La chose

Scipion et Hannibal, deux chiens carlins chics et distingués – vous savez, ces molosses aux yeux globuleux, au profil en poing et à la peau plissée – n’ont pas vu venir la catastrophe qui les guettait. Depuis plusieurs mois pourtant, leur maîtresse prenait du poids, elle s’installait au parc pour observer d’affreux enfants qui leur jetaient du sable aveuglant et revenait des courses chargée d’innombrables paquets. Relégués à la cuisine pour libérer une chambre que Madame s’est mise à décorer comme un sanctuaire, les deux toutous hypocondriaques ont imaginé qu’un nouveau chien d’un pedigree exceptionnel allait arriver, « un genre d’altesse canine, devant laquelle il [leur] faudrait faire des révérences et des génuflexions, vous pensez… avec [leurs] rhumatismes ». Comment ont-ils pu être aussi naïfs ? Un jour alors, leurs patrons se sont absentés pour… mieux revenir, chargés de la chose : « Au début, je n’ai pas réussi à voir ce que c’était. Ce qu’on en apercevait était rouge et mou… on aurait dit du pâté. Parfois, ça sentait franchement mauvais et souvent, ça criait : la nuit, le jour, à tout bout de champ, un cauchemar ! »

L’idée des auteurs – à savoir évoquer la jalousie que peut éveiller l’arrivée d’un nouveau-né, à travers celle qu’éprouvent les animaux domestiques – serait des plus originales si elle n’avait pas été déjà exploitée en littérature de jeunesse. Souvenez-vous de L’autre de Zaza Pinson et Geoffroy de Pennart, un album tout aussi drôle et savoureux qui racontait l’existence totalement bouleversée du chien Raoul, lorsque sa patronne a eu son premier bébé. Avec une intrigue similaire et un titre aussi « indéfini », les deux ouvrages se distinguent heureusement dans leur conception graphique – bien qu’une fois encore toutes deux très réussies ! Ici, Alexandra Huard illustre avec brio, humour et gaieté le texte de Béatrice Fontanel. Avec de très belles peintures à la gouache, souvent couchées en pleine page, l’artiste nous emmène dans un monde parfois décalé des propos et délicieusement vintage, qui colle merveilleusement bien à la personnalité cocasse des protagonistes.