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La représentation du musée dans les albums jeunesse

L'art et le livre jeunesse 4

L'ange disparu
Damien Tornincasa
15 juin 2018

Avec l’école et la bibliothèque, le musée est sans aucun doute un des lieux les plus représentés dans les œuvres de fiction destinées à la jeunesse, et ceci quel que soit l’âge-cible du lecteur. A travers l’analyse de plusieurs albums, nous verrons de quelle manière le musée est dépeint dans la littérature jeunesse et quels sont les différents rôles qu’il peut revêtir au sein de cette dernière.


Quels musées? Quels livres?
Il n’existe pas un seul musée, mais une multitude. D’ordinaire, on compte huit catégories principales de musées, d’après le type de collection qu’ils renferment: les musées d’archéologie et d’histoire, les musées de science et d’histoire naturelle, les musées des sciences et des techniques, les musées d’ethnographie et d’anthropologie, les musées thématiques, les musées régionaux, les musées généraux et les musées d’art[1]. C’est avant tout de cette dernière catégorie qu’il sera question dans cet article. Toutes les œuvres présentées ici font référence à un musée – imaginaire ou non – dédié aux arts graphiques ou alors à un musée «hybride» qui expose à la fois des œuvres d’art et d’autres types de contenus (objets archéologiques, squelettes, etc.). Les six livres sélectionnés ont été publiés ou réédités dans les dix dernières années, soit entre 2008 et 2018, et sont tous des albums de fiction pour des enfants âgés de 1 à 9 ans. Notre but n’est donc pas de répertorier de manière exhaustive toutes les publications faisant référence à des musées, mais de proposer un panel assez représentatif. Le mot d’ordre qui a présidé au choix des livres est «diversité»: diversité dans la manière dont le sujet est traité, mais également diversité dans le choix des auteurs, illustrateurs et éditeurs.

Le musée chez les tout-petits
a. Le fonctionnement d’un musée
On l’a tous appris à l’école: lorsqu’on désire connaître la signification d’un mot ou d’un concept, il suffit d’ouvrir un dictionnaire. Sous l’entrée «musée» du Petit Robert 2013, on lit: «Etablissement dans lequel sont rassemblées et classées des collections d’objets présentant un intérêt historique, technique, scientifique, artistique, en vue de leur conservation et de leur présentation au public»[2]. Certains livres pour les tout-petits jouent en quelque sorte ce rôle de «dictionnaire» en s’attachant à faire connaître aux plus jeunes le monde qui les entoure, non pas par l’intermédiaire d’une définition, mais grâce à une narration et des illustrations. C’est le cas de Yoki le doudou. Le musée d’Olivier Latyk, publié aux éditions Actes Sud junior (2014).

Yoki le doudou

Yoki, un petit lapin en peluche, est la mascotte de la classe de maîtresse Amélie. Chaque fin de semaine, Amélie confie Yoki à un des enfants de la classe qui doit le garder avec lui jusqu’au lundi matin et l’emmener partout où il va. C’est ainsi que Yoki se retrouve dans un musée d’art avec le petit Maxime et ses parents. Bien qu’inventé, le musée en question est archétypique et l’histoire permet de faire comprendre aux enfants le fonctionnement d’un tel lieu. Le livre met en avant plusieurs éléments. Tout d’abord, le musée est présenté comme un lieu régi par des règles de comportement: il faut faire la queue pour acheter son billet, il ne faut pas courir dans les salles ni faire trop de bruit et on ne peut pas repartir avec les tableaux qui nous plaisent, puisqu’ils sont la propriété du musée! D’ailleurs, le gardien-crocodile (tous les personnages du livre sont des animaux anthropomorphisés), assis sur son tabouret un livre à la main, veille à ce que l’ordre et les œuvres d’arts soient respectés.

