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Date

Daniel Meynard

1 janvier 1990




Daniel Meynard est né à Uzès dans le Gard, en 1946. Après avoir obtenu une licence en lettres il devient professeur de français à Gabès, en Tunisie, jusqu'en 1971. Il revient ensuite en France et devient journaliste au "Journal de Montpellier", puis bûcheron en Isère, constructeur de décors de cinéma à Paris et ailleurs. Scénariste, dramaturge, il est aussi romancier pour adultes comme pour enfants. Daniel Meynard est membre de la Charte des Auteurs et illustrateurs de jeunesse et anime de nombreux ateliers d'écriture.




Ricochet : Daniel Meynard, vous écrivez des ouvrages dans des styles très différents, pourquoi cette multiplication des genres et des styles ?


Daniel Meynard : Au départ, lorsque j'écris, il y a une petite musique intérieure qui guide ma plume et transforme en "fausse note" ce qui s’en écarterait trop. Chaque ouvrage reste ainsi dans une tonalité et c’est l'ensemble qui, éventuellement, peut devenir polyphonique .


En diversifiant les styles et en jouant sur plusieurs registres, je romps…le ronron, évite la monotonie, m’oblige surtout à me renouveler.


Quant à la multiplication des genres, c'est pour toucher un public plus vaste à travers toute une gamme d'éditeurs différents, étant entendu que chaque éditeur a une sensibilité ou une politique propres, et qu'à l'intérieur de chaque maison d'édition on trouve de multiples "collections".

Ricochet : Vous avez écrit de nombreux scénarii pour le cinéma, et même un ouvrage pour les jeunes, "Arrête ton cinéma. Quelle a été l'influence du cinéma sur votre écriture pour les jeunes lecteurs ?


Daniel Meynard : L'influence du cinéma, c'est d'abord le pouvoir des images et une écriture qui s’en inspire doit trouver un langage “ imagé ”, atteindre à un imaginaire qui prolonge l’image et la “ réfléchit ” comme dans un miroir.


Le cinéma, c’est également une structure dynamique : transposé au roman, le découpage en plans ou en séquences tient le jeune lecteur en haleine, lui évite de zapper et de refermer trop vite le bouquin.


Pour les dialogues, enfin, le cinéma induit souvent un langage "parlé", le moins "écrit" possible et donc plus vrai ou plus vivant.


Et puis le cinoche, j'adore ça et j'en ai même “ vécu ” en tant que scénariste, assistant réalisateur et…constructeur de décors : c'est d'ailleurs avec ces trois "casquettes" que j'ai écrit "Arrête ton cinéma"...

Ricochet : Vous vous êtes également depuis longtemps intéressé au théâtre. Vous êtes auteur de théâtre, notamment de la pièce “ De mémoire d’oiseau ” : pourriez-vous parler de cette aventure ?


Daniel Meynard : Le théâtre de l’Aquarium, qui jusqu’alors ne montait que des pièces “collectives”, cherchait un auteur. J’ai proposé “ De mémoire d’oiseau ”, une pièce sur le Pôle Sud où un manchot “ Empereur ” et un manchot “ Adélie ” vont se trouver confrontés l’un à l’autre sous les projecteurs et autres projections d’un spécialiste des oiseaux…


Métaphore sur la “ différence ”, cette “ tragi-comédie ” mettait en regard le monde animal et celui des humains.


Au-delà du bonheur de l’écriture proprement dite, j’ai eu celui de rencontrer un formidable metteur en scène, Thierry Bosc, et des acteurs dont le travail d’improvisation a donné vraiment “ chair ” à la pièce.

Ricochet : Le désert semble vous fasciner, qu’avez-vous retenu de votre expérience tunisienne ?


Daniel Meynard : J’ai vécu de 69 à 71 en Tunisie où j’ai fait mes deux premières années d’enseignement, qui ont été aussi mes deux dernières…


Prof de français à Gabès, dans le sud tunisien, j’avais des élèves d’environ 16-18 ans qui m’invitaient souvent chez eux, le week-end ou en vacances, à Nefta et Tozeur, du “ Chott Djérid ” aux frontières avec l’Algérie. On passait des nuits blanches à refaire le monde autour d’un verre de thé et, à l’aube, on allait boire aux sources et se baigner au creux des Oasis.


Il y avait chez mes élèves une immense soif d’apprendre, de lire, de dire. Quant à moi, au fond de leurs déserts, je retrouvais le luxe d’avoir du temps et le plaisir de le passer comme du sable entre mes doigts.


Si j’ai écrit “ Au pays du silence ”, plus tard, c’est pour faire partager à de jeunes lecteurs “ occidentaux ” cette notion “ orientale ” du temps.

Ricochet : On sent dans vos livres le souhait de décrire le monde tel qu’il est et non un monde imaginaire ou surfait. Pourquoi cette démarche ?


Daniel Meynard : Il me semble qu’un livre, même très modestement, peut toucher le lecteur et l’aider dans sa vie. Je pars donc presque toujours d’un problème réel pour tenter de le rendre un petit moins dur à vivre.


