Almudena Pano, prix de la Première œuvre en littérature de jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Récompensée pour Histoire en morceaux, paru chez Versant Sud en 2021, l’autrice-illustratrice vient d’obtenir le prix de la Première œuvre en littérature de jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle a aussi obtenu deux autres bourses de la FWB.
Récompensée pour Histoire en morceaux, paru chez Versant Sud en 2021, l’autrice-illustratrice vient d’obtenir le prix de la Première œuvre en littérature de jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle a aussi obtenu deux autres bourses de la FWB.
Cette interview a initialement été publiée dans la revue belge Lectures.Cultures (n°30, novembre-décembre 2022). Nous reproduisons ici le texte de l'interview avec l'aimable autorisation de son auteure, Isabelle Decuyper, et de Lectures.Cultures. Les images utilisées proviennent des maisons d'édition Versant Sud et Rue de l'échiquier ainsi que de l'autrice-illustratrice.
Avec son amie et complice Elisa Sartori, elles créent de superbes fresques au sein de l’association 10emeArte. Almudena Pano est devenue autrice-illustratrice de livres pour enfants et de bandes dessinées, participe à des expositions et travaille en tant que graphiste.
Isabelle Decuyper: Qui êtes-vous? Comment en êtes-vous arrivée à ce métier?
Almudena Pano: Je suis une Espagnole, née dans un petit village au cœur des Pyrénées où mes parents tenaient un hôtel dans lequel j’ai travaillé dès l’âge de 8 ans, sans jamais connaître de «vacances».
Après m’être orientée vers la branche artistique lors de mes secondaires à l’École d’Art de Huesca, j’ai poursuivi mon parcours académique en suivant une formation supérieure en Graphisme dans la même école.
Puis, je suis partie à l’Université Complutense de Madrid pour étudier la Publicité et les Relations publiques. Arrivée par Erasmus, j’ai achevé ces études à la VUB de Bruxelles pour la cinquième et dernière année.
L’été suivant, j’ai décroché un poste de graphiste et d’assistante dans la section culturelle de l’Institut Cervantes. J’ai été confrontée au monde de la publicité, bien différent de mes valeurs qui m’amènent à vouloir toucher les gens, à les faire rire et réfléchir. Contribuer à construire un monde aussi superficiel à mes yeux m’éloignait de celles-ci.
J’ai donc repris des études en choisissant un domaine dans lequel je pouvais mélanger communications et arts graphiques, c’est-à-dire l’illustration. J’ai alors passé trois merveilleuses années au sein de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles où j’ai fait la connaissance d’Anne Quévy, professeure responsable de l’Atelier d’illustration.
J’ai eu des boulots alimentaires me permettant d’apprendre le français et je suis devenue maman.
10emeArte
Nourrissant une belle complicité, j’ai créé avec Elisa Sartori un collectif artistique, «10emeArte», dédié à la conception et à la réalisation de fresques. Nos œuvres sont présentes dans l’espace public, dans des espaces privés, commerces, bars, salles de concert...
Trois fresques pour le parcours Street Art de Bruxelles, le parcours Street Art de Mons. Pour le Picture Festival, il y a deux ans, nous avons réalisé une fresque devant Bozar. Nous avons répondu à un appel à projets pour l’Ancienne Belgique et le Cirque royal.
Une œuvre de l’AB (une toile) va être vendue aux enchères afin d’aider une association de sans-abri. Autre projet: un plafond de cinq cents mètres carrés dans un tunnel; il s’agit d’une des fresques qui font partie du parcours Street Art de Bruxelles. Tunnel de la rue Van der Weyden.
Un premier album? Sa genèse?
Une petite fille joue au foot et casse un vase dans la maison. Sa maman ne la gronde pas mais va le réparer avec elle, avec de la colle et de la poudre d’or. La pratique japonaise dénommée kintsugi m’a inspirée pour faire une métaphore. Je souhaitais évoquer par ce biais le processus de casse et de reconstruction que chacun·e peut connaître dans sa vie durant laquelle on connaît beaucoup de moments à surmonter. Ce sont de ces moments qui nous font grandir et qui construisent la personne qu’on devient, et c’est pour cela qu’il faut les accueillir. On devient plus compréhensif avec les autres et avec soi-même.
