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Donner du peps aux sciences naturelles

Ses livres illustrés aux couleurs gourmandes attisent la convoitise des petits et des grands. Arbres, oiseaux et insectes en sont les stars. Mais ses passions, Lisa Voisard les décline sur bien d’autres supports. Une vie professionnelle variée dont elle choisit soigneusement le tempo.

Lisa Voisard article
Martine Salomon
16 mai 2024
Lisa Voisard portrait
(© Malik Beytrison)

Une grenouille se promène sur son avant-bras. Plus haut, une étrange créature aux pattes palmées et griffues semble grimper vers son épaule. Cet animal tatoué à l’encre noire a les yeux bien ouverts. Il semble calme, mais à l’affût. Lisa Voisard a un faible pour l’ornithorynque: «C’est un peu un alien… C’est un mammifère, il a des poils, un bec de canard, il pond des œufs… Il fait plein de trucs spéciaux», explique la Lausannoise.

Elle aussi, elle fait beaucoup de choses singulières. Elle dessine des papillons pimpants, chante dans un groupe de death metal, crée des chaussettes insolites et fabrique des kakémonos (illustrations tendues entre des baguettes). Sans oublier de photographier des insectes et d’écouter les oiseaux chanter. Lisa Voisard s’est taillé un quotidien sur mesure, lui permettant d’exprimer ses talents où bon lui semble et à son rythme.

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Comme l’ornithorynque, Lisa Voisard mène une vie à multiples facettes (© Martine Salomon / © Lisa Voisard / © Malik Beytrison)

L’art des contrastes
Dans son enfance, elle s’imagine maîtresse d’école, comme de nombreuses fillettes. Mais elle nourrit aussi des rêves artistiques: danse classique, guitare acoustique, photographie… De quoi embarrasser bien des conseillers en orientation. Et puis, elle aime dessiner des logos et des typographies. Mais les métiers de l’illustration ne sont pas forcément encouragés non plus.

Pour autant, son coup de crayon est bien là. Sa maman lui parle du métier de graphiste. La voici qui creuse cette piste dès l’âge de 12 ans. Un stage chez un monsieur proche de la retraite, qui travaille à l’ancienne; puis un deuxième dans une entreprise. De quoi prendre conscience de certaines réalités de la profession. «Quand on est petit, on pense qu’on va tout le temps dessiner, mais l’informatique est très présente dans ce métier. Une semaine de stage devant l’ordinateur! La nuit, je rêvais que je détourais des images…». Mais l’activité lui plaît. Le sillon est creusé.

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L’ordinateur est très présent dans sa vie professionnelle – mais crayon et stylo restent des essentiels (© Lisa Voisard)

Le jour de ses 16 ans, Lisa Voisard démarre l’École romande d’arts et communication (eracom). Les cinq années conduisant au CFC se déroulent fluidement, y compris trois ans d’apprentissage au studio KO à Yverdon. Elle enchaîne avec un stage chez l’éditeur Helvetiq. Puis elle fait un stage chez le duo de designers Fulguro. Ces derniers fusionnent quelques mois après avec Plates-Bandes communication, et engagent Lisa pour son premier contrat de travail. Elle y restera sept ans et demi.

Parallèlement, elle développe des projets personnels dans l’illustration. Son style est influencé par son métier de graphiste. Une manière d’envisager les couleurs et les contrastes, le tout dans une certaine épure. La composition, les proportions et la mise en pages sont soigneusement réfléchies pour produire de l’impact. Elle commence au crayon-gomme sur papier. Une fois contente du croquis, elle le passe au stylo noir, puis le numérise. La moitié du travail passe par l’ordinateur.