“ Sur la piste du loup ”, par exemple, évoque une adolescente qui n'accepte d'aller à l'école qu'à cheval et libère, grâce à la légende d'un loup, la parole d'un garçon muré dans le silence.


“ Sous une bonne étoile ” et “ Des ripoux au sous-sol ” traitent du problème des “ gros ” à travers l’histoire de deux enfants qui s'allègent de leur poids en rêvant aux étoiles.


Pour délivrer le monde du “ tout Internet ” qui emprisonne notre petite planète dans sa toile d'araignée, “ La guerre des toiles ” appelle au secours une étrange sauterelle.


“ Dans la gueule du vent ” a été écrit pour donner un peu d’amour aux enfants maltraités, “ Ski me plait ” pour apporter un brin d’humour aux sportifs…

Ricochet : Vous parlez de l’écriture comme d’un “ bonheur douloureux ”, comme “ quelque chose qu’on ne peut pas ne pas faire ”. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette vision de l’acte d’écrire ?


Daniel Meynard : Dans son film “ Le dernier métro ”, François Truffaut fait dire à ses personnages : “ Aimer, c’est une souffrance…Une souffrance et une joie ”.


Et comme écrire c’est aimer, écrire est donc aussi un “ bonheur douloureux ”.


Dans le Cahier N°1 de la “ Charte des Auteurs et Illustrateurs de Jeunesse ”, j’écris…qu’écrire “ est quelque chose que je ne peux pas NE PAS faire ”. Une nécessité vitale. Une passion qui m’emporte et dont j’espère qu’elle emportera le lecteur.


Quand on fait “ profession ” d’écrire, quand on doit affronter le temps et les difficultés de ça, les désillusions parfois, la solitude ou la page blanche, les hauts et les bas de cet étrange métier, on a vraiment intérêt à être passionné, sinon on craquerait ou changerait illico de boulot…




Ricochet : Le métier d’auteur pour la jeunesse n’est pas vraiment reconnu à sa juste valeur, qu’en pensez-vous ?


Daniel Meynard : J’ai l’impression, à tort ou à raison, qu’il est beaucoup plus difficile à un auteur de “ littérature générale ” qu’à un auteur de “ littérature de jeunesse ” d’être édité. Et donc lu. Le marché du livre de jeunesse est plus ouvert, les tirages globalement plus importants, grâce au relais des écoles, des bibliothèques et autres.


Il me paraît donc que si “ l’auteur de jeunesse ” n’est pas “ reconnu à sa juste valeur ” c’est parce que celle-ci est “ dévalorisée ” par le très grand nombre de ceux qui écrivent pour la jeunesse. C’est peut-être cette “ inflation ” qui fait de l’auteur de jeunesse un écrivain de seconde zone, un écrivain “ mineur ” pour les “ mineurs ”, une plume interchangeable, corvéable et taillable à merci.


Bref, la quantité des auteurs de jeunesse occulte sans doute la qualité de certains d’entre eux.


Mais il y a peut-être aussi, héritée d’une vieille tradition française, une sorte d’ostracisme et de mépris envers les auteurs de jeunesse qui sont bien mieux traités, plus connus et reconnus, dans les pays anglo-saxons.




Ricochet : Vous êtes depuis longtemps un “ militant ” de la Charte des Auteurs. Pourquoi vous êtes-vous engagé de la sorte ?


Daniel Meynard : Aujourd’hui, honte à moi, je consacre moins de temps qu’hier à la “ Charte ” qui est devenue une énorme machine de bientôt 500 membres, exigeant beaucoup d’énergie et de diplomatie.


Si j’ai “ milité ”, c’est parce qu’au-delà de la défense des droits moraux ou financiers des auteurs, la Charte était, et est toujours pour moi, un lieu fraternel d’échanges, un “ forum ” où débattre de la littérature de jeunesse, un carrefour où se retrouver un peu moins seul…


Mon inquiétude, pourtant, est de voir les jeunes générations d’auteurs davantage préoccupées par leur statut social ou leur carrière que par les enjeux du livre de jeunesse, la standardisation des produits, la recherche à tout prix du “ sujet porteur ” au détriment de l’exigence littéraire, la toute puissance de l’économie.

Ricochet : Vous faites beaucoup d’ateliers d’écriture, que vous apportent ces rencontres avec les jeunes lecteurs ?


Daniel Meynard : Du réel, d’abord. Ateliers et rencontres me remettent les pieds sur terre. J’y puise des sourires, des mots de tous les jours, de nouvelles expressions, des tronches et des tranches de vie, des rêves et du tonus pour continuer ma route.


De l’argent, ensuite, car peu d’écrivains vivent de leurs seuls droits d’auteurs.

Ricochet : Est-ce que trop d’ateliers d’écritures, trop de rencontres, tuent l’écriture ?


Daniel Meynard : Oui.

