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Date

Jean-Claude Mourlevat

1 avril 2003



Entretien avec Jean-Claude Mourlevat





Avant d'être un écrivain qui compte dans le paysage de la littérature pour la jeunesse, Jean-Claude Mourlevat a enseigné, pratiqué le théâtre, et même été clown, toujours en quête d'histoires et d'émotions à transmettre. Chez Thierry Magnier, dans la collection " Petite Poche ", il a publié récemment deux courts récits, dans la tonalité du conte, un genre qu'il ne cesse d'explorer.






Ricochet - Vous avez été professeur d'allemand, clown, vous êtes aujourd'hui auteur pour la jeunesse. Selon vous, quel est le point commun entre ces divers métiers ?

Jean-Claude Mourlevat - Le point commun est le lien tendu entre soi et les autres.

Comme pédagogue, j'avais la mission de transmettre une connaissance, j'avais accepté cette responsabilité et j'étais payé pour cela. Mais je passais volontiers par l'émotionnel, l'affectif, le jeu. Trop peut-être. Alors j'ai basculé une première fois.

Comme comédien-clown, j'ai tissé avec les gens un lien d'une autre nature. Celui du pur plaisir, du rire-ensemble, de l'éphémère. J'ai donné mon spectacle muet : " Parlez-moi d'amour " (je jouais cette mélodie sur mon lacet de chaussure, avec un archet) plus de 600 fois. Je ne m'en suis jamais lassé.

Et puis, j'ai mesuré les limites de cette forme d'expression, ou plutôt mes limites dans cette forme d'expression. Alors je me suis peu à peu désengagé physiquement : j'ai fait de la mise en scène et enfin, j'ai commencé à écrire, presque par hasard.
Mais je ressens toujours de la même façon ce lien à tendre entre moi et les gens : élèves puis spectateurs, maintenant lecteurs et auditeurs…

Ricochet - Dans vos romans, il est souvent question d'un voyage, d'une quête, on peut même parler de récits initiatiques (L'Enfant Océan, La Rivière à l'envers, Hannah). Ce thème du départ vers un ailleurs est-il pour vous emblématique de l'adolescence, cette période transitoire où l'on quitte l'enfance ?

Jean-Claude Mourlevat - Je me sens désarmé pour répondre correctement à cette question. Dès que je raisonne là-dessus, j'ai la sensation de vider le propos de tout intérêt. Mes histoires arrivent à dire (un peu) ce que je ressens. Je pose sans cesse le doigt sur cette même blessure, cette même nostalgie-mélancolie. Partir… Et quitter, donc… Ouvrir la porte, mais la refermer derrière soi, aussi. Mourir à quelque chose, pour naître à autre chose. Dire adieu à des gens qui disparaissent dans le sombre, et voir déjà la silhouette des autres qui se dessinent, et qu'on quittera aussi, un jour. L'abandon de son passé, de son enfance, l'incertitude de tout, de soi-même, mais le désir ardent de vivre. Est-ce que notre adolescence est l'endroit de notre vie où tout cela se ramasse le plus intensément ? Je le crois. En tout cas je n'en suis pas guéri.

Ricochet - Vous êtes un passionné de contes, on retrouve dans vos récits des éléments légendaires, merveilleux ou magiques, est-ce un goût qui vous est resté depuis l'enfance ?

Jean-Claude Mourlevat - J'ai eu accès aux contes tardivement. Ma culture d'enfant n'est pas livresque. Elle m'a davantage été transmise par la " vraie vie ". J'ai éprouvé très petit les nuits noires, la neige abondante, les ruisseaux du printemps, la profondeur de la forêt, tous ces décors de contes, toute cette nature habitée. J'ai découvert seulement plus tard les histoires qui allaient avec…

A propos des contes, je suis loin de les aimer tous. Beaucoup sont répétitifs et sans grand intérêt. Seulement, on y trouve souvent une liberté très excitante pour l'imagination. Le monde y est à la fois simplifié et transfiguré. L'impossible, le fantasme, le rêve s'y développent avec naturel.