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Ces règles n’empêchent pas le musée d’être également un lieu d’amusement et de découvertes: dans la salle des sculptures, par exemple, Maxime se divertit à imiter les postures de ces dernières. L’auteur-illustrateur s’applique à faire connaître des aspects du musée auxquels on ne penserait pas forcément: une double-page est ainsi consacrée à la salle des ordinateurs qui permettent aux enfants de jouer avec les œuvres d’art qu’ils ont vues; une autre présente la librairie du musée, où Maxime achète la reproduction de son tableau préféré sous forme de carte postale.
Finalement, plus qu’un livre sur l’art, l’idée prédominante de cet album est de sensibiliser le jeune enfant à la visite culturelle.

b. La construction d’un «musée mental»
Format carré, animaux anthropomorphisés en guise de protagonistes, doudou-lapin qui accompagne un des personnages: à première vue, Timoté visite le Louvre (Gründ, 2018) ressemble comme deux gouttes d’eau à l’album précédent. Si la forme est effectivement assez similaire, le fond, quant à lui, diffère du tout au tout. L’auteure, Emmanuelle Massonaud, et l’illustratrice, Mélanie Combes, ont construit leur album autour d’un musée qui existe bel et bien: le Louvre. Passée une première double-page où l’on découvre l’architecture bien particulière de l’édifice, avec sa pyramide emblématique, le livre présente des œuvres phares du musée, comme La Joconde de Léonard de Vinci, Les saisons de Giuseppe Arcimboldo ou encore Le tricheur à l’as de carreau de Georges de La Tour. Cet album peut donc être vu comme une véritable introduction à l’art, puisqu’il expose le jeune lecteur à des citations visuelles qu’il n’aura de cesse de rencontrer par la suite. Par un phénomène de mise en abîme, Timoté visite le Louvre est un livre qui permet au jeune enfant d’entamer la création de son propre «musée mental», qu’il pourra enrichir durant toute son enfance (et bien au-delà), au fur et à mesure de ses rencontres avec l’art.

Timoté visite le Louvre

Le musée idéal
«Ne jugez pas un livre à sa couverture!», nous dit un proverbe américain. En voilà un conseil avisé, surtout si vous tombez sur l’album Ernest et Célestine au musée de Gabrielle Vincent (Casterman, 2010)! Sur sa couverture, on voit Ernest – le fameux gros ours au cœur tendre – en admiration devant un tableau qu’on identifie facilement comme La Joconde de Léonard de Vinci. On pourrait donc penser: «Encore un livre qui va parler du Louvre!». Mais ce serait aller bien trop vite en besogne.

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L’histoire est la suivante: Ernest, qui cherche du travail, se présente au musée pour un poste de gardien. Il ne lui est pas attribué, mais le directeur propose à l’ours et à la souris de visiter l’exposition. Alors qu’Ernest est passionné par les tableaux, Célestine s’ennuie rapidement et préfère aller discuter avec un employé. C’est là que le drame survient: la petite souris se perd dans le dédale des salles. Heureusement, grâce à l’aide d’un gardien bienveillant, les deux protagonistes finissent par se retrouver, non sans s’être fait une belle frayeur.

Au fil des pages, le lecteur rencontrera de nombreux tableaux, tous peints dans le même style aquarellé propre à Gabrielle Vincent. Grâce à certains détails habilement mis en avant dans l’illustration, on reconnaîtra notamment les tableaux suivants: La Joconde de Léonard de Vinci (exposé au Louvre), La jeune fille à la perle et La dentellière de Vermeer (exposés respectivement au Mauritshuis à La Haye et au Louvre), Des glaneuses de Millet (exposé au Musée d’Orsay), Les ménines et Le prince Balthazar Carlos à cheval de Diego Velázquez (exposés tous les deux au Prado à Madrid) ou encore Les coquelicots de Monet (exposé au Musée d’Orsay). Ce n’est donc pas du Louvre dont il s’agit dans cet album, mais d’un musée créé de toutes pièces. Pour justifier ce rassemblement de toiles de maîtres en un seul et même endroit, Gabrielle Vincent a recours à une astuce. Elle fait dire à Ernest que le musée présente une exposition de copies de tableaux célèbres. Grâce à cette pirouette, l’auteure-illustratrice a pu créer son «musée idéal» et réunir sous un même toit des œuvres dispersées dans plusieurs grands musées européens.

Mais ce n’est pas tout ce que l’on peut dire sur ce livre, qui est très intéressant du point de vue muséologique. Ainsi, si on se penche sur la manière dont sont disposées les œuvres, on remarquera, dans certaines salles, un accrochage des tableaux sur deux étages. Ce type d’accrochage est plutôt caractéristique des musées «traditionnels», les musées modernes préférant généralement exposer les toiles d’une manière plus épurée.