Par “ principe ”, je me suis toujours fixé comme règle de ne jamais passer plus de 50% de mon temps en ateliers ou en rencontres, ceci pour consacrer l’autre moitié à l’écriture.

Au-delà, l’auteur-animateur risque de devenir un “ animauteur ” et de perdre sa liberté, sa “ spécificité ”, son goût du “ risque ” ou de la différence, son envie d’écrire, surtout.




Ricochet : Une question personnelle de la part de Ricochet : votre roman “ Comme la lune ” se situe à Charleville-Mézières. Pourquoi avoir choisi le décor de cette ville, apparemment banale ?


Daniel Meynard : Par deux fois, j’ai été invité aux rencontres du livre de Charleville-Mézières, j’ai sillonné la ville et la région, j’imaginais Rimbaud dans les bistrots, les rues, le square ou au collège. Je le voyais planté comme un arbre échevelé devant la gare ou le kiosque à musique. Je le rêvais à “ Roche ”, dans la ferme maternelle qu’il appelait “ la Flache ”, en train d’écrire “ Une saison en enfer ” qu’il signait “ là-itou ” …parce que sa mère n’arrêtait pas de lui dire : “ - Tu vois, Arthur, ce champ-là est à nous, et cette forêt itou, et là itou… ”

Ricochet : L’ambiance d’un lieu, d’un pays, vous inspire-t-elle pour écrire ?


Daniel Meynard : Oui, très physiquement. Bien sûr, je peux parler de la montagne lorsque je suis à la plage et vice-versa, mais à chaque fois j’essaie de me remémorer le lieu qui m’inspire en réveillant mes cinq sens : je sens et ressens le vent qui souffle en Lozère, caresse le granite breton, goûte la neige des Alpes, entends les vagues qui baignent l’île du Levant, revois les rues de Charleville…

Ricochet : Dans ce même roman, “ Comme la lune ”, vous mettez en scène un écrivain : est-ce vous ?


Daniel Meynard : Non.


Il me ressemble vaguement au début, lorsqu’il rencontre les élèves d’un collège de Charleville et va pêcher dans la Meuse…


Mais après, “ Ferdinand Létrange ” n’a plus grand chose à voir, heureusement, avec moi…

Ricochet : Vous avez écrit en collaboration avec Marie-Florence Ehret “ Et vogue la galère ! ”. Comment s’est passée la rencontre ?


Daniel Meynard : C’était lors d’une Assemblée Générale de la Charte, à Montbéliard. J’ai parlé à mon amie Marie-Florence d’une vieille envie d’écrire à quatre mains, elle a dit “ chiche ” et on s’est mis à pianoter, sitôt rentrés à Paris.


Après avoir défini un thème, un lieu, des personnages, on a travaillé par mail. Elle m’adressait un chapitre, je lui envoyais le suivant et ainsi de suite jusqu’à la fin du bouquin. Puis on s’est revu pour travailler ensemble les liaisons et donner une “ unité ” ou une cohérence à cette écriture plurielle.

Ricochet : Préférez-vous cette façon de travailler, à quatre mains, à un travail plus personnel, désormais ?


Daniel Meynard : Non, je ne crois pas que je renouvellerai l’expérience, même si elle s’est passée le mieux du monde, dans une belle complémentarité et une rare complicité, sans que jamais l’ “ ego ” de l’un fasse de l’ombre à l’autre.


Mais il n’en reste pas moins vrai qu’écrire à deux multiplie les difficultés au lieu de les diviser. Et qu’une écriture vraiment singulière ne peut se décliner, à mon avis, qu’au singulier.

Ricochet : Dans “ Et vogue la galère ! ” vous abordez les problèmes des adolescents tiraillés entre deux cultures, entre deux pays, la France et l’Algérie. Pourquoi et comment avez-vous voulu aborder ce problème délicat de notre société ?


Daniel Meynard : C’est souvent dans des Z.E.P. que Marie-Florence Ehret et moi rencontrons les élèves. Et c’est là, plus qu’ailleurs, que les adolescents sont tiraillés entre deux cultures. Nous voulions en témoigner et faire de notre livre une sorte de “ passerelle ”, à travers une histoire d’amour, entre la France et l’Algérie.

Ricochet : Quels sont vos projets, si vous en avez, pour les prochaines années ?


Daniel Meynard : Continuer, bien sûr, à écrire des livres pour la “ jeunesse ”, car c’est pour moi tout à la fois un espace de création et de récréation. Une détente, une “ jouvence ” et l’occasion de rire ou de rêver. De vivre encore, toujours, à “ hauteur d’enfant ”, sans me prendre trop au sérieux.


Mais je compte surtout, après mes deux premiers romans pour “ adultes ”, “ La jeune fille et la neige ” chez Julliard et “ Les énergumènes ” chez Nil éditions, en publier un troisième.

Ricochet : Et si vous aviez un vœu à formuler ?


Daniel Meynard : Que ce long entretien ne soit pas trop ennuyeux…

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Daniel Meynard

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