Bertha et moi

La couverture nous présente une étrange petite fille, longue chevelure rousse encapuchonnée de vert, le visage caché ; elle est pliée en deux sur ses genoux dont ne voit pas tout de suite l’intérêt. Puis on comprend : l'écorchure d’un beau rouge vif, qu’elle regarde avec attention, la détourne du monde extérieur. C'est de Bertha, le nom donné à la croûte de son genou, que la narratrice va raconter l’histoire.

Rétrospectivement, on voit la fillette étalée par terre, en pleine rue, et tout de suite son ressenti : « Ça brûlait beaucoup, beaucoup, beaucoup ». L’écorchure envahit la conscience de l’enfant et Beatrice Alemagna alterne paroles de la fillette et commentaires de la narratrice qui a grandi. Avec la complicité de l’autrice, elle regarde avec humour la situation : « Du sang. Le mot qu’il ne faut pas dire aux enfants ». Tous les adultes sont mis à contribution : papa, maman doivent participer à l’aventure de l’écorchure même si leurs perspectives rassurantes sont inopérantes !

On éprouve, grâce au récit, l’écart entre la quotidienne banalité du bobo bénin vue par un adulte et la dimension fantastique, inquiétante, vécue par la fillette et sa croûte, promue au rang d’actrice essentielle puis d’amie inoubliable.

Car ce que nous raconte Beatrice Alemagna avec une affectueuse ironie est bien une expérience existentielle. Le mal surgit tout à coup et amène à la conscience douloureuse notre corps jusque-là ignoré. L’illustration accompagne le parcours de l’enfant et les vignettes séquentielles tracent l’évolution de son souvenir tout auréolé par l’ennui des vacances chez les grands-parents, démenti par les images et le souvenir qu’il imprime.

Épreuve quasi initiatique, rituel de passage, cette histoire de douleur dépassée dessine le portrait sympathique de cette enfant unique et universelle. Le temps du bobo, les couleurs vives et acidulées, les tableaux successifs des lieux et environnements tournent autour d’elle, héroïne d’un petit théâtre où chacun se reconnaît.