Quant au " merveilleux ", il ne m'intéresse pas s'il n'est qu'un jeu convenu. Il faut qu'il se frotte aux vraies émotions de la vraie vie, qu'il nous parle de ce que nous avons de plus vif, de plus secret.

Dans " La rivière à l'envers " et dans " Hannah ", je suis redevable à tous ceux qui ont écrit avant moi et qui m'ont nourri de leur imaginaire. J'ai tâché d'ajouter mon petit caillou. A cause de cela, et même si je suis fier d'eux, je considère ces deux romans avec modestie. J'en parle souvent avec enthousiasme, comme s'il avait été écrit par quelqu'un d'autre !




Ricochet - Dans l'album " Le Petit Royaume ", qui ressemble à un conte philosophique, il est question d'un roi qui interdit les livres. Quelles sont pour vous les vertus irremplaçables du livre ? Et que pensez-vous des discours alarmistes sur la désaffection des jeunes pour la lecture ?

Jean-Claude Mourlevat - La lecture, l'écriture, le livre ont des vertus de silence, de lenteur et de solitude qui favorisent le commerce avec le " secret des choses ". Je compare la lecture à la marche à pied : elle nous ramène aux choses simples qui composent le monde, juste là, autour de soi, les pierres, les odeurs, les animaux, mais en même temps elle ouvre les portes de notre imaginaire vers des territoires lointains. C'est ce balancement entre le loin et le près, au gré du marcheur-lecteur, qui fait selon moi, le charme délicieux de la lecture.

"Le Petit Royaume " évoque la lutte éternelle entre la culture et la brutalité. C'est un thème qui m'est cher. Evidemment.

Je partage l'inquiétude liée à la désaffection du livre chez les jeunes. Chez les garçons en particulier. Mais je me demande si nous lisions réellement davantage, nous ? Je ne suis sûr de rien. Je me dis qu'ils nous valent bien, qu'il faut leur faire confiance. Quand je les rencontre, je m'efforce de les convaincre de mon propre plaisir à écrire, à lire. Je tâche de leur ouvrir cette porte-là.




Ricochet - Vous dites de " L'Enfant Océan " que ce roman est associé à une musique : les Suites pour violoncelle seul de Bach. Vous attachez une grande importance à l'écriture, au rythme et à la musique des mots, vous avez un vrai style, ce qui n'est pas si courant chez les auteurs pour la jeunesse…

Jean-Claude Mourlevat - J'ai écouté les Suites pour violoncelle seul de Bach (par Rostropovitch) en boucle pendant l'écriture de " L'enfant Océan ". Cette musique m'imposait une profondeur. Je lui dois aussi la cohérence du roman.

Mon style ? Je suis incapable de le définir. Je sais seulement que pour moi l'écriture d'un texte ressemble à la traversée du funambule. C'est un équilibre fragile. Ça sollicite davantage l'intuition et les sens que l'intelligence. C'est presque physique. On progresse lentement, et on sent bien quand on risque de tomber ! Tiens, encore une histoire de fil tendu…
Par ailleurs, j'essaie d'être un auteur pour tous, pas seulement pour la jeunesse.

Ricochet - Il vous arrive aussi de lire vos textes à haute voix, est-ce une façon pour vous de retrouver le goût du théâtre, que vous avez pratiqué après l'enseignement ?

Jean-Claude Mourlevat - Quand on a goûté au théâtre, à l'intensité de cette relation directe avec les gens, il est difficile d'y renoncer. J'ai plaisir à lire à voix haute, à voir les yeux des gens qui écoutent, à les faire rire, à goûter la qualité de silence après une phrase, à jouer sur de l'infime. J'ai à chaque fois la sensation que nous sommes entre nous, que nous faisons la fête et que nous luttons à notre façon contre la barbarie sous toutes ses formes.
Lire à voix haute, c'est aussi pour moi le plaisir d'accompagner mes textes au-delà du bureau de poste où j'expédie mon manuscrit à l'éditeur…En lisant, je rends visite aux personnages que j'ai inventés, côtoyés et aimés.

