De la nature aux mondes intérieurs: les finalistes du Prix suisse du livre jeunesse 2024

Comment le choix des cinq finalistes du Prix suisse du livre jeunesse s’effectue-t-il? Ce n’est pas une tâche aisée: pour cette édition, 141 livres ont été soumis par 65 maisons d’édition différentes, chacun avec son propre univers à raconter. Pour nous, les cinq membres du jury, cela a été un parcours passionnant, fait de lectures et relectures, d’analyses fines et de discussions animées. Après quelques mois de travail et plusieurs réunions, nous sommes parvenus à voter pour les cinq livres qui nous ont le plus marqués. Mais de quelle manière s’opère cette sélection? Le jury – présidé cette année par Nadège Coutaz et formé de Kathrin Jakob, Stefan Schröter, Véronique de Sépibus et moi-même – a basé sa décision sur des critères précis. Chaque membre, fort de son expertise du domaine, a apporté sa contribution à l’évaluation des livres, en prenant en compte un certain nombre d’aspects, tels que l’écriture, le graphisme, l’originalité, la pertinence et l’actualité des sujets abordés.
Parmi toutes les œuvres envoyées par les éditeurs, cinq se démarquent tout particulièrement à notre sens. Elles ont pour point commun la célébration de la vie quotidienne, avec ses surprises et ses difficultés.

Jardin (et forêt) d’enfants
Le premier livre finaliste, Alula: Garten/Urwald [Alula: le jardin/la jungle, NDT], créé par l’artiste d’origine bernoise Reto Crameri, est un album qui, en peu de traits, parvient à faire voyager le lecteur dans un magnifique jardin en compagnie des deux petits protagonistes. Mais gare aux apparences: les vêtements étendus pour sécher se transforment en lianes auxquelles on peut s’agripper pour échapper aux redoutables crocodiles-pince à linge. Les jeunes héros courent sans peur vers les surprises de la page suivante et, lorsqu’on arrive à la moitié du livre, il suffit de le retourner et de recommencer la lecture pour vivre une nouvelle aventure dans la forêt. Les illustrations en trichromie [bleu, vert, rouge pour le jardin et bleu, vert, jaune pour la forêt, NDT], l’absence de texte permettant aux lecteurs d’imaginer les dialogues et les sentiments des personnages: tout contribue à susciter ce sens de la découverte et cette sensation de liberté propres à l’enfance.

À chacun son précieux
Un autre aspect appartenant à l’enfance est présenté dans le deuxième livre. Il s’ouvre sur le personnage d’Omar qui, par une après-midi brumeuse, ramasse des trésors pour sa collection automnale: feuilles, châtaignes, glands. Pour lui, chaque élément est précieux, rendu spécial par les souvenirs qu’il évoquera dans les moins à venir, en attendant retour de sa saison préférée. Les collections – quelle que soit leur nature – ne se résument pas à une simple accumulation d’objets beaux à regarder: elles constituent des souvenirs renvoyant à des moments particuliers. Collections est un ouvrage écrit par l’autrice belge Victoire de Changy dans une langue poétique et délicate, rendu encore plus raffiné grâce aux incroyables illustrations de l’artiste fribourgeoise Fanny Dreyer. Page après page, les collections de sept enfants différents sont présentées; la personnalité de chacun d’entre eux transparait à travers le choix des objets rassemblés. Une collection surprenante vient conclure le livre.

Les grandes peurs dans la jeunesse
À peine le temps de se remettre de la douceur de cet album que l’on plonge déjà dans l’univers très coloré du prochain ouvrage finaliste: un roman graphique à l’impact visuel fort et avec une thématique difficile à raconter. Honnête, rude, parfois brutal, Fürchten lernen [Apprendre à avoir peur, NDT], du graphiste et artiste zurichois Nando von Arb – déjà lauréat en 2020 du Prix suisse du livre jeunesse pour sa première œuvre 3 Väter [édité en français sous le titre 3 papas, NDT] – est un livre dont on ne peut se défaire. Les illustrations oniriques et l’écriture directe et pleine d’ironie entraînent le lecteur dans un périple à travers l’esprit du protagoniste, à la découverte de ses peurs. Nous revivons des épisodes de l’enfance et de l’adolescence de l’auteur, aux prises avec les attaques d’anxiété et les crises de panique, et découvrons la façon dont il les a affrontées. Entre le texte et les éléments graphiques – riches en références artistiques – il est difficile de dire quel élément est le plus percutant: sans doute leur combinaison.

Petites bêtes à la loupe
Après cette exploration des méandres de l’esprit humain, nous sommes invités à observer les menus détails de la nature. Les insectes: qu’ils nous plaisent ou non, sans eux, le monde ne serait pas le même. Avec Insectorama, écrit et illustré par l’artiste lausannoise Lisa Voisard, découvrir l’univers des insectes devient une aventure amusante et pleine de surprises. Les illustrations aux couleurs vives et aux lignes précises accompagnent des textes scientifiques, facilement appréhendables et adaptés à tous. Les informations techniques sur cet univers sont transmises de manière claire et directe: si la division en chapitres permet aux jeunes lecteurs d’utiliser le livre comme un premier guide d’identification des insectes, les images vibrantes trouveront également un écho chez les plus petits. Au terme de cet incroyable voyage, le lecteur aura découvert les différents ordres d'insectes, leurs habitudes et, aspect que l’on sous-estime trop souvent, le rôle précieux qu'ils jouent dans le fonctionnement de nos écosystèmes.

Presque comme sur des roulettes
À propos d’écosystèmes, imaginez un skate-park de banlieue, qui, chaque jour, est rempli par une foule d’adolescents très différents. Parmi eux, il y a Ari, une apprentie peintre de 17 ans, qui passe tout son temps libre sur son skateboard, accompagnée de son groupe d’amis. Dans ce roman pour adolescents, le lecteur est embarqué dans les aventures de la protagoniste, qui doit faire face à des défis typiques de son âge: une certaine confusion dans la perception de qui elle est, son rôle au sein de son groupe d’amis, son inexplicable attirance pour Tom, le dernier arrivé en ville, ou encore sa magnifique relation avec son père et celle, compliquée, avec sa mère, qui a quitté la maison plusieurs années auparavant. Kurz vor dem Rand [Tout au bord, NDT] écrit par Eva Rottmann – autrice allemande qui vit à Zurich – raconte avec esprit et impertinence le quotidien d’une adolescente, à laquelle on s’attache dès les premières pages, et parvient à traiter de thèmes complexes, comme la remise en question des normes liées aux genres et la maladie mentale, avec naturel et comme faisant partie intégrante de la vie.

Avec cette présentation des ouvrages finalistes, nous espérons avoir titillé votre curiosité. Nous nous réjouissons de vous retrouver le 11 mai 2024 pour l’annonce du livre lauréat dans le cadre des Journées Littéraires de Soleure.

*Maddalena Moccetti travaille à la bibliothèque cantonale de Lugano. Elle fait partie du jury du Prix suisse du livre jeunesse depuis 2022.

Traduction depuis l'italien: Damien Tornincasa

Bibliographie
Alula: Garten/Urwald, de Reto Crameri, Kunstanstifter, 2023
Collections, de Victoire de Changy et Fanny Dreyer, La Partie, 2023
Fürchten lernen, de Nando von Arb, Edition Moderne, 2023
Insectorama, de Lisa Voisard, Helvetiq, 2023
Kurz vor dem Rand, d'Eva Rottmann, Jacoby&Stuart, 2023