Cet album permet différents niveaux de lecture, et moi-même, pendant que je le faisais, je voyais d’autres lectures que je n’avais pas vues, comme au niveau sociétal: on détruit la nature et il faut qu’on la reconstruise. Ça m’est venu à l’esprit lorsque je dessinais les motifs du vase, un paysage avec des animaux. Les notions de temps et d’espace sont aussi importantes pour moi. Par petites touches, page après page, je montre le temps qui passe car c’est un processus long. En matière d’espace, tout se passe dans la maison, puis la fillette sort et le lecteur s’aperçoit que quelque chose se passe de l’intérieur vers l’extérieur. Cette petite fille vit tout un travail intérieur. On est toujours en changement vers autre chose.
Je voulais aussi montrer les sentiments, les émotions de chaque passage à travers les images. Quand la fille va jeter son ballon, on sait que quelque chose de mal va se passer. La mère arrive avec son manteau et son livre. C’est comme la savante qui sait. L’image est très posée, presque comme un lac calme avec des canards. Le calme revient après l’agitation. Un bel exemple: l’image du lit montre une couverture avec une mer qui semble révoltée; ce qui représente l’état émotionnel de la fillette. Complicité mère-fille. Dans chaque passage, les sentiments sont importants.
Le rapport texte-image
J’accorde beaucoup d’importance au rapport texte-image. Le prochain album sera totalement différent. Ce qui m’intéresse le plus, c’est de faire passer un message; chaque œuvre a un ton. L’image doit accompagner ce ton. Je réalise un travail avec les couleurs, les techniques pour faire cela.
Ce travail de recherche est ce qui m’intéresse le plus. On n’a pas la même façon de s’habiller pour aller travailler ou participer à une fête. Chaque œuvre a sa propre façon de s’habiller. D’où je change ma façon de faire en jouant avec le texte et l’image.
Des influences japonisantes et la technique kintsugi
La pratique du kintsugi explique vraiment bien le message que je voulais passer. Dans celle-ci, le vase cassé est réparé en portant les marques de cassures qui sont recouvertes d’or. J’ai repris la technique de la reconstruction de l’objet. À la fin, la mère trouve l’objet plus beau qu’avant, pour tout ce qu’elles ont vécu autour de cette reconstruction… comme l’objet reconstruit par le kintsugi devient plus beau par les cassures dorées.
On vit dans une société où tout doit être parfait. L’être humain ne doit pas avoir de cheveux blancs, de rides ou de cicatrices. Ce sont les signes d’une vie vécue, qui font nos individualités, pas des traces honteuses dont on doit se débarrasser. Ce vase, avec ses cassures, raconte sa vie et son histoire aussi. Ce vase est tombé et le fait de le reconstruire devient une histoire en soi.
Je connaissais déjà la pratique du kintsugi. J’ai repensé à celle-ci pour réaliser une métaphore à travers les images, qui évoluent selon l’influence des estampes japonaises.
Des projets?
Oui. L’obtention de deux bourses de la Fédération Wallonie-Bruxelles a été une aide économique pour mon travail. Le premier projet s’intitule Gloria et sortira en janvier 2023[1]. Il s’agit d’un roman graphique pour un public grands ados-adultes de 220 pages qui a reçu une bourse d’aide à la BD. Il paraîtra chez un éditeur parisien, Rue de l’échiquier. Celui-ci abordera le sujet difficile de l’inceste, en partant d’une histoire vraie et en montrant les dangers de cette pratique néfaste, en mettant en scène une fille qui travaille dans un centre de mineurs et la vie des trois enfants qu’elle gère, dont un schizophrène et deux ayant subi des violences sexuelles. J’espère que cette BD permettra d’atteindre des gens concernés mais qui n’ont pas envie de consulter un ouvrage de type anthropologie de l’inceste.
Le deuxième projet est plus poétique et s’appellera La vie est un cirque. Je dois encore trouver un éditeur pour celui-ci, que je souhaite réaliser en risographie, en travaillant sur les images. J’ai imaginé un présentateur de cirque, avec la vie qui s’exprime à travers une série de personnages du monde du cirque. Chacun d’entre eux s’explique avec des rimes et une musicalité dans le texte.
Un troisième projet dont le contrat est signé avec l’éditeur Cotcotcot concerne notre collectif 10emeArte où le duo Almudena Pano-Elisa Sartori réalisera les illustrations sur un texte de Lisette Lombé pour une collection artistique. La publication est prévue pour septembre 2023.
Plus d'informations
Site Internet d'Almudena Pano
Compte Instagram d'Almudena Pano
Site Internet du collectif 10emeArte
[1] Le livre est paru le 20 janvier 2023, soit quelques jours avant la publication de cet article sur Ricochet (NdR).
*Isabelle Decuyper est attachée principale du Service général des Lettres et du Livre – Littérature de jeunesse, qui relève de l'Administration générale de la Culture du Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles.