques. Malin, quand on sait que le phasme est souvent employé à des fins scolaires. (SP)

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©Seuil Jeunesse, ©Nathan, ©Nathan

11. Soldat fourmi, de Tony Ross, Gallimard Jeunesse, 2018
Album, dès 6 ans

Des fourmis grimpent un monticule, une à une, difficilement. Elles peinent, elles portent une pierre sur le dos. La pierre déposée, elles dévalent, légères, la pente qu’elles ont contribué à construire. Le paysage aquarellé de Tony Ross est charmant, une belle maison solide, quelques arbres bucoliques et devant cette sérénité d’arrière-plan « les fourmis trouvèrent enfin l’endroit idéal pour bâtir la cité des fourmis ». Ainsi ce qui nous semblait si difficile est avéré. De quelle quête, de quel conflit, ces fourmis se sont-elles l’illustration? Nous ne le saurons pas.

Après l’épreuve, la prospérité de la « joyeuse colonie ». L’ironie de Tony Ross commente ainsi son illustration de fourmilière et il qualifie de « joyeuse » l’activité des fourmis humanisées lorsqu’elles boivent ou travaillent. Il opère ensuite un zoom sur la pouponnière. Le plaisir du lecteur naît du trait incisif de l’auteur-illustrateur. Les fourmis nurses, debout sur quatre pattes, un bonnet sur la tête, cheminent entre les petits lits, donnent un biberon, une tétine. Sur un des lits, une affichette, GASTON, nous faisons ainsi connaissance avec le héros, le seul qui a un nom. Cette particularité scelle son destin.

Il ressemble à toutes les autres laborieuses fourmis, Gaston, et pourtant il ne trouve pas sa place dans la « jolie colonne » de la « joyeuse colonie », jusqu’au moment où le Grand Chef des fourmis le désigne comme soldat au prétexte qu’il a « une grosse tête et des dents bien blanches ». On peut penser au Candide de Voltaire, enrôlé en raison de sa taille et, à trois siècles d’écart, les ressorts comiques sont identiques. Un personnage naïf endosse un rôle qu’il ne souhaite pas et l’uniforme et le fusil portés par Gaston sur ses quatre petites pattes chaussées de rangers est irrésistible. Son regard en coin, perdu alors qu’il est applaudi par les fourmis, dit son désarroi. La transformation, risible d’abord parce que ridicule, s’achève en catastrophe: déluge de bombes, violence du bruit et des couleurs, substitution à des images de soldats courant entre des tranchées et monument final où figure, glorieux, le nom de Gaston… 

Narration et illustration prouvent la virtuosité remarquable de Tony Ross. L’histoire démarre tranquillement, s’accélère et s’achève en apothéose. La fable n’est pas nouvelle, et l’antimilitarisme a depuis longtemps trouvé son expression dans le dessin mais, une fois encore, à travers le sympathique personnage de Gaston la fourmi, semblable et différente de toutes les autres, la question du rôle de chacun, au sein d’une société, est posée et c’est magistral! (DB)

12. Ça fourmille ici!, Clémence G. (Gouache), À pas de loups, 2023
Album, dès 4 ans

Minutie et fantaisie, voici les qualités à l’œuvre dans ce nouvel album de l’illustratrice Clémence G., jamais à court d’idées dans cette encyclopédie de sciences naturelles d’un nouveau genre: le «cherche et trouve»… la fourmi!

Une fourmi, un peu myope, se lance dans un voyage au long cours, bien décidée à découvrir le monde. Double page après double page, les étapes de son équipée font découvrir au lecteur, à la lectrice, non seulement le monde qui les entoure: la prairie, la mare et la rivière, les différents étages de la forêt, la ferme ou le jardin public, mais aussi en vision rapprochée, toutes les espèces animales ou végétales croisées en chemin. Et ça fourmille!

L’occasion d’un beau catalogue illustré par une Clémence G. particulièrement en verve pour entraîner les enfants dans le jeu passionnant et inépuisable de l’observation. Grâce à tous les indices, toutes les vignettes, toutes les descriptions qui jalonnent son livre, elle encourage les enfants à passer du temps à retrouver la fourmi, un entraînement à la patience inestimable. Simultanément, l’autrice maligne permet aux enfants d’acquérir des connaissances qu’ils pourront tester dès qu’ils mettront un pied dehors, comme la petite fourmi sympathique de cet album. Reconnaître la sauterelle, distinguer le gendarme du cardinal à tête noire, nommer les papillons ou les champignons, ou même les différentes races de chiens croisés au parc, voilà un programme tout à fait enthousiasmant, qui mérite certainement qu’on s’y prépare avec application, quitte à chausser une paire de lunettes comme le propose Clémence G.. Quitte encore à peupler les rêves d’enfants de toutes sortes de créatures comme en révèlent parfois l’observation des nuages… Une autre belle occasion de développer son imagination!

En fin d’ouvrage, quelques pages de description encyclopédique des différentes espèces croisées dans cette belle somme ne manqueront pas elles aussi de satisfaire, ou de relancer, la curiosité et la soif de découverte de tous les lecteurs et lectrices de l’album: ah la la, que d’occupation en perspective! (VC)

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©Gallimard, ©À pas de loups

Les chroniqueuses: Emmanuelle Pelot (EP), Sophie Pilaire (SP), Edwine Elisa Jaomazava (EEJ), Danielle Bertrand (DB), Ariane Duclert (AD), Nicole Tharin (NT)Véronique Cavallasca (VC) et Marie David (MD)