Ricochet - Dans votre roman " pour adultes " paru en 2002 chez Arléa, Je voudrais rentrer à la maison, il est encore question de l'adolescence, à travers un personnage qui est pensionnaire. Pourquoi cet âge vous inspire-t-il tellement ?

Jean-Claude Mourlevat - J'avais 10 ans et on m'a mis dans cet internat très dur. J'en ai gardé toute ma vie le souvenir amer. Une forme de détresse, voilà ce que j'ai vécu. Trente-cinq ans plus tard, j'ai voulu donner la parole à cet enfant-là. " Cela a dû te faire du bien ? " me demande-t-on. Oui. Et du mal aussi. Parce que, si j'ai réussi à rendre visite à ce petit garçon interne que j'étais, je n'ai pas pu le sortir de là.

Ce roman autobiographique est aussi un début d'essai sur la mémoire, sur les arrangements que nous faisons avec notre propre passé, sur la reconstruction. Nous inventons les souvenirs dont nous avons besoin. Ce n'est pas mentir, c'est donner du sens à notre vie.




Ricochet - Récemment, vous avez publié deux titres dans la collection " Petite Poche " de Thierry Magnier, L'Homme qui ne possédait rien et L'Homme à l'oreille coupée, deux textes courts dans lesquels on retrouve votre goût du conte, votre art de raconter des histoires. Comment l'éditeur Thierry Magnier vous a-t-il convaincu de participer à cette collection ?

Jean-Claude Mourlevat - " L'homme qui ne possédait rien ", je l'avais écrit en 1999 pour un recueil appelé " Des mots pour la vie " et vendu au profit du Secours Populaire. Le texte restait disponible et convenait tout à fait, en esprit et en volume à la collection Petite Poche de Thierry Magnier. " L'homme à l'oreille coupée " fait tout naturellement suite au premier.

Ricochet - Vous avez maintenant un site internet qui retrace votre parcours, quel genre de témoignages recevez-vous, via le courrier électronique ?

Jean-Claude Mourlevat - Je reçois des témoignages chaque jour et je me désole d'y répondre le plus souvent par quelques mots - merci de votre gentillesse et de votre intérêt pour mon travail…Je ne peux pas faire mieux. Il faudrait plusieurs vies. Ce sont des enfants ou des adultes, à part égale. Parfois c'est pour en savoir plus sur moi, mais souvent c'est simplement pour dire qu'ils ont été touchés par tel ou tel roman, par tel ou tel passage, telle ou telle phrase…
Cela me conforte, me rassure. Mais cela me donne aussi une responsabilité. A quand le prochain ? me demande-t-on. C'est comme un rendez-vous d'amour. Je suis heureux d'y aller, mais j'ai le trac. Et si je n'était pas à la hauteur ? Ça tord le ventre, mais c'est bon…

Ricochet - Quels sont vos projets du moments, ou vos envies pour la suite ?

Jean-Claude Mourlevat - Mon prochain roman, qui s'appellera peut-être " La ballade de Cornebique " paraîtra chez Gallimard (Collection Hors Piste). Il est " culotté et plein de vitamines ! " m'ont-ils dit.
A part ça, je suis en train de traduire et d'adapter pour Bayard une merveille de la littérature allemande : un roman de Michaël Ende qui s'appellera : " Les aventures de Jim Bouton ".
Mes envies pour la suite ? Je voudrais avoir pendant quelques années encore l'énergie d'accoucher chaque année à l'automne d'un roman dont je sois fier. Je n'en demande pas davantage. En réalité, je suis toujours très émerveillé de ce qui m'arrive et j'espère que ça durera encore un peu avant qu'on me secoue l'épaule pour me réveiller.



En passant par le net, retrouver le site de Jean-Claude Mourlevat.

http://www.jcmourlevat.com/


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Jean-Claude Mourlevat

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