Apprendre à tout âge
L’illustratrice montre ses créations dans des expositions. L’une d’elles, en 2019, porte sur les oiseaux. Des espèces qu’elle a aimé observer en randonnée, d’autres plus lointaines et jamais vues. La jeune femme se documente sur internet et farfouille dans des ouvrages rétro d’histoire naturelle, richement illustrés. Elle cherche plusieurs images lui permettant de voir l’oiseau sous différents angles. Que mange-t-il? Comment se déploient ses ailes quand il s’envole?

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Lisa Voisard adore observer les animaux, puis elle se documente abondamment (© Martine Salomon / © Malik Beytrison)

Elle se découvre une passion pour les oiseaux. «J’avais appris beaucoup de choses. J’ai eu envie de creuser plus. Et de partager ce savoir.» D’où l’idée d’un livre. Elle élabore une maquette rudimentaire et l’envoie à Helvetiq: une couverture, un plan, un début de concept. «C’était juste pour faire un peu rêver, mais ça restait très simple. C’est en discutant avec l’éditeur que ça s’est dessiné petit à petit.»

Avec sa double casquette d’illustratrice et de graphiste, il lui est naturel de conjuguer l’illustration et la mise en pages. En revanche, rédiger les textes n’est pas une évidence. «C’était la première fois que j’écrivais, donc il y a eu des moments de grand doute.» Mais l’écriture donne des idées pour l’illustration, et inversement. Alors elle persévère et progresse. Ça permet de penser le projet de A à Z. «C’est gratifiant. Et je suis assez “control freak”», rigole-t-elle.

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L’autrice a souhaité créer de beaux livres qui nous cultivent sans être barbants (© Malik Beytrison)

Publié en 2020, Ornithorama connaît vite le succès. Des livres sur les oiseaux, il y en avait déjà beaucoup. «Mais on a tout fait pour qu’il soit différent, qu’il ait sa propre âme.» Même tout illustré, il n’est pas une histoire mais un documentaire. Il vise les jeunes avec ses infos ciselées à l’essentiel, mais plaît à bon nombre d’adultes. Il y a ceux que le livre séduit au détour d’un boutique d’objets déco. Et il y a ceux qui, comme l’autrice, aiment les ouvrages qui nous cultivent sans être barbants. Les libraires, eux, ne savent plus dans quel rayon le ranger. «Des fois, ça me rassure. Je trouverais triste que l’illustration ne soit que pour les enfants. Et je trouve qu’il faut continuer à apprendre, peu importe l’âge. C’est une dimension que j’ai vraiment envie d’apporter.»

Finaliste pour le Prix suisse du livre jeunesse
Dans la foulée, Helvetiq propose un deuxième ouvrage. «Je sortais déjà de neuf mois de travail intense. C’était un gros challenge. Je n’avais pas pensé à une suite.» Mais elle fait confiance à cette stratégie: sortir un deuxième livre tôt permet de continuer à faire connaître une jeune autrice et son premier ouvrage. Arborama sort en 2021. Puis Insectorama en 2023. Il remporte le Prix Jeunesse P.J. Redouté 2023; et il figure parmi les cinq finalistes du Prix suisse du livre jeunesse 2024.

Par la suite, Arborama et Insectorama sont adaptés dans des versions spécifiques pour l’Amérique du Nord, en collaboration avec des experts locaux. Les trois livres sont traduits en allemand, et Arborama aussi en italien. Et tous vont être édités en Chine!

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En plus des végétaux et des animaux, Lisa Voisard aime aussi mettre en valeur des objets du quotidien (© Malik Beytrison)

Il y a quelques années, la Lausannoise avait réduit à 60% son poste de graphiste pour consacrer plus de temps à ses projets. Puis le covid est passé par là et, avec lui, le télétravail. Œuvrer dans ce calme total lui est devenu si précieux qu’elle s’imaginait difficilement retourner dans l’agitation d’un open space. En plus, le confinement a limité ses dépenses. Ses économies lui permettaient de se lancer entièrement en indépendante en septembre 2021.

