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Enfants d’aujourd’hui, livres d’aujourd’hui

Casterman
1972

Résumé

"Un enfant lit avec application, suivant chaque ligne de son doigt, tandis que son petit frère, émerveillé, déchire les pages de son premier album. Le frère aîné, lui, après l'extinction des feux, lit sous ses couvertures avec une lampe de poche.



Ces trois enfants ont avec leur livre une relation intime et unique. Cette relation, c'est aux éducateurs de l'établir et de l'entretenir. Mais, parfois, il faut éduquer les éducateurs. Car ce qui leur manque le plus souvent, c'est une bonne information. Information sur l'utilité de la lecture, information sur le choix des livres, sur leur qualité, sur leur prix. C'est ce but, semble-t-il, que s'est donné Janine Despinette avec Enfants d'aujourd'hui, Livres d'aujourd'hui.



Ce livre est édité chez Casterman dans la collection "Enfance-Education-Enseignement", dirigée par Bernard Planque, qui se propose d'aider les éducateurs dans leur tâche. Les ouvrages de cette collection abordent cette question " dans la triple perspective d'une meilleure connaissance de l'enfant, des moyens à mettre en oeuvre pour rendre l'enseignement mieux adapté et plus efficace, d'une éducation, enfin, qui leur offre les chances d'un plein épanouissement".



Janine Despinette est critique littéraire, spécialisée dans la littérature pour l'enfance et la jeunesse, et responsable de la rubrique "Livres" à Loisirs-Jeunes; elle est membre de la section française du Bureau international du livre pour la jeunesse et expert français auprès du Bureau international catholique. Elle sait ce dont elle parle et nous expose, dans son livre, tout ce qui, de près ou de loin, touche à la littérature pour l'enfance et la jeunesse.



A travers les âges



Janine Despinette commence par un bref historique du livre pour la jeunesse. Nous apprenons que le livre le plus ancien écrit à l'intention des jeunes vient des Indes : c'est le Pancatantra, dont la rédaction, selon A. Brauner, remonte au IIè siècle de notre ère.



Jusqu'au XVIIè siècle, on ne peut pas dire qu'il existe véritablement une littérature pour la jeunesse. Littérature pour les jeunes et littérature pour adultes semblent se confondre : Lancelot du Lac, pour adultes ? Pour enfants ? C'est à partir du XVIIè siècle qu'on trouve des auteurs de livres pour enfants : Charles Perrault (Contes de ma mère l'Oye ou Histoire et contes du temps passé avec les moralités), Mme d'Aulnoy (L'oiseau bleu, La Belle aux cheveux d'or), Mme de Beaumont (La Belle et la Bête). C'est aussi la naissance de la littérature instructive, écrite par des gens plus préoccupés par la morale elle-même que par les jeunes auxquels ils la destinent. Voilà qui devait donner aux enfants une furieuse envie de lire !



Les premiers journaux pour enfants paraissent en Angleterre : The Juvenile Magaine en 1788, puis Little Folk et The Children's Friend. Le feuilleton Robinson Crusoé, destiné aux adultes, est tout de suite adopté par les enfants (ainsi en sera-t-il également des Voyages de Gulliver). En France, le premier journal pour la jeunesse paraît en 1833 : c'est le Journal des enfants, avec son feuilleton Les Mésaventures de Jean-Paul Choppart, par Louis Desnoyers.



Le premier éditeur à s'intéresser aux livres pour enfants est - encore - un anglais, Newberry. Le créateur, en France, de la littérature enfantine est Hetzel qui, en 1864, fonda avec Jean Macé le Magasin d'éducation, véritable encyclopédie enfantine. Aimant beaucoup les enfants, il persuada les auteurs qu'il éditait alors : Balzac, Daudet, Jules Verne, Victor Hugo, Vigny et bien d'autres encore, de mettre leur talent au service de la jeunesse. Quant à Louis Hachette, qui ne put - heureusement - réaliser sa vocation, l'enseignement, il se dirigea d'abord vers l'édition pédagogique et fit paraître l'Alphabet et premier livre de lecture, une Petite histoire de France, une Grammaire française. Il publia également des périodiques pour enfants parmi lesquels La semaine des Enfants. La Bibliothèque rose démarra de façon foudroyante avec, entre autres, la Comtesse de Ségur ; de nombreux auteurs étrangers furent traduits.