Une des illustrations du livre montre Célestine qui passe sa tête sous un des murs, alors qu’elle est en train de chercher Ernest. Cette scène attire l’attention du lecteur et l’invite à se demander pourquoi un mur possède une ouverture dans sa partie inférieure. On comprendra alors que le musée dispose de cimaises mobiles qui permettent un agencement des salles différent pour chaque exposition.

Enfin, cerise sur le gâteau, l’auteure-illustratrice s’amuse avec la notion de cadre. Les cadres sont évidemment présents partout à l’intérieur des illustrations, puisqu’on y voit de nombreux tableaux. Mais les illustrations elles-mêmes sont toutes encadrées d’un trait fin. Elles deviennent alors tableaux à leur tour, comme si l’album était, somme toute, une succession de peintures qui finissent par faire l’histoire.

Cet album est donc un exemple parfait d’un livre qui possède plusieurs niveaux de lecture. On peut bien évidemment le lire uniquement pour son intrigue, mais on peut également s’attarder sur les images et s’amuser à essayer de reconnaître les différents tableaux. Ce peut être aussi un excellent support pour parler aux enfants (et aux adultes!) du musée et des différentes manières d’exposer les œuvres.

Le musée, c’est fantastique!
Impossible de parler de «musée idéal» sans évoquer l’époustouflant album de Max Ducos, L’ange disparu (Sarbacane, 2008)! La première double-page donne le ton de l’album. On y voit la façade du musée, sur laquelle il est écrit: «Musée des Beaux-Arts. De l’art classique à l’art minimal». A droite du bâtiment, dans l’herbe, se tient une sculpture végétale en forme de chien. Un clin d’œil au Puppy de Jeff Koons, situé à l’entrée du musée Guggenheim de Bilbao. Devant le musée, au premier plan, se trouve une fontaine avec la Victoire de Samothrace, sculpture qui est exposée à l’intérieur du Louvre. Tout à droite, à l’arrière-plan, on distingue une bâtisse blanche. Elle n’est autre que la villa Volubilis, présentée dans l’album Jeu de piste à Volubilis (Sarbacane, 2006). Ce livre – le tout premier de Max Ducos – avait pour but de parler aux enfants d’architecture moderne, de design et d’art du XXe siècle.

En analysant la première double-page de L’ange disparu, on est tenté de penser, sans crainte de se tromper, que le musée dans lequel on s’apprête à entrer n’existe pas. C’est un lieu purement imaginaire que l’auteur a inventé pour fournir un décor à son histoire, mais également pour parler d’art.

L'ange disparu

Le musée de Max Ducos comprend trois étages qui représentent trois époques différentes.
Le rez-de-chaussée est dédié à la peinture des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Parmi les tableaux présents, citons La jeune fille à la perle de Vermeer, Nature morte à l’échiquier de Baugin, Le nouveau-né par George de La Tour ou encore L’automne de Poussin.
Le premier étage du musée, quant à lui, expose des œuvres du XIXe siècle, comme Le penseur de Rodin, Vue de Florence depuis le jardin de Boboli de Corot, Arearea de Gauguin, Chasse aux papillons de Berthe Morisot. On trouve également plusieurs toiles de Monet (Les coquelicots, Meules à Chailly,…).
Le dernier étage, enfin, est truffé de clins d’œil et de références à des artistes majeurs du XXe siècle, tels que Klein, Giacometti, Pollock, Rothko, Mondrian ou encore Picasso.

Cet album est bien plus que la simple représentation d’un musée: c’est pour ainsi dire une petite histoire de l’art occidental du XVIe siècle à nos jours. Attention, n’allons toutefois pas prendre L’ange disparu pour un documentaire. Les noms des œuvres et des artistes ne figurent pas dans l’histoire et l’auteur a fait le choix de ne pas proposer un index en fin d’ouvrage. Le livre n’a donc pas une visée didactique, son but est plutôt de toucher la sensibilité du lecteur.
A ce propos, sur le site internet de Max Ducos, on lit: «[…] cet album […] permet de faire comprendre aux enfants comment la peinture a évolué au fil des siècles, de la figuration jusqu’à l’abstraction, de la petite touche jusqu’aux larges aplats, du classicisme jusqu’à la modernité. Bien loin d’un cours d’histoire de l’art didactique, L’ange disparu est une première évocation de l’histoire de la peinture qui donne aux enfants quelques clés visuelles pour mieux comprendre cet art.»[3].

