Le dernier ami de Jaurès

Paul a quinze ans, une mère prévenante qui l'a élevé seule, une vie tranquille rue de la Gaîté à Paris, et des espoirs plein la tête : il est tombé amoureux de Madeleine, jeune bourgeoise des beaux quartiers qu'il ne connaît même pas. Par l'intermédiaire de l'amant de sa mère, fervent socialiste, il rencontre Jean Jaurès et accepte de protéger le grand homme surmené, menacé. Nous sommes en juillet 1914, l'archiduc François-Ferdinand et sa femme viennent juste d'être assassinés...
L'histoire du jeune garçon (que le lecteur sait destiné à la guerre imminente) est un point parmi d'autres. Elle se mêle avec celle de la rue dans laquelle il habite, peuplée de personnages pittoresques et souvent émouvants, conjuguant leurs contradictions pour témoigner d'une France disparue, rude mais solidaire autour d'un sentiment national. Elle se comprend aussi dans la grande Histoire, entre un Jaurès sur le terrain, convaincu malgré tout, et des tractations diplomatiques au plus haut niveau – rendues en italique lors d'interludes, comme pour souligner leur caractère élitaire -.
Suivis par un narrateur externe, les figurants de ce jeu déjà joué trouvent tous à s'exprimer, dans un délicat et vivant discours indirect libre. Il y a Mallavec le flamboyant et Lucien le pondéré, Suzanne qui fait le bilan de sa vie, et Paul à l'orée de la sienne, tourné vers un individualisme (partir en Amérique) qui prépare peut-être la suite du XXe siècle... Les séances de pêche et de fête sur les bords de Marne, les discussions sans fin au bar Le P'tit Zinc signent un temps heureux mais vécu trop intensément, sans doute parce qu'on le sait sur le point de basculer dans l'horreur.

Tania Sollogoub a mis toute sa passion dans ce roman sincère, plaidoyer implicite pour la paix, déclaration d'admiration au grand Jaurès, et finalement rappel du passé à consonances toujours actuelles. Très finement écrit, mis en scène sous forme de fiction sans jamais dénaturer le sens des réalités historiques, Le dernier ami de Jaurès rentre immédiatement dans les références autour de la Première Guerre Mondiale.