Ce que j'ai oublié de te dire

L'adolescence est le lieu privilégié de la cruauté, voire de la morbidité... Joyce Carol Oates met en scène un groupe de jeunes filles d'un lycée huppé, confrontées au suicide de l'une d'entre elles, la plus excentrique, la plus fragile peut-être. La partie centrale du roman rend compte d'un « nous » autour de Tink la regrettée, pose quelques souvenirs des filles à propos de celle qui a osé ce que chacune souhaite tout bas : se rebeller contre les parents, se moquer de son physique...
Les zones d'ombre qui subsistent chez Tink sont comme balayées pour les idéalistes Merissa et Nadia, occupant chacune les deux autres parties. La surdouée, la parfaite Merissa se scarifie en secret pour évacuer les tensions d'un divorce parental. Nadia se croit boulotte face à une jeune belle-mère rayonnante et tombe amoureuse de son professeur auquel elle crée des ennuis. L'une et l'autre songent à Tink, songent à la mort, et la disparue, en de subtiles touches fantastiques, viendra les sauver. D'elles-mêmes, et sans doute aussi d'une société d'artifices où les apparences, les réseaux sociaux sont rois.

L'écriture au scalpel innove, ose les sauts tendus de la pensée, avec des jeux d'italique traduisant les contradictions, la répétition gênante du mot « secret » entre parenthèses à propos de Merissa. Joyce Carol Oates refuse de nous livrer une intrigue facile, et veut nous mettre mal à l'aise, nous faire réfléchir à partir de quelques pistes cruelles, le mot est encore une fois adapté. On pense beaucoup au roman de Jeffrey Eugenides, Virgin Suicides (1993) et à son adaptation cinématographique par Sofia Coppola (1999). Pour bons lecteurs prêts à se laisser bousculer, dès 15 ans.