Il n’y a pas que les œuvres qui évoluent au fil des pages de l’album. Les salles du musée se métamorphosent elles aussi. Plus on avance dans l’histoire (et également dans le temps, puisqu’on visite le musée selon un parcours chronologique), plus elles gagnent en sobriété. Ainsi, le rez-de-chaussée est composé, selon les propres mots du narrateur, «d’une enfilade de pièces de couleurs différentes». Le sol est recouvert d’un parquet de bois et de majestueux lustres de cristal sont suspendus au plafond. Des boiseries habillent la partie inférieure des parois et les tableaux qui les tapissent sont ornés de cadres très imposants. Le premier étage est plus épuré: il s’agit d’une «grande galerie aux murs recouverts de paysages». Les éléments architecturaux se font plus discrets et seules deux couleurs dominent: le gris de la paroi et le rouge de la moquette. Enfin, le dernier étage du musée est «une gigantesque pièce toute blanche» au sol lisse. Il s’agit en réalité d’un «white cube», type d’espace d’exposition qui, par sa neutralité, tend à effacer tout contexte autour des œuvres d’art, afin de les faire ressortir davantage.

L'ange disparu 2

Cette classification assez stricte des œuvres d’art (un étage du musée par époque) peut sembler un brin trop scolaire. Or, Max Ducos réussit le tour de force de faire dialoguer les différents courants artistiques grâce à l’introduction d’un procédé littéraire intéressant: le fantastique. Pour comprendre cela, il convient de résumer l’intrigue de l’album. L’histoire commence d’une manière relativement classique. Eloi est un jeune garçon assez mauvais à l’école. Aussi, l’idée de visiter le musée des Beaux-Arts de la ville avec toute sa classe ne l’enchante guère. Il commence sa visite par la salle du rez-de-chaussée dédiée aux œuvres classiques, mais, très vite, sombre dans l’ennui. Soudain, une voix l’interpelle! C’est le personnage d’un tableau qui lui parle, une Vénus qui a perdu son ange et qui demande à Eloi de le retrouver. Le garçon prend sa mission très au sérieux et se met en quête d’indices. Il interroge les personnages des tableaux et entre même à l’intérieur de certaines peintures! A chaque fois, il en sortira avec un objet qui lui sera utile dans son aventure. Ainsi, un personnage de L’automne de Poussin lui offre un grain de raisin et la femme représentée dans Chasse aux papillons de Berthe Morisot lui confie son filet: deux objets qui serviront à Eloi à capturer le petit ange, caché dans un tableau de Mondrian. Eloi est soulagé: il va pouvoir ramener le fugitif à l’intérieur de son tableau. Mais c’était sans compter sur la malchance: l’angelot parvient à s’échapper et se dirige vers un très grand tableau bleu dans lequel il est facile de s’égarer à tout jamais. Comment Eloi et l’angelot vont-ils faire pour se sortir de cette situation épineuse?

Le fantastique est très souvent utilisé dans les œuvres jeunesse traitant de musées: citons par exemple le roman Les prisonniers du musée de Xavier Armange (Oskar jeunesse, 2016) où ce sont les fantômes des peintres qui prennent vie ou Le secret de la Joconde de Catherine Ternaux et Véronique Boiry (Grasset jeunesse, 2014), roman dans lequel c’est la Joconde elle-même qui s’anime. On pourrait même dire que cela constitue une sorte de topos de cette littérature. Dans l’album de Ducos, le fantastique revêt une dimension métaphorique. Eloi, d’abord très réticent à l’art, finit par entrer dans les tableaux, au sens propre comme au figuré. Les œuvres du musés sont parvenue d’elles-mêmes à attirer son attention (Eloi visite le musée seul, sans ses camarades, ni la maîtresse, ni un médiateur). A l’instar d’un historien de l’art qui se base sur les courants artistiques plus anciens pour comprendre ceux plus modernes, Eloi se sert de détails de tableaux de plusieurs époques pour mener à bien sa mission.

