Une formidable histoire de bûche, à lire et à offrir même après Noël
Avec Le petit robot de bois et la princesse bûche, le cartoonist écossais Tom Gauld révèle son talent de conteur pour enfants – et son sens de l’humour.
Avec Le petit robot de bois et la princesse bûche, le cartoonist écossais Tom Gauld révèle son talent de conteur pour enfants – et son sens de l’humour.
Il arrive que les francophones dépourvus de feu ouvert et de poêle associent la bûche à un gâteau servi à Noël plutôt qu’à un rondin de bois. Dans la famille Gauld, «la bûche» était le surnom donné à la plus jeune des deux enfants. «Lorsqu’elle dormait», explique Tom Gauld au sujet de sa fille cadette, «rien ne pouvait perturber son sommeil. Encore aujourd’hui – elle a 14 ans – nous avons du mal à la réveiller pour qu’elle parte à temps pour l’école». Cette particularité et ce surnom de «bûche» ont inspiré le dessinateur de presse écossais qui a écrit et illustré son premier album pour enfants, sorti en 2021 sous le titre français Le petit robot de bois et la princesse bûche à L’École des loisirs. Tom Gauld est venu présenter ses originaux héros à l’occasion de la Foire du Livre de Francfort en octobre 2022 et Ricochet en a profité pour l’interviewer autour d’une bière. Cheers!
Un premier album pour enfants
Tom Gauld est né en 1976 en Écosse, mais il vit à Londres où il travaille en tant que dessinateur de presse pour des titres aussi prestigieux que The Guardian, The New Yorker, The New York Times ou New Scientist. Il est l’auteur de plusieurs bandes dessinées, comme Vous êtes tous jaloux de mon jetpack, En cuisine avec Kafka, Police lunaire et Le département des théories fumeuses, publiées en français par les Éditions 2024 de Strasbourg. Le petit robot de bois et la princesse bûche est sa première histoire destinée au jeune public. Un coup d’essai qui se révèle être un coup de maître, puisqu’en 2021 l’album s’est retrouvé dans la sélection des dix meilleurs livres illustrés («best illustrated books») de l’année du New York Times.
Le titre original anglophone, The Little Wooden Robot and the Log Princess, a d’abord été publié aux États-Unis par l’éditeur Neal Porter (Holiday House). «Un agent américain m’avait demandé – il y a déjà douze ans! – si je n’avais pas envie de faire un livre pour enfant», raconte l’illustrateur. «Quand j’ai décidé d’en faire effectivement un, je me suis tout naturellement adressé à lui». Depuis, l’histoire du Petit robot de bois et de la princesse bûche a été traduite et adaptée dans 16 langues, dont deux fois en français: côté européen, la franco-britannique Rosalind Elland-Goldsmith a traduit l’album pour L’École des loisirs, tandis qu'au Canada la princesse bûche est devenue la princesse bûchette dans la version publiée par l'éditeur Comme des géants. Pour l’allemand, l’auteur-illustrateur Jörg Mühle (célèbre pour ses «petits lapins» cartonnés aux éditions Pastel) a réalisé la traduction pour le compte de l’éditeur Moritz. Lors de la «Frankfurter Buchmesse», Jörg Mühle a d’ailleurs animé la rencontre avec Tom Gauld dans la bibliothèque nationale allemande dans le cadre d’«Open Book Kids».
Écrire l’histoire? Une longue histoire
«Au début, l’histoire que j’avais inventée pour mettre mes filles – alors âgées de six et huit ans – au lit parlait de deux princesses. Mais comme j’adore dessiner les robots, j’ai transformé une des deux protagonistes en petit robot de bois», raconte Tom Gauld. Il affirme que ses enfants ainsi métamorphosés en robot et en bûche ne lui en veulent pas.