Elle peut ainsi organiser sa semaine à sa guise. En plus des livres, Lisa Voisard partage son temps entre la création libre et les mandats. Elle vend ses créations (affiches, cartes, cahiers) via son site internet et Instagram, ainsi que dans une quinzaine de boutiques. De temps en temps, il faut chercher de nouveaux contrats car des enseignes ferment leurs portes et d’autres apparaissent.

Plusieurs cordes à son arc
Côté textile, un nouveau produit est apparu dans sa panoplie: des chaussettes. «C’est un objet que j’aime bien, et je trouve que c’est pas évident d’en trouver des belles pour les adultes. On peut les avoir juste pour soi à la maison; ou alors, c’est le petit détail qui dépasse de la chaussure, qui peut être un peu foufou mais qui reste discret.» Ainsi, si ça nous chante, on décore nos chevilles de coquelicots, d’iris violets, de faucons bleutés ou de carpes aux écailles dorées.

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Indépendante depuis 2021, l’illustratrice organise ses mandats et son temps à sa guise (© Martine Salomon / © Malik Beytrison)

Le troisième tiers de ses activités est consacré à des mandats. Un dépliant pour un jardin botanique, des panneaux sur le respect de la nature pour une commune, des illustrations pour un magazine… l’éventail est large. Chacun de ces secteurs – livres, créations libres, mandats – a ses caractéristiques temporelles et financières. La diversification donne l’opportunité de répartir habilement ses différentes tâches et entrées d’argent au fil de l’année. Cela amortit aussi les fluctuations: si un secteur est dans le creux d’une vague, un autre peut prendre le relais.

La promotion des livres apporte de la visibilité. Après un article de presse ou une émission, les curieux visitent son site internet, voire la contactent. «Plus je fais des projets, plus ça fait voyager un peu tout ce que je sais faire, et ça peut faire fleurir d’autres projets.» Ce cycle vertueux produit parfois ses effets à long terme: une personne la contacte trois ans après avoir emporté sa carte de visite sur un marché. «On ne sait jamais ce qui se passe avec les petites graines qu’on sème.»

Une question d’équilibre
La Lausannoise dégage un salaire modeste, suffisant pour subvenir à ses besoins. Elle mène une vie simple, centrée sur l’essentiel. Elle a appris à refuser certains mandats, pour privilégier ceux qui l’enthousiasment, qui correspondent à ses valeurs et dont le calendrier convient. Ayant vécu du surmenage autrefois, pas question de retourner dans cette spirale.

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Lisa Voisard cultive ses nombreuses passions et sa qualité de vie (© Lisa Voisard)

«Rien ne presse»: c’est tatoué en lettres majuscules sur son avant-bras. «Une sorte de rappel. De ne pas trop s’exciter. On pense souvent que tout est urgent – c’est un peu ce qu’on nous inculque dans le monde du travail. J’en avais ras le bol de cette urgence totale. Des fois, on a le temps.» Celui d’écouter son ressenti. De cuisiner de façon saine et créative. De partir en balade à vélo ou en excursion photo. Et pourquoi pas une baignade au lac entre deux demi-journées de travail? Gérer entièrement son planning aide à trouver un équilibre.

Chemin faisant, Lisa Voisard a réalisé deux autres de ses rêves de petite fille… dans des registres plus mordants que ceux initialement prévus. Danse hip-hop. Guitare électrique. Elle balance des riffs intenses dans un groupe de death metal nommé Anachronism. Elle y pratique aussi le chant guttural. Parallèlement, elle mène un projet personnel de musique électro synthwave, intitulé Tetraodon. Tiens, c’est aussi le nom d’un poisson jaune – encore un. Attendrissant avec ses motifs tachetés, mais il se gonfle en un clin d’œil en cas de danger, et il renferme un poison anti-prédateurs. Une créature originale qui réserve bien des surprises.


Pour aller plus loin
Visitez le site de Lisa Voisard

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Lisa Voisard

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