En résumé, cet album, en plus d’être un objet extraordinaire du point de vue de l’histoire de l’art et de la muséologie, tente de transmettre aux jeunes lecteurs – grâce à une histoire passionnante et rondement menée – l’amour de la peinture et des lieux où on peut l’admirer.

Ça bouge au musée!
Même si dans l’album de Max Ducos les œuvres d’art prennent vie, les illustrations que les lecteurs contemplent restent statiques. Il en est autrement pour l’album Le musée en pyjamarama de Michaël Leblond et Frédérique Bertrand (Rouergue, 2016). Baigné dans une ambiance onirique (le petit héros revit en rêve sa journée au musée), l’album est constitué d’éléments qui s’animent lorsque le lecteur déplace une grille magique sur les illustrations. Cette technique, appelée ombro-cinéma, apporte une véritable plus-value à l’album. D’une part, elle permet de souligner l’importance du mouvement et du dynamisme dans l’art contemporain. Ainsi, on rencontre un tableau qui fait penser aux compostions de Mondrian qui retranscrivent le rythme du boogie-woogie. Une autre page évoque les sculptures animées de Tinguely. Une autre encore fait scintiller des néons, clin d’œil à l’œuvre de Morellet.

D’autre part, l’utilisation de l’ombro-cinéma ajoute une dimension interactive et récréative à cet album qui incite l’enfant à le manipuler, un peu comme il le ferait avec les tirettes, roues, rabats et flaps des livres animés. L’enfant devient un co-artiste des œuvres, car sans lui elles ne prendraient pas vie.

Du point de vue de la représentation du musée, Le musée en pyjamarama fait également figure d’ovni par rapport au reste du corpus. Les illustrations de l’album sont une succession de plans rapprochés ou de gros plans. On ne trouve jamais un plan général ou une vue d’ensemble. Ainsi, on ne voit pas à quoi ressemble le musée, ni depuis l’extérieur, ni à l’intérieur. Seule l’omniprésence du gardien et de sa fameuse chaise nous rappelle que l’on est dans un musée. L’effacement du lieu au profit de l’œuvre est assez symptomatique d’une manière très moderne d’exposer.

Une enquête déjantée
Le polar est une forme très courante en littérature jeunesse. Et le musée, qui renferme de multiples trésors à dérober, constitue un décor de choix pour développer une enquête (où, le plus souvent, l’enfant est l’enquêteur). De nombreux romans exploitent ce filon, comme, par exemple, Florian Bates enquête (T. 1). Alerte au musée de James Ponti (Hélium, 2016), Mystères à Londres (T. 1). Le voleur du British Museum, d’Alain Surget et Louis Alloing (ABC Melody, 2017) ou encore Nuit blanche au musée de Danielle Thiéry (Syros, 2016). Mais l’album jeunesse n’est pas en reste. Avec Nom de code Pompidou (L’Élan vert, 2013) Véronique Massenot et Frédéric Sochard nous offrent une enquête totalement déjantée à la découverte du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou. Les inspecteurs Deverre et Defer sont chargés d’enquêter sur une étrange usine au centre de Paris. Les gens qui y entrent sont «sages, bien alignés, rangés à la queue leu leu», mais quand ils en sortent, ils «semblent changés, tout chamboulés… comme ébouriffés du cerveau!». Que peut-il donc bien se passer à l’intérieur? Deverre et Defer vont pénétrer de nuit dans ce lieu mystérieux et découvrir un monde fabuleux! Ils croisent notamment un rhinocéros rouge (Le rhinocéros de Xavier Veilhan) et un énorme champignon (Giant Triple Mushroom Amanita muscaria / Helvella crispa / Boletus badius de Carsten Höller), visitent une étrange grotte (Jardin d’hiver de Dubuffet). Finalement, ils se sont tellement amusés qu’ils décident d’élire domicile au Centre Pompidou.  

Pompidou

Dans ce livre, l’enquête est plutôt un prétexte pour parler d’un musée en particulier. D’ailleurs, la partie documentaire située en fin d’ouvrage ainsi que la liste des œuvres représentées nous montrent que ce livre possède une certaine visée pédagogique.