L’intrigue s’est développée dans sa tête pendant plusieurs années: «Le processus d’écriture a été très long car contrairement à ce qui se passe pour mes dessins de presse, je n’avais pas de délai strict à respecter» commente l’illustrateur, qui ajoute qu’écrire lui semble moins évident que dessiner. «La difficulté majeure était de garder mon style mais de passer d’un public d’adultes à un public d’enfants», précise-t-il.
«J’ai imaginé tout un univers dans lequel l’histoire se déroule», reprend Tom Gauld, «même si cela ne se voit pas forcément dans l’album. Et puis j’ai pris tout mon temps, car je voulais que ce premier album pour enfants soit le plus réussi possible», conclut-il.
L’auteur dit s’être entraîné en lisant, soir après soir, des livres à ses filles: «J’ai remarqué ce que j’aimais et ce qui fonctionnait au niveau de la narration», continue-t-il. «J’ai tout fait pour faciliter la tâche de la personne qui lit l’histoire à voix haute. Mon but? Qu’elle arrive à captiver complètement l’attention, même un soir où elle n’aurait pas été au mieux de sa forme». Ce que Tom Gauld omet de préciser, c’est que cette personne a intérêt à avoir autant d’imagination que lui. Deux pages de l’album évoquent en effet des aventures que le livre n’a pas le temps de conter, comme celles de «la clé du géant», de «l’ours solitaire» ou de «la vieille dame dans une bouteille». Inutile d’ajouter que le détail de ces épisodes, dont on ne peut lire que les titres, intéressent au plus haut point les enfants qui écoutent l’histoire attentivement…
Un récit sous forme de conte, mais revisité…
Pourquoi un récit sous forme de conte? «Cela me permettait de reprendre les éléments que j’apprécie tant dans les contes de fées» répond Tom Gauld, «comme la sombre forêt qui fait peur, mais dans laquelle il se passe aussi des choses merveilleuses. J’avais relu les frères Grimm et j’aurais aimé faire un album avec La souris, l’oiseau et la saucisse, mais la morale de ce conte ne se prêtait pas vraiment à un livre pour enfants».
L’auteur-illustrateur utilise la forme du conte, tout en bousculant ses traditionnels clichés: «Ma famille royale par exemple n’est pas une famille extraordinaire. Ils ont des soucis comme une famille normale», commente le cartoonist. Cela transparaît effectivement dès le début, puisque la reine et le roi ne parviennent pas à avoir d’enfant. Sans vouloir divulgâcher l’intrigue, Tom Gauld ne fait pas du couple royal des superhéros: «À la fin, ce sont les petits scarabées qui permettent de retourner la situation. Comme dans les histoires de détectives, ils apparaissent au début de l’histoire, comme un détail apparemment insignifiant, puis ils prennent toute leur importance. D’ailleurs les personnages que je préfère dessiner sont ces scarabées», avoue Tom Gauld, qui montre au jeune public venu l’écouter à la bibliothèque nationale allemande comme les petites bêtes sont faciles à dessiner.
Un robot en bois mécanique
Un adulte présent dans le public demande à l’auteur si son robot mérite cette dénomination. «Bien sûr», répond Tom Gauld en souriant. «Même s’il a l’air plus mécanique qu’électronique et qu’il est fait de bois?», poursuit l’adulte, curieux. «Ce qui me plaît, c’est précisément ce mélange entre le banal et le fantastique, comme dans l’histoire du navet géant», explique l’auteur. «J’aime associer des choses qui ne vont à priori pas ensemble comme du bois avec un robot. C’est un procédé que j’avais déjà utilisé pour ma BD En cuisine avec Kafka», ajoute-t-il.
Dans l’intelligent conte de Tom Gauld, une sorcière transforme une bûche en princesse… Et indirectement le dessinateur de presse en auteur de livres pour enfants. Va-t-il réitérer l’expérience? «Mon prochain livre sera un roman graphique pour adultes», répond Tom Gauld, «mais je vais sûrement refaire un album jeunesse». On l’attend avec impatience. Parce qu’un morceau de bûche comme celui-là, on en reprendrait volontiers, même en tout début d’année.