Le père de nos "Comics" est Christophe qui, vers 1889, fut le premier, avec la Famille Fenouillard, le Sapeur Camenbert, L'Idée fixe du Savant Cosinus, à réaliser la synthèse du texte et de l'image, sur un mode humoristique. En 1905, naissait Bécassine et, trois ans plus tard, Les Pieds Nickelés. Puis ce furent Bibi Fricotin en 1924, Zig et Puce en 1925, Tintin en 1929. Et là, ce fut au tour des adultes de faire des emprunts.



Vers 1930, lédition pour la jeunesse allait connaître un grand essor grâce à Mme Rageot, M. Bourrelier, éditeurs, et à des artistes comme Paul Faucher (Le Père Castor), Vildrac, Jean de Brunhoff (Babar). A cette époque est créée la première Bibliothèque municipale pour la jeunesse : "L'Heure Joyeuse".



Le public



Après ce survol historique, qui n'est pas sans nous rappeler certains moment privilégiés de notre enfance, Janine Despinette nous parle du public, au sens large, concerné par la littérature enfantine : parents, enseignants, libraires... et enfants.



Jusqu'à 4 ans environ, l'enfant est avant tout un regard. C'est par le regard qu'il découvre chaque objet, parcelle du monde qui l'entoure. D'où l'importance des tous premiers albums, Le petit enfant qui "lit" s'émerveille; puis il ressent le besoin de se faire tout expliquer, d'ordonner ce qu'il voit : un dialogue s'instaure alors avec les parents et ceux-ci doivent être conscients de l'importance de ce dialogue pour le développement de l'enfant. Le livre sert d'intermédiaire et catalyse la curiosité du petit.



Malheureusement, le livre est souvent considéré comme un objet superflu par des parents qui, eux, n'ont pas eu la chance d'en avoir étant enfants. Certains considèrent que c'est une perte de temps. Mais, comme on le sait depuis le sondage effectué par l'Insee en 1970, près de la moitié des français ne lit jamais un livre.



Les enseignants eux-mêmes semblent trop souvent persuadés que lecture et étude sont synonymes. Le premier instrument de travail est le manuel scolaire, objet sérieux, qui n'encourage pas toujours les enfants à lire en dehors de leur programme. La situation actuelle des bibliothèques scolaires n'est pas pour améliorer cet état de choses : le manque de crédits et une certaine conception de l'éducation, qui n'encourage guère les enfants à faire en toute liberté leurs recherches personnelles, font parfois de la bibliothèque scolaire un "fourre-tout" d'ouvrages médiocres ou vieillots qui contrastent de façon surprenante avec les albums en vitrine dans les librairies et les documentaires magnifiques que les enfants peuvent voir au cinéma ou à la télévision.



Le rôle des libraires est assez délicat : ils doivent concilier qualité et prix et plaire à la fois au lecteur enfant et à l'acheteur adulte. C'est pourquoi, estimant souvent que le lecteur ne représente pas un intérêt économique certain, ils restent souvent trop peu concernés par cette question.



L'auteur nous donne aussi un panorama - plutôt désertique - des bibliothèques pour enfants. Ici, des chiffres s'imposent. En 1965, on comptait 620 bibliothèques municipales en province et 79 à Paris. Parmi les bibliothèques de province, 60 comportaient des sections pour les enfants, parmi celles de Paris, 20 seulement. En Allemagne, il y a 11.200 bibliothèques, en Belgique 2.597 et en Finlande 4.167. Ce petit énoncé comparatif, suffisamment éloquent, se passe de commentaires. Un des arguments qui justifie une certaine passivité est que les enfants, surchargés par leur programme scolaire, n'ont pas le temps de lire. Ceci ne peut justifier la pénurie de bibliothèques; au contraire, des bibliothèques bien fournies et agréables attireraient les enfants désireux de compléter leur instruction ou, tout simplement, de se distraire.



Le rôle d'une bibliothèque enfantine, tel que Janine Despinette le définit est d'abord "de mettre à la disposition des enfants une collection aussi variée et actuelle que possible. La bibliothèque doit pouvoir satisfaire leur curiosité éveillée par la télévision et l'école, et mettre à leur disposition des livres, mais tout autant des périodiques, des disques, des diapositives et des documents iconographiques; puis d'aider les enfants à choisir et en faire des lecteurs. La bibliothèque ne s'adresse pas uniquement aux enfants déjà acquis à la lecture. Au contraire, elle doit tenter d'y amener ceux qui vivent dans un milieu social, familial où le livre est pratiquement absent."