L’album insiste beaucoup sur l’aspect extérieur de l’édifice. Avec ses tuyaux apparents, il ressemble davantage à une usine qu’à un lieu d’exposition! Nom de code Pompidou casse également l’image que peut parfois véhiculer le concept de musée: un lieu austère dans lequel on risque de s’ennuyer. Ici, au contraire, tout est couleur et mouvement! Ce sont d’une part les illustrations qui transmettent cette impression, mais également le texte: un jeu s’opère sur la police d’écriture, le corps et les couleurs. Le texte se lit tantôt horizontalement, tantôt en diagonale; parfois il forme des vaguelettes ou il est dissimulé dans les œuvres d’art. C’est comme si la folie qui s’empare des visiteurs du Centre Pompidou se retrouvait graphiquement dans la manière de disposer le texte!

Conclusion
Les livres pour la jeunesse sont comme des flocons de neige: il n’en existe pas deux identiques, et c’est ce qui fait leur richesse et leur beauté! Les albums qui parlent de musées le font chacun à leur manière. Certains affichent clairement une visée didactique, tandis que d’autres misent plutôt sur le plaisir de lecture et utilisent le musée comme toile de fond d’une histoire ou une intrigue forte. Tantôt, il est question de faire connaître à l’enfant un lieu d’exposition bien précis, comme le Louvre ou le Centre Pompidou, tantôt les auteurs et illustrateurs font preuve de fantaisie en inventant des musées idéals ou universels. Dans tous les cas, derrière toutes ces lectures se cache l’idée de transmission. Transmission de la passion que les créateurs ont pour l’art, mais aussi transmission d’une certaine curiosité intellectuelle qui, peut-être, incitera les petites têtes blondes à pousser avec envie les portes des musées à la découverte des richesses qu’ils renferment!

Pour aller plus loin
- Barbara Bonardi Valentinotti, «L’art dans les albums», in Parole, numéro 1, 2008, pp.10-13.
- Catherine Fontaine, «La représentation de la culture en littérature jeunesse», in Lurelu, volume 21, numéro 1, printemps-été 1998, pp.5-10. 
- Sandie Houas, L’art, les artistes et l’histoire de l’art à travers l’album pour la jeunesse: Transmission de connaissances ou émotion esthétique?, Mémoire de Master I: Lettres, littératures et civilisation (spécialité «Littérature de jeunesse»), sous la direction de Nathalie Prince, Le Mans, Université du Maine, 2012, 80p.

Bibliographie des œuvres citées
- Ernest et Célestine au musée de Gabrielle Vincent, Casterman, 2010. rééd.
- Florian Bates enquête (T. 1). Alerte au musée de James Ponti, Hélium, 2016
- Jeux de piste à Volubilis de Max Ducos, Sarbacane, 2006
- L’ange disparu de Max Ducos, Sarbacane, 2008
- Le musée en pyjamarama de Michaël Leblond et Frédérique Bertrand, Rouergue, 2016
- Le secret de la Joconde de Catherine Ternaux et Véronique Boiry, Grasset jeunesse, 2014, rééd.
- Les prisonniers du musée de Xavier Armange, Oskar jeunesse, 2016
- Mystères à Londres (T. 1). Le voleur du British Museum d’Alain Surget et Louis Alloing, ABC Melody, 2017
- Nom de code Pompidou de Véronique Massenot et Frédéric Sochard, L’Élan vert, 2013
- Nuit blanche au musée de Danielle Thiéry, Syros, 2016
- Timoté visite le Louvre d'Emmanuelle Massonaud et Mélanie Combes, Gründ, 2018
- Yoki le doudou. Le musée d’Olivier Latyk, Actes Sud junior, 2014


Merci à Marie Barras et Christine Fontana qui m’ont aidé à identifier de nombreuses œuvres présentes dans les albums du corpus.


[1] Mottaz Baran, Arlette, Publics et musées en Suisse : Représentations emblématiques et rituel social, Berne, Peter Lang, 2005, pp.16-17.
[2] Robert, Paul, Le petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Le Robert, 2013.
[3] https://www.maxducos.com/ange-disparu/