On voit l'importance du bibliothécaire qui joue le rôle d'animateur, des clubs de lecture et autres activités de groupe.



Mais dans ce domaine, tous les espoirs sont permis, puisque pratiquement tout reste encore à faire.



L'information est en progression




La littérature pour l'enfance et la jeunesse semble intéresser de plus en plus sociologues, psychologues et pédagogues qui lui consacrent un nombre croissant d'ouvrages. L'information semble également en progression. Le Bulletin d'analyse, que fait paraître chaque trimestre le centre de recherches "La Joie par les Livres" et le bulletin mensuel Livres Jeunes Aujourd'hui de l'Association "Culture et Bibliothèques pour Tous" aident et conseillent éducateurs, bibliothécaires et libraires dans le choix des ouvrages.



Les revues pédagogiques qui confient une rubrique critique à des spécialistes, publient, dans la plupart des cas, une récapitulation annuelle des meilleurs livres. La grande presse, la radio, les expositions et cercles d'études autour des sélections de livres pour enfants contribuent également à une information plus complète sur les livres pour la jeunesse.



La section française de l'International Board on Books for Young People, patronnée par l'Association nationale du livre français à l'étranger a publié chez Seghers un Dictionnaire des écrivains pour la jeunesse, auteurs de langue française, et la Commission presse et littérature enfantine du B.i.c.e ont fait paraître la Charte pour le livre d'enfants. Ces deux ouvrages constituent une base indispensable pour tous ceux que la littérature enfantine intéresse. Mais c'est encore à l'étranger que nous trouvons une critique systématique de la littérature enfantine : "la Bibliothèque internationale de la jeunesse" à Munich, d'une richesse exceptionnelle, les centres de Padoue et Florence, le "Press-service", édité en Autriche, à Vienne, par l'"International Institute for Children's Juvenile and Popular Litterature".



Les prix littéraires qui révèlent à une époque donnée, et pour chaque pays, ce qu'éducateurs et professionnels du livre estiment bon pour les enfants, sont fort nombreux; ils encouragent les éditeurs à produire avant tout des livres de qualité. Citons les prix internationaux : Prix international Hans Christian Andersen, le Prix Européen de littérature pour la jeunesse, le Prix de la critique en herbe à Bologne et, en France, le Prix jeunesse, les diplômes Loisirs-jeunes, etc.



Et les éditeurs ? Les éditeurs éditent. Ils éditent beaucoup. Les livres pour enfants ne manquent pas. En 1969, on comptait en France 45.277.000 exemplaires imprimés (838 titres nouveaux, 1.745 en réimpression). La quantité, malheureusement, l'emporte parfois sur la qualité mais on peut tout de même dire que le livre pour l'enfance et la jeunesse, en France, se porte bien.



Quels livres choisir ?



Janine Despinette consacre la deuxième partie de son livre, la plus importante quantitativement, à un recensement minutieux des ouvrages. Tout d'abord, outre les rééditions, les livres d'auteurs contemporains, classés par genres : albums (livres d'images, bande dessinées, photographies), contes, poèmes et fables, romans et nouvelles, et par thèmes : psychologiques, moraux, sociaux, etc. Suivent les documentaires : albums, encyclopédies, dictionnaires, livres d'activités, etc. Livres et documentaires sont également classés selon l'âge des jeunes lecteurs auxquels ils sont destinés. Il s'agit d'un véritable catalogue des ouvrages de qualité parus chez les différents éditeurs.



Ce livre manquait. En effet, il fait le point sur tous les aspects de la littérature enfantine. Il ne néglige ni les éducateurs, ni les professionnels du livre, dans un souci constant de celui qu'on a parfois trop tendance à oublier : l'enfant.



C'est un livre dont ne saurait se passer quiconque s'intéresse à la lecture des enfants et à l'éducation en général. Clair, agréable bien présenté, il évite l'écueil du catalogue anonyme, tout en restant un véritable guide (on peut regretter l'absence d'un index qui aurait complété le tableau mis en annexe "Pour choisir leurs livres"). Les livres destinés aux enfants selon leur âge ont paru parfois discutables : certains semblent trop sérieux par rapport à l'âge des enfants auxquels ils s'adressent. Mais, au fond, les enfants sont des gens sérieux.



Ce livre est un livre utile, complet. C'est non pas un, mais l'ouvrage de référence indispensable sur la littérature pour l'enfance et la jeunesse."



Bibliographie de la France 17-